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08- DOSSIER LABERTHONNIÈRE. Correspondance et textes (1917-1932)

08- DOSSIER LABERTHONNIÈRE. Correspondance et textes (1917-1932)

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Date d'ajout : mardi 09 mai 2017

par Lucienne PORTIER

CAHIERS UNIVERSITAIRES CATHOLIQUES, janvier 1985

Pourquoi l'œcuménisme de Boegner et Laberthonnière n'a-t-il pas marqué plus largement les esprits au-delà d'un cercle restreint - à une époque où l'œcuménisme n'était pas encore, et de loin, entré en force dans l'Église catholique ? Le mot même était-peu courant, si l'aspiration était vive chez ceux que l'Unum sint taraudait.
La condition première, dont ces hommes nous donnent un admirable modèle, est, dans la disposition des esprits, un désir vrai de cette unité qu'a voulue le Christ. État d'esprit qui porte à la reconnaissance loyale des erreurs et des failles dans sa propre communauté, en même temps qu'à l'effort pour comprendre du dedans la vérité de l'autre. Ce qui peut rendre possible la résolution des points délicats.
Boegner et Laberthonnière s'étaient rencontrés durant la Grande Guerre, alors qu'ils étaient l'un et l'autre aumôniers auprès des grands blessés aveugles à l'hôpital de Reuilly. Un tel milieu de souffrances ne pouvait que les porter aux questions essentielles. Ils s'y étaient liés aussi d'une profonde amitié : « Nos rencontres presque journalières, depuis près de deux ans, ont fait que je me suis attaché à vous d'une vive et profonde amitié, amitié d'âme, de cœur et d'esprit. Je me sens si à l'aise pour parler avec vous », écrivait Laberthonnière le 4 août 1917. Boegner, de son côté, parlera de leur « incomparable amitié » ; il demandait à l'oratorien « vos conseils auxquels j'attache un très grand prix » ; au cours d'une conférence à des étudiants rue Jean-de-Beauvais, il nous disait son désir d'avoir le Père Laberthonnière à son lit de mort. Mais le Père devait mourir le premier.
La correspondance Boegner-Laberthonnière donne un grand prix à l'ouvrage récemment paru de Marie-Thérèse Perrin " où nous puiserons abondamment ; ces lettres d'une qualité exceptionnelle doivent être largement connues. Il est regrettable qu'aux lettres de Boegner on n'ait pas toujours la réponse de son correspondant, il est pourtant possible qu'à travers ce que dit l'un on comprenne la pensée de l'autre.
La confiance manifestée par Boegner n'a jamais fléchi. En 1920, il écrivait « J'ai besoin de confronter ma pensée ou plutôt les ébauches de ma pensée avec le résultat auquel vous ont amené vos longues années de méditation » [13 septembre 1920] (Le Père était son aîné de vingt ans). Et, dix ans plus tard : « Aucune approbation ne peut m'être aussi précieuse que la vôtre. Je me sens en si étroite communion de pensée avec vous que j'ai besoin d'être soutenu dans mon travail par votre confiance et vos encouragements » [24 septembre 1929].
Une affectueuse sollicitude le portait à écrire, le 17 août 1918, en apprenant la mort du Père Nouvelle, supérieur de l'Oratoire et très lié d'amitié à Laberthonnière : « C'est une blessure faite à votre cœur. J'en souffre pour vous et avec vous. Je demande à Dieu de vous aider, à traverser ce dépouillement, à vous enraciner plus fortement que jamais dans l'invisible ... dites-vous bien que ma pensée pleine d'affection vous suit et vous enveloppe. » L'année précédente, c'est la condition faite à son ami qui l'a ému : « Sachez bien que je m'unis par la prière à votre dur combat (on sait qu'il fut abreuvé de souffrances par son Église qu'il aimait si profondément), et que je demande à Dieu de vous fortifier jour après jour, par sa grâce toute puissante » [25 août 1917].
La qualité d'âme de Boegner ne pouvait que l'ouvrir très tôt au désir de l'unité des chrétiens. « Qu'ils soient un », les mots avaient pénétré en lui profondément comme pensée du Seigneur à réaliser, et grande était sa joie de rencontrer la même aspiration : « C'est une joie bienfaisante de voir qu'à une hauteur spirituelle, les disciples du Christ peuvent se sentir en pleine communion d'âmes en dépit de leurs divergences dogmatiques ecclésiastiques, si profondes soient celles-ci ».
Comme on aimerait trouver, chez tous les chrétiens aspirant à l'unité, l'ouverture d'esprit et la pureté d'intention que révèlent ces lettres : « Je voudrais oublier, écrit Boegner, que je suis protestant dans un pays catholique - oublier les antagonismes qu'a légués le passé, ne pas m'arrêter aux polémiques réciproques » [2 septembre 1920]. Et il demandait à Laberthonnière : « Plus j'avance et plus je sens comme une obligation intérieure de formuler les pensées que je ne cesse de remuer en moi sur Catholicisme et Protestantisme. Vous m'aiderez à comprendre le Catholicisme par le dedans, n'est-ce pas ? » [4 mars 1920]. « Comprendre par le dedans. » C'est un souhait que, sur un autre terrain, on a souvent entendu formuler par Louis Massignon : « Comprendre du dedans, ce qui change l'attitude en face de l'adversaire ». Disposition qui aide aussi à aller à l'essentiel. « Oui, écrit Boegner, je sens qu'il y a une métaphysique chrétienne à dégager de toutes les caricatures que nous offre la théologie scolastique ou l'orthodoxie calviniste et luthérienne. Ah ! que ne pouvez-vous me donner tout ce que vous portez dans votre esprit » [13 septembre 1920].
Urgente apparaît la nécessité d'abandonner tout esprit polémique, retournant aux sources communes pour un présent commun : « Le problème de l'unité, depuis plusieurs années, n'a cessé de me préoccuper. Il y aurait me semble-t-il, à étudier ce problème non pas d'un point de vue polémique, mais d'un point de vue irénique. A la conception romaine de l'unité, étudiée dans sa formation historique, sa formation dogmatique, ses caractères et ses conséquences, s'opposerait la conception protestante, avec son individualisme outrancier et meurtrier; puis, sur un tout autre plan, le plan de l'expérience chrétienne, serait proposée une notion paulinienne et tout à la fois moderne de l'unité de l'Église. » Il y a, c'est vrai, les sceptiques, mais la confiance va plus haut que le scepticisme. « D'aucuns diront que c'est poursuivre une chimère. Mais pourtant le Christ a dit : ' Qu'ils soient un '» [30 septembre 1918].
Chez Boegner, une orientation se précise pour un sujet de thèse en vue d'un doctorat en théologie : « Je voudrais étudier le catholicisme et le protestantisme, non pas sur le terrain de l'histoire, dans le domaine des manifestations extérieures, mais d'un point de vue plus psychologique, comme l'expression de tendances fondamentales différentes mais, selon moi, complémentaires de la personne humaine. En d'autres termes il m'apparaît de plus en plus que catholicisme et protestantisme répondent, chacun à sa manière, à des besoins profonds de la nature et de l'esprit humains. La réponse complète ne sera donnée que par une synthèse que nous devons rendre possible par une compréhension croissante de la nature de l'homme et de l'action de Dieu en l'homme et dans l'humanité » [2 septembre 1920].
Le grand désir de compréhension mutuelle qui animait Boegner, il l'avait hérité de son oncle le pasteur Fallot. Dans L'exigence œcuménique, il cite une lettre de son oncle à l'abbé Birot du 5 novembre 1894 : « Le jour où les protestants comprendront tout ce qu'ils peuvent acquérir au contact des catholiques, le jour où les catholiques, s'inspirant de sentiments tels que les vôtres, comprendront que le protestantisme est autre chose qu'une négation de la foi catholique, ce jour-là les cœurs chercheront les cœurs et les anges se prépareront à entonner J'hymne de la pacification dans la charité et dans l'unité reconquises » [cité p. 74)].
Poursuivant sa réflexion sur ces deux aspects du christianisme qui ne devraient pas s'opposer, Boegner écrit : « Ne pensez-vous pas que la plupart des catholiques qui se convertissent au protestantisme ou des protestants qui se convertissent au catholicisme (je ne parle que des conversions sincères) sont déterminés, beaucoup plus qu'ils ne s'en rendent compte, par des motifs de sensibilité ? L'une ou l'autre de ces confessions répond plus adéquatement aux tendances dominantes de leur personnalité » [2 septembre 1920].
Un grand désir de connaître honnêtement la pensée de l'autre inspire toujours Boegner dans ses recherches et ses projets. Voici ce qu'il se proposait, le 30 janvier 1918 : « L'étude de Saint-Cyran directeur de conscience, (Cette étude) m'amènerait, à propos d'une des plus grandes figures sacerdotales du 17e siècle, à étudier la légitimité de ce qu'on appelle la direction, les réactions successives du protestantisme dans ce domaine, la question de l'autorité et de l'obéissance en matière religieuse » [30 janvier 1918].
Autorité et liberté, c'était précisément là la question traitée par Laberthonnière dans son ouvrage déjà ancien La Théorie de l'éducation. Sur ce point des échanges s'établirent avec Mgr Söderblom, pasteur luthérien, qui écrivait au Père : « Que Dieu vous préserve et vous bénisse ! Vous êtes un de ceux qui nous font respecter le plus l'Église Catholique Romaine » [6 mars 1930]. Et dans le même temps, voici ce que Laberthonnière répondait à un jeune étudiant danois, K.E. Skydsgaard : « L'autorité manque chez vous. Chez nous elle s'est faite autoritarisme. Je ne crois pas que la société humaine puisse se passer d'autorité. Mais la question est de savoir ce qu'elle doit être ... étant donné qu'elle a à s'exercer envers des personnes, l'autorité ne s'exercera légitimement que si elle est libératrice» [15 janvier 1932].
L'honnêteté veut que l'on regarde avec lucidité les erreurs et ce qui sépare la réalité de l'idéal. « Ce que j'appelle catholicisme n'existe pas à l'heure actuelle, mais est le but vers lequel tendent toutes les âmes qui ont laissé se prolonger en elles l'écho Unum sint. Et dans ce catholicisme là serait intégré tout ce qu'il y a d'authentiquement chrétien dans les principes que la Réformation a voulu mettre en lumière » [B. à L., 2 septembre 1920].
Quelle difficulté d'ailleurs de trouver le point juste : « Nous sommes à cet égard, écrit Boegner au sujet de l'Église, d'un vague désespérant dont l'exemple de Fallot et de quelques autres nous inspire la volonté de sortir. Et par ailleurs ce qui prévaut dans le catholicisme actuel sous le nom de doctrine de l'Église, ne nous enthousiasme pas » [17 juillet 1928]. Le « romanisme » est pierre d'achoppement d'un côté comme de l'autre. « Je constate chaque jour, dit Laberthonnière, que ce qui caractérise le "romanisme" par opposition à mon idéal du catholicisme, c'est d'être un système de mensonge. Le souci de ce qu'on y nomme l'orthodoxie y fait perdre le souci de la vérité. Le pire c'est que beaucoup en ont conscience et qu'ils se font comme une sorte de devoir de pratiquer quand même ce système » [12 juillet 1928]. Vue très lucide. L'abbé Huvelin disait à F. von Hügel : « Il vous faut une très grande liberté d'esprit avec une très grande pureté de cœur ; vous pourriez être très orthodoxe aux yeux des hommes et très mauvais aux yeux de Dieu ... soyez très consciencieux. L'orthodoxie suivra la conscience. »
Entre Boegner et Laberthonnière, en parfaite droiture, il arrive que les vues de l'un complètent ou rectifient celles de l'autre. Après la lecture du livre du pasteur, sur « l'influence de la Réforme », l'oratorien tient à préciser : « Bien que je sois autant sinon plus antiromaniste que vous, je ne saurais voir dans la Réforme tout ce que vous y voyez. Il apparaît nettement, bien que vous n'insistiez pas assez peut-être - aussi n'était-ce pas le lieu - que vous vous rendez compte de ses déficiences. Mais vous mettez à son actif des choses qui ne lui appartiennent pas en propre. Vous dites, par exemple, « l'individu est né au XVIe siècle ». Et en lisant cela j'ai pensé à l'Évangile où il nous est enseigné que chacun de nous est fils de Dieu, que chacun de nous dans son âme a une valeur infinie ou est appelé à en avoir une. J'ai pensé à Origène qui a esquissé si vigoureusement déjà une métaphysique de la personnalité. J'ai pensé à saint François d'Assise ... Vous me direz : mais tout cela avait été refoulé et méconnu par les catholiques romains. J'en conviens. Mais tout cela ne s'en était pas moins fait jour et ne continuait pas moins de s'affirmer - Gerson, les humanistes chrétiens. Et j'ajoute que la façon dont Luther a repêché l'individu en le soustrayant à l'autorité extérieure pour en faire le serf de la grâce ne peut nullement me satisfaire» [22 juillet 1926].
Dans toute cette recherche est-il besoin de manifester leur entente sur un point ainsi précisé par Boegner : « ... j'ai horreur de la phraséologie universitaire ou pieuse qui dissimule un intérêt personnel et égoïste » [6 septembre 1929].
Horreur partagée au moins par quelques-uns de ceux qui participaient aux réunions œcuméniques suscitées par Nicolas Berdiaev, et qui se tinrent, en 1926, dans une maison russe du Boulevard Montparnasse [Pour tout cet épisode, voir pp. 130-134]. Étaient là, représentant l'Orthodoxie Berdiaev, A. Karlachev, G. Troubetskoï, P. Boulgakov, le seul selon Berdiaev, à pouvoir parler au nom de l'Église russe. Du côté de l'Église réformée : le pasteur Boegner, le Prof. Monnier, Wilfred Monod, le Prof. Lessereur « unique calviniste orthodoxe qui, par son aspect extérieur et par sa pensée, paraissait échappé du XVIe siècle », là encore selon Berdiaev. Parmi les catholiques : Maritain, le Père Gillet, le Père Laberthonnière.
Qui avait bien pu avoir l'idée de mettre ces trois là ensemble? Berdiaev peut-être qui connaissait bien et estimait Laberthonnière, mais ne connaissait peut-être pas aussi bien les deux autres. De Maritain il écrira : « Il pouvait se montrer désagréable et dur à l'égard du Père Laberthonnière », et de Gillet : « La façon dont pendant nos réunions, le R. P. Gillet, dominicain, représentant un prince de l'Église, parlait au Père Laberthonnière me déplaisait souverainement ». D'autre part : « J'aimais causer avec le Père Laberthonnière, je m'entendais parfois mieux avec lui qu'avec Maritain et je l'appréciais beaucoup ». « Mon vénéré Père » commençait-il ses lettres.
Boegner, lui aussi, a parlé de ces rencontres interconfessionnelles dans L'exigence œcuménique. Il était frappé de constater chez ces trois catholiques, des philosophies et des théologies violemment opposées. « Je vis dans ces réunions, le thomisme orthodoxe du Père Gillet, le néo-thomisme de Maritain et le véhément antithomisme de Laberthonnière se donner libre cours ». Les réunions se poursuivirent quelque temps, et puis après une discussion orageuse entre les trois catholiques, dont les échos arrivèrent à l'archevêché, Mgr Chaptal, évêque auxiliaire, interdit aux catholiques de participer à des rencontres auxquelles prendrait part le Père Laberthonnière. « Les thomistes cessèrent de venir, note Boegner, et le groupe ne survécut que peu de temps ». Alors qu'une entente compréhensive cherchait à s'établir entre des hommes religieux de confessions différentes, il devait être bien curieux de voir précisément des catholiques s'entre-dévorer.
Les temps n'étaient pas mûrs pour l'œcuménisme ; ils ne l'étaient pas davantage pour un pluralisme fraternel et le Père Laberthonnière n'avait pas fini d'être persécuté, ce qui lui arrachait ces mots : « Faire mourir quelqu'un d'isolement et de misère en le déclarant vitandus, (rejeté de la communauté ecclésiale) n'est-ce pas pire que de le faire mourir sur un bûcher ? »
Certes, l'œcuménisme a progressé ; dans une ouverture fraternelle à la pensée des autres, la rétractation des anathèmes d'un temps révolu, les travaux entrepris en commun, comme la Traduction œcuménique de la Bible, sans parler des travaux du groupe des Dombes et d'autres équipes de travail, la considération apportée aux mariages mixtes, « l'hospitalité eucharistique », même si elle est encore trop restrictive. Bien des signes d'une avancée réelle sur le chemin déjà tracé, aux premières décennies du siècle par ces précurseurs que furent Boegner et Laberthonnière.


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