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05- LA CONDAMNATION DE LAMENNAIS

05- LA CONDAMNATION DE LAMENNAIS

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Date d'ajout : mardi 18 avril 2017

par Georges HOURDIN

TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN, juillet 1982

J’ai publié récemment une vie de Félicité de Lamennais.
L’action, 1e message du petit prêtre breton, ses disciples répandus à travers l’Europe mais surtout à travers la France ont fait de lui. et je l’ai écrit noir sur blanc, un des responsables lointains de l’élection de François Mitterrand à la présidencede la Ve République le 10 mai 1981. Mon affirmation a taquiné quelques critiques qui ont protesté.
Certes, ce que je disais était dit sous forme de raccourci brutal. C’était pourtant exact. Je viens, ici, tenter de le prouver. Mais, d’abord, qui est Lamennais ?
Un étrange magnétisme
Lamennais est né à Saint-Malo en 1782 dans la famille nombreuse (six enfants) d’un armateur bourgeois et riche. Les lointains ancêtres de cette famille étaient des corsaires. Lamennais était un enfant prématuré et ne semblait pas devoir vivre. La violence de sa vitalité leconduisit jusqu’en 1854. Il était petit et sa grosse tête lui retombait sur la poitrine. Il était sensible, grand nerveux, intuitif, actif et pratiquant la marche, le cheval, l’escrime, 1a chasse en dépit de la demi-infirmité qui l’accablait. Lorsqu’il s’animait devant quelqu’un qu’il voulait séduire ou dans la chaleur de la conversation, un étrange magnétisme émanait de lui. Il fascinait. Il entraînait la conviction de ses amis.
Un autre trait de son destin est que Lamennais a vécu dans une grande période de transition. Il est né dans une famille très catholique par les femmes, très libérale par les hommes, qui étaient des marchands ayant besoin pour « armer » leurs bateaux d’obtenir du Pouvoir des lettres de marque. Ils s’efforçaient de rester en bons termes avec les membres du gouvernement, quels qu’ils fussent.
Félicité de Lamennais vécut une grande période historique de transition. Il était né au bord du cratère de ce volcan historique que fut la Révolution française. Il assista aux tueries de la Terreur et de la guerre civile. Il vit à Paris les excès, en sens contraire, de la liberté pendant le Directoire. Il traversa l’Empire et ses gloires affreuses et créatrices. Il rejeta l’ambiguïté de la Restauration puisque la monarchie revenue n’était plus une monarchie absolue ni une république parlementaire. La société paysanne, catholique; autoritaire et hiérarchique d’autrefois disparaissait, peu à peu, sous ses yeux, pour faire place à une société industrielle très nouvelle, urbaine, démocratique, qui sécrétait de nouvelles formes de pauvreté et de nouvelles formes de pensée.
Félicité de Lamennais est un autodidacte. Il a tout appris seul, aidé au début de son éducation par un oncle cultivé, ami des philosophes, qui lui ouvrit les portes de sa bibliothèque. Témoin effrayé d’une sorte de tremblement de terre historique, Félicité de Lamennais a grandi au milieu d’une double tradition, la tradition catholique de la monarchie absolue, la tradition naissante et libérale (celle des philosophes) de la grande révolution politique qui est fille de l’Encyclopédie.
Félicité hésitera beaucoup avant de choisir et finalement ne choisira pas. Il sera longtemps indifférent en matière de religion. A vingt ans il ne sait pas quoi faire de sa vie. Il n’aime que lire et vivre à La Chênaie dans une des grandes propriétés de sa famille, située près de Dinan au milieu des bois. Il connaît tout. Il a appris les langues anciennes et modernes, les mathématiques, l’histoire, la philosophie, la théologie...

Félicité de Lamennais, alors qu’il a vingt ans, a du vague à l’âme. Les femmes le trouvent laid, le repoussent et se détournent de lui. Sa mère est morte alors qu’il avait cinq ans. Il a grandi au milieu des hommes qui parlent de politique et d'argent. Il croit qu’il ne croit à rien, ni à Dieu ni au diable. Il travaille pendant huit ans comme employé de bureau chez son père, l’armateur. Il s’ennuie terriblement. Il aime pourtant beaucoup un de ses frères, Jean-Marie, qui est de peu son aîné et qui est aussi équilibré et calme qu’il est ondoyant, passionné et tourmenté.
Il a encore besoin d’un tuteur spirituel et il en aura encore longtemps besoin avant de se trouver complètement.
Restaurer l’ordre social
A vingt-deux ans Félicité de Lamennais se jette aux pieds de ce frère prêtre, se confesse et fait enfin sa première communion. Il est devenu chrétien. Il commence de travailler avec Jean-Marie qui fondera plus tard la Congrégation des Frères de l’Instruction Chrétienne. Ils écrivent tous les deux des livres d’apologétique. Jean-Marie donne les idées et Félicité les rédige. Ils se consacrent tous les deux à une grande œuvre: « restaurer la religion en France pour restaurer l’ordre social».
Félicité recevra les ordres mineurs en 1808.
Félicité hésite avant d’avancer plus avant dans la voie du sacerdoce. Au moment où Napoléon 1cr débarque au Golfe Juan et chasse Louis XVIII avant d’être, lui-même, au bout de cent jours, définitivement vaincu, Félicité prend le large. Il rêve d’aller vivre aux « Colonies. » Il s’arrête en Angleterre. Il y rencontre l’abbé Carron dont la bonté, la chaleur humaine et la ferveur chrétienne le fixent enfin. Il accepte de se faire prêtre.
Il est ordonné à trente-quatre ans. Un an après il publie, alors qu’il s’est installé à Paris auprès de l’abbé Carron, le premier volume de l’« Essai sur l’indifférence».
Nous sommes en l817. Son livre connaît un succès foudroyant. Il devient l’apologiste le plus connu des Français. Il prend place auprès de Joseph de Maistre et de de Bonald. Il est le chef de l’école traditionaliste... Il est un « ultra » en politique. Mais il sait déjà que les «pauvres » sont le sujet principal de « l’Évangile ».
La suite de cette aventure a beaucoup scandalisé et beaucoup étonné. Félicité de Lamennais a donc choisi de restaurer le catholicisme dans son intégralité mais, ne l’oublions pas, c’est pour rétablir la paix et l’ordre social.
Il défend notamment à cette époque l‘infaillibilité du pape contre les gallicans et les rois de la Restauration. Il pense que la société spirituelle est au-dessus de la société politique. Il imagine que la mission du pape est de proclamer les vérités universelles à la face des peuples et d’être le directeur moral des rois et des chefs de gouvernement.
Quand éclate la révolution en 1830 pendant les journées de juillet et que Charles X reprend le chemin de l’exil, Lamennais fonde avec ses plus proches amis un journal
l’« Avenir ». Il prend comme devise : « Dieu et la liberté ». Il demande dans ces quatre feuilles imprimées, qui paraissent chaque jour et qui sont encore brûlantes lorsqu’on les lit aujourd’hui, la séparation de l’Église et de l’État. Il demande également toutes les libertés politiques et la liberté de conscience, d’enseignement, de presse, de réunion, d’association. Il est formellement partisan de la décentralisation et du pouvoir communal.
Lamennais se bat, entouré par ses amis, pour la liberté des peuples et pour la liberté de la Pologne contre la Russie, pour la liberté de l’Irlande contre l’Angleterre, pour la liberté des Principautés italiennes contre les États temporels de l’Église, sans doute mais surtout contre les interventions autrichiennes, russes et françaises dans cette Italie qui cherche son unité.
Félicité de Lamennais soutient, enfin, avec ses amis, la Belgique catholique qui se soulève contre les princes protestants de la Hollande dont elle dépend. Et la Belgique, libérée, adopte une constitution qui dure encore et qui est, entièrement, d’inspiration ménaisienne. Lamennais et ses disciples fondent enfin « une agence pour La défense de la liberté religieuse » qui livre un certain nombre de combats retentissants. Après avoir fondé la presse chrétienne, telle que nous la pratiquons encore, il invente le militantisme chrétien.
Les pèlerins de la liberté
Lamennais et ses amis de l'« Avenir » sont politiquement en avance de cent trente ans sur leur Église. Il faudra attendre le concile Vatican Il, les pontificats de Paul VI et de Jean-Paul II pour que l’Église défende enfin les droits de l’homme et la liberté politique des chrétiens.
En l832 les idées de l’ « Avenir » scandalisaient les Gallicans, les monarchistes et une partie des évêques français. Tout ce beau monde-là se dressait contre l’« Avenir ». Les abonnements baissèrent et comme ce journal n’en avait que trois mille il ne fut pas difficile de le mettre en difficulté. Lamennais prend alors une grande décision sous l’influence de
Lacordaire. Il décide de partir pour Rome avec deux de ses amis, Lacordaire et Montalembert. Dans cette grande bagarre qu’il a engagée, ceux qu’on appellera désormais les « pèlerins de la liberté » veulent demander l’arbitrage du pape, qui est alors un ancien moine, Grégoire XVI.
Ils sont naïfs et magnifiques, ces trois hommes qui espèrent être soutenus par le pape. Ils oublient ou feignent de ne pas savoir que le pape est, en même temps qu’un prêtre, le roi des États temporels de l’Église, qui sont considérés alors par les théologiens comme étant de fondation divine et comme assurant l’indépendance de l’Église. Grégoire XVI est roi absolu. Il a les mains liées non seulement par la doctrine traditionnelle de l’Église qui dit qu’il faut obéir aux princes mais aussi par son cousinage (je n’ose pas dire son copinage) avecles autres monarques absolus de l’Europe (Voir sur ce point les pièces du procès de condamnation de Lamennais que vient de publier Monsieur Louis Le Guillou aux Éditions Beauchesne.).
Lamennais est venu à Rome pour dire alors à l’Église ou à peu près « La société change. Les monarchies absolues représentent un régime usé. Demain les peuples seront souverains dans des démocraties pluralistes. Si l’Église veut rester fidèle à sa mission qui est de dire la vérité et la morale sociale elle doit revoir sa doctrine, ses structures et ses positions en matière politique. Ce ne sont plus les fils de roi, de prince ou de noble dont elle doit assurer l’éducation et l'instruction mais les fils du peuple qui doivent être informés de leurs droits et de leurs devoirs. Ne seront-ils pas demain électeurs et maîtres du jeu ? »
A la question posée ainsi, Grégoire XVI répondit « non » à Lamennais. Il le condamna, une première fois, en 1832 sans le nommer, en rappelant la doctrine traditionnelle de l’Église en matière politique qui est alors sinon totalitaire tout au moins très unitaire.
L’Église refuse de reconnaître la valeur de toutes les libertés politiques quelles qu’elles soient. Elle continue d’affirmer contre toute évidence qu’il n’y a pas de liberté de presse, de conscience, de pensée, d’association, etc. L’Église doit brûler les mauvais livres, interdire les mauvais journaux.
Grégoire XVI condamna définitivement Lamennais en juin 1834 après qu’il eut marqué sa volonté de faire usage de sa liberté politique et qu’il eut publié (scandale retentissant, succès de librairie sans précédent dans toute l’Europe) « Les Paroles d’un croyant ».
Lamennais, dans de courts poèmes en prose qui rappellent le style des prophètes de la Bible et le rythme des pages qui composent le livre intitulé « Les pélerins politiques », écrit par Mickievicz, le poète national polonais, demandait la liberté contre les tyrans politiques et même économiques ; il prêchait dans une certaine mesure aux peuples la rébellion. Cela scandalisa, je le répète, mais Paul VI, en 1967, dans l’Encyclique sur « le développement des peuples », a dit en rappelant la doctrine traditionnelle de St-Thomas qu’il y avait un droit de révolte contre toute tyrannie prolongée.
La liberté politique des chrétiens
Le prêtre qui, le premier, livra bataille pour demander la liberté politique des chrétiens est Félicité de Lamennais. Il était, lui, davantage républicain démocrate que socialiste. Mais la démocratie garantit à tous les électeurs, chrétiens ou non, la liberté de vote et de pensée. Encore faut-il faire usage de cette liberté.

Au cours du XIXe siècle, dans les départements français qui étaient restés pratiquants, les chrétiens votèrent d’une façon presque continue à droite. Les riches, et la plupart des prêtres s’opposèrent, alors, pour des raisons dites doctrinales, en réalité pour la défense d’intérêts très matériels, aux républicains d’abord, aux socialistes ensuite. Ils dénonçaient par une sorte de manifestation de nostalgie ce qui n’était pas la monarchie et la société d’ancien régime. Il fallut un long combat pour que l’électorat chrétien ne restât pas lié presque organiquement aux candidats monarchistes ou aux candidats de droite.
Lamennais, au cours d’une vie tourmentée, a beaucoup semé ces idées neuves de liberté politique. Il savait et il disait que le grain lèverait un jour ou l’autre. Ses disciples étaient Lacordaire qui resta dans l’Église mais qui était démocrate et qui rendit à la France’ordre dominicain.
Un autre disciple était Montalembert qui se disait libéral, ce qui n’est pas du tout la même chose que d’être démocrate. A la fin de sa vie, en 1864, devant la folie de la publication du « Syllabus », Montalembert se reprit et défendit, à nouveau, la liberté véritable.
L’abbé d’Alzon, un autre lecteur de « l’Avenir », fonda les Assomptionnistes dont certains membres publient aujourd’hui les journaux de « Bayard Livre », naguère la « Bonne Presse »
Cette « Bonne Presse » ne fut pas toujours ménaisienne comme son fondateur. Le journal quotidien « La Croix » est revenu ou venu à des positions démocratiques incontestables. « L’Ouest-Éclair », aujourd’hui « Ouest-France », qui couvre la Bretagne et les départements environnants de ses six cent mille exemplaires, fut fondée autrefois par un abbé démocrate chrétien qui était bien dans la lignée de Lamennais. Le « Sillon », enfin, de Marc Sangnier lui doit beaucoup...
Au nom de Dieu
L’indépendance à l’égard du pouvoir politique, l’indépendance à l’égard de la droite, le souci de la défense des pauvres et de l’Évangile, le souci de soutenir la démocratie et les droits de l’homme, tout cela est d’origine ménaisienne dans le catholicisme moderne. Si en mai et juin 1981 beaucoup d’électeurs, dans les départements de l’ouest et .du centre, ont voté socialiste il est certain que c’est la conséquence lointaine mais incontestable des ruptures, des initiatives, de la vision du prêtre de la Chênaie et de la pulsion donnée par lui au catholicisme européen entre 1824 et 1834.
J’entends bien l’objection. Lorsque Lamennais, en 1836, eut rompu définitivement avec Rome, il abandonna La Chênaie et vint s’installer à Paris. Il entreprenait une nouvelle vie et une action nouvelle pour défendre la forme que ses idées avaient prise. Comment fonder l’ordre social ? Sur quoi s’appuyer pour réunir le consentement de tous autour de quelques valeurs pilotes ? Il avait choisi de s’appuyer désormais sur la souveraineté populaire au lieu de s’appuyer sur l’infaillibilité pontificale. Mais était-i1 socialiste ? Certains disent non. Cela mérite examen.
Lamennais allait comme un errant dans Paris, d’appartement en appartement. Il écrivait, à côté de sa grande synthèse philosophique, des manuels d’éducation populaire. Il était pauvre ou à peu près et il ne refusait pas de l’être.
Cela le rapprochait, disait-il, du prolétariat. Il était devenu, suivant sa propre expression: « un petit homme qui écrivait des petits livres pour les petites gens ». Ces livres, qui sont fort importants, s’appellent « Le livre du peuple », « Le nouvel esclavage ». « Le passé et l’avenir du peuple », « De la religion ». C’est là que l’on saisit, ainsi que dans « Les paroles d’un croyant » sa vraie pensée sociale.
Lamennais a une idée constante. Il pense que les hommes sont égaux sinon en fait, tout au moins en droit et devant Dieu. Ils doivent donc vivre fraternellement. Les riches, qui représentent un dixième seulement de la population, ne doivent en aucun cas dominer et opprimer les autres, ces neuf dixièmes des citoyens pauvres qui représentent le peuple et qui les font vivre par leur travail.
Lamennais a bien compris que si l’esclavage antique a disparu, une nouvelle forme d’esclavage se forme dans les usines et les fabriques de la nouvelle société industrielle où s’entassent une foule d’ouvriers, de femmes et d’enfants, sans limite d’âge, sans aucune réglementation du travail.
Ils sont honteusement exploités. Ils n’ont aucune garantie de salaire et d’assistance en cas de maladie ou de chômage. Ils devraient s’associer pour lutter mais on leur refuse le droit d’association. Ils sont le nombre. S’ils se battent isolément ils sont perdus. S’ils s’unissent pour faire valoir leurs droits et obtenir le suffrage universel et l’éducation gratuite notamment, ils seront les maîtres de l’État. Ils désigneront leurs représentants qui voteront des lois sociales et des lois civiles justes, qui désigneront des juges indépendants du pouvoir.
Une lucidité prophétique
Pour faire reconnaître leurs droits, ces hommes et ces femmes du peuple doivent s’associer, se syndiquer et réaliser la démocratie. Dire cela au nom de Dieu en 1834, c’était dire des nouveautés extraordinaires car Lamennais le faisait avec une grande lucidité, brièvement mais prophétiquement.
Lamennais n’aimait pas, il est vrai, les communistes ni les socialistes utopiques. Il met sans cesse les lecteurs du peuple auxquels il s’adresse en garde contre les chimères du partage des biens et contre le caractère bureaucratique de l’État totalitaire. Il reste le partisan d’un socialisme démocratique, d’un socialisme de solidarité et de responsabilité. Il veut développer les richesses par le développement du crédit et la baisse du taux d’intérêt.
Le niveau de vie s’élèvera alors pour chaque citoyen. Il voyait loin, ce Lamennais, et sa vision prophétique prévoyait les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui.
Lamennais, ce prêtre convaincu, était petit par la taille, grand par l’esprit, passionné de justice et courageux dans la défense de ses idées.
Ces terribles questions que l’histoire posait aux chrétiens en ce début du XIXe siècle, il les avait comprises. Si l’Église voulait être fidèle à sa mission d’éducation populaire elle devait se séparer de la monarchie finissante, affirmait-il. Elle devait s’éloigner du pouvoir. Elle ne devait pas rester complice de la dictature.
Cette question que l’histoire lui posait en 1831 et en 1832, il la répercutait auprès des responsables qui sont à Rome. La réponse affirmative fut apportée seulement en
1904 en France par la séparation de l’Église et de l’État puis, en 1962-1965 par les textes du concile Vatican II qui reconnaissent l’autonomie du temporel et la liberté de conscience.
Une autre question, qui est liée, d’ailleurs, à la première est celle-ci. Il existe un ordre de la loi et un ordre de la conception. Le premier contient les vérités religieuses et il ne change pas. L’autre correspond aux résultats des recherches intellectuelles. Il évolue sans cesse. Certaines formulations de la foi, certaines structures de l’Église doivent faire de même. Ce sont celles qui ne traduisent pas le noyau de la vérité évangélique mais qui tiennent compte de l’évolution historique et profane du monde. C’est cela que la Rome des papes n’accepta pas en 1892. Même encore maintenant et pourtant...
Une société ne peut vivre sans un profond consensus sur les valeurs morales qui unissent les hommes entre eux. Quand il y a de grandes mutations sociales il faut retrouver ce qui constitue le fondement de la certitude morale. Sans cela c’est la décadence.
Nous sommes à nouveau dans une grande période de transition historique. C’est ce qui nous rapproche d’ailleurs chaque jour de Lamennais. Nous nous trouvons en face des mêmes problèmes que les rédacteurs de « L ’Avenir » devaient affronter. C’est pourquoi l’action du maître de La Chênaie reste si actuelle.
« Silence aux pauvres ! »
En 1841, Lamennais publia une nouvelle traduction des Évangiles avec des commentaires de lui. Ses amis et ses lecteurs s’étonnèrent. Il était le premier à mettre en lumière le caractère social et politique du message évangélique. Ceux qui lisaient ce texte fameux étaient habitués jusqu’alors à une interprétation individuelle.
En 1848, Lamennais est élu député de Paris. Il va siéger à l’extrême gauche de l'Assemblée.
Au moment des journées de juin, il se rapproche des socialistes. Il prend pour quelques mois, en 1849, sans aucun espoir de réussir, par pur devoir de citoyen, par haine de la Réaction, la direction d’un journal d’extrême gauche « La Réforme ». Le gouvernement, qui est devenu réactionnaire, rétablit la caution sur la presse. Lamennais annonce alors la disparition de « La Réforme », en concluant son article fameux par la phrase célèbre « Silence aux pauvres ».
En février 1854, Lamennais mourut sans être revenu dans la communion de l’Église. Il mourut croyant à Dieu et manifestant, à sa façon, qu’il pensait à lui presque continûment. L’Archevêché de Paris demanda que la police empêchât toute manifestation de sympathie autour de son cercueil. Le peuple, silencieusement, sortant des rues et des maisons, chercha toutefois à l’entourer une dernière fois. La gendarmerie montée chargea pour couper le cortège. Dix de ses amis seulement purent pénétrer dans le Père Lachaise.
Il avait demandé à être enterré parmi les pauvres et comme eux. Il voulait faire comprendre aux riches que les injustices sociales continuent après la mort. Au moment où son cercueil, soutenu par des cordes, descendait dans la fosse commune où les cercueils sont alignés tête-bêche pour occuper moins de place, les nuages, qui avaient assombri cette matinée se dissipèrent, et le soleil parut. Un avenir meilleur, fait de plus de liberté, s’offrait, après tant de luttes, aux chrétiens. Nous en profitons toujours !


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