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BAP n°60 AU CŒUR DES SCIENCES. Une métaphysique rigoureuse

BAP n°60 AU CŒUR DES SCIENCES. Une métaphysique rigoureuse

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Date d'ajout : lundi 25 janvier 2016

par Philippe DALLEUR

REVUE : REVUE PHILOSOPHIQUE DE LOUVAIN, août 1998

Les auteurs sont professeurs de philosophie des sciences (aux Facultés Notre-Darne de la Paix à Namur et à l'Université Grégorienne de Rome respectivement). Ils ont été frappés par le manque de fondements métaphysiques dans l'enseignement et la recherche scientifiques, et en sont arrivés à concevoir des « Prolégomènes » à une métaphysique rigoureuse. Ils entendent trouver une méthode critique ferme pour justifier les fondements de la connaissance scientifique. Ils se situent dans la ligne tracée par L'Action de Blondel, par la méthode transcendantale de Maréchal, par l'analyse dialectique de Lonergan et par « l'argument de rétorsion » étudié en profondeur par Isaye. Le monde scientifique étant plus enclin à la rigueur mathématique qu'à la « critique réaliste », un premier chapitre est consacré à la recherche du fondement des mathématiques. Le point d'union entre la logique mathématique et la réflexion métaphysique se concrétise dans un second chapitre dans les méthodes de rétorsion Isayenne et d'implication blondélienne. La solution viendra dans un troisième chapitre. On peut donc se réjouir de voir un ouvrage qui retourne aux sources de la démarche philosophique et entraîne le lecteur dans une réflexion entamée par les grands philosophes.
D'emblée, les auteurs font remarquer que les mathématiques sont incapables de rendre compte de leur point de départ et de la fécondité de leur méthode. Elles ne proviennent pas uniquement de conventions purement arbitraires, mais utilisent des concepts fondateurs et des tensions irréductibles, par exemple : le concept de vérité, exprimé mathématiquement dans celui de démontrabilité, est en butte à l'incomplétude des propositions démontrables, le fameux théorème de Gödel [Dans sa version syntaxique, il stipule que, dans tout langage formel (comme celui des mathématiques) comprenant l'arithmétique élémentaire, il existe au moins une proposition indécidable.] Ce dernier n'est aucunement dicté par la logique interne du langage formel. Sa pleine justification fait appel à une intuition proprement méta-mathématique, liée à des représentations a priori que le mathématicien conçoit dans la formalisation et le choix des axiomes. L'action intellectuelle du mathématicien marque génétiquement les mathématiques. Par exemple, l'ensemble fini de propositions ne pourra suffire à déterminer adéquatement l'objet intuitif qu'est le nombre premier. La vérité mathéatique déborde la démontrabilité [On échappe encore à une formalisation purement mathématique dans la version sémantique du théorème de Gödel : une proposition vraie dans un modèle d'un langage formel n'est pas nécessairement démontrable à partir de son axiomatique, en raison du fait que les divers modèles peuvent admettre des propriétés différentes et même contradictoires.]. On observe encore le caractère indémontrable, au sein des mathématiques, du concept de cohérence, qui se traduit par l'exigence de non-contradiction, ainsi que des diverses notions d'ensemble, de nombre naturel, d'espace, de structure, de couples fini / infini, local/global, d'analogie et de dualité (théorèmes de dualité, de Riez, etc.). Ces objets trouvent leur justification dans une sorte d'intuition dynamique qui tend à leur affirmation. On note ainsi le paradoxe d'une mathématique fondée sur une précompréhension intuitive de concepts métaphysiques. Le formalisme mathématique ne se referme pas sur lui-même, mais invite à chercher, dans l'acte qui l'engendre, les raisons de son intelligibilité.
Les professeurs évaluent ensuite cinq hypothèses philosophiques sur la structure des mathématiques. L'hypothèse platonicienne, reprise aujourd'hui par Connes et Penrose, pousse à l'excès l'autonomie des concepts et théories dans un monde à part, indépendant du mathématicien. L'hypothèse kantienne, à l'inverse, fonde les mathématiques sur des nécessités épistémologiques a priori, en les réduisant à une grille de construction statique propre au sujet mathématicien transcendantal. L'hypothèse empiriste les voit comme abstraction du sensible, et néglige le développement propre de leur logique interne. L'hypothèse formaliste, qui rappelle Wittgenstein et Poincaré, les regarde comme un jeu de constructions arbitraires et conventionnelles, et fut mise à mal par Gödel. Enfin, l'hypothèse de Cavaillès élabore une "dialectique des concepts", qui dévoile une exigence interne de dépassement du contenu formel des concepts.
Les auteurs découvrent une telle exigence méta-mathématique dans la méthode critique fondée sur la rétorsion aristotélicienne ou intelligible, étudiée par Isaye en suivant le postulat critique de Blondel et sa solution de l'impossibilité d'un doute universel en acte chez le sophiste: l'affirmation (de la recherche, du doute même, etc.), incontournable, empêche ce dernier de pratiquer en acte ce qu'il défend en parole, s'il ne veut pas tomber dans le mutisme complet de l'autiste. L'action dégage du doute : nier en acte la proposition "Il y a des assertions", confirme cette même proposition dans l'acte d'affirmation de sa négation. Nos auteurs citent une série de propositions justifiables par rétorsion intelligible : "Affirmer, c'est se prétendre objectif', "Il y a des jugements vrais", "Toute assertion strictement nécessaire est vraie", "Il y a des jugements vrais dont le prédicat est universel", "Il y a des jugements vrais dont le sujet est universel", "Il m'arrive de me tromper" ainsi que les principes de non-contradiction et de tiers-exclu. La rétorsion trouvera chez l'objectant sophiste : une contradiction en exercice entre l'énoncé et l'acte de sa négation, mais aussi un accord implicite inévitable sur le principe en question. En fait, la rétorsion intelligible ne démontre rien, mais montre la nécessité d'affirmer le principe, manifeste consciemment les intuitions universelles implicitement mises en œuvre dans nos connaissances.
Outre la rétorsion intelligible, il existe aussi une rétorsion dans le dialogue, ou rétorsion seconde, mise en évidence par Isaye également, qui se fonde sur les accords nécessaires d'ordre sensible dans tout dialogue. "Toute vérité de la connaissance sensible est saisie par intuition et peut être défendue par une rétorsion dans le dialogue contre toute objection extérieure". Cette rétorsion servira à établir les fondements des sciences expérimentales.
L'argument de rétorsion constitue l'armature secrète de la méthode blondélienne d'implication. Tous les aspects de la réalité sont impliqués dans la recherche de la vérité. Chaque singulier inspire l'universel dans une tension dynamique vers lui, et l'enrichit en même temps de sa propre singularité. L'association de la rétorsion et de la méthode d'immanence ouvre les portes à une métaphysique réaliste rigoureuse. Des points de départ possibles pour la métaphysique seront l'analyse du jugement comme jugement et l'étude de l'acte moral libre, dont le propre est d'obliger sans nécessité. Une rétorsion seconde montrera qu'une morale du bien et qu'une liberté existent. Par exemple, le mensonge ne peut être érigé en règle. Dans l'acte même par lequel l'objectant s'oppose à cette affirmation, il concède implicitement que j'accorde foi à ses dires. Tout mensonge s'appuie sur l'obligation morale de sincérité, Sans obligation morale, tout dialogue devient impossible, et aucune règle morale ne peut être ni affirmée, ni niée. Or l'objectant de la loi morale est obligé de compter sur les obligations morales corrélatives de sincérité et de confiance pour espérer me convaincre: il reconnaît implicitement, en acte, l'existence d'une loi morale et par là aussi de la liberté.
Dans un troisième chapitre, l'ouvrage aborde le problème de l'articulation entre les sciences et la métaphysique, essayant d'abattre leur "mur séparateur" évoqué par Schrödinger. Le concordisme métaphysique place les deux discours au même niveau, et pense qu'une physique généralisée expliquerait tout sur l'être et la nature. Le discordisrne rnétaphysique y voit des domaines hétérogènes. Il est représenté par trois courants. Les conventionalistes regardent les sciences comme des conventions qui ne nous disent rien sur le réel en tant que tel. Ils conçoivent pourtant des explications et recherchent des justifications à leurs conventions, comme on le voit dans le problème de l'homogénéité et de l'isotropie de l'univers : le pourquoi sous-tend les réponses avancées, anthropiques ou inflationnaires, ce qui est déjà une attitude métaphysique. Les pragmatiques considèrent la science comme génétiquement tournée vers des applications pratiques, assertion difficile à soutenir par exemple pour la relativité généralisée, la grande unification ou la théorie des monopoles magnétiques, où l'on retrouve des intérêts purement esthétiques. Qu'on le veuille ou non, le cœur de l'agir de l'homme de science ne se réduit pas au formalisme ou au pragmatisme. L'idéalisme kantien est plus radical, niant toute pertinence à la métaphysique, qui ne subsiste que comme "horizon conceptuel" régulateur. Les idées d'intention, de but, de finalité, ne sont-elles que régulatrices ? Le scientifique élabore-t-il ses expériences comme si les lois physico-chimiques existaient réellement sans y voir autre chose qu'une fiction ? L'efficacité de l'idée régulatrice ne plaide-t-elle pas en faveur d'un fondement hors des sciences, méta-physique, des conditions de possibilités ? Le problème du réel ne peut trouver de réponse satisfaisante dans une science qui, se voulant autosuffisante, rejette en son sein tout ce qui ne vient pas d'elle: on rejoint, ici encore, une certaine incomplétude.
Ayant écarté le concordisrne et le discordisrne, les auteurs établissent deux conditions à respecter pour déterminer l'articulation entre les sciences et la métaphysique : 1) Une hétérogénéité stricte doit être maintenue entre les sciences positives et la métaphysique; 2) l'articulation ne peut cependant être pensée comme juxtaposition de domaines hétérogènes, mais comme interaction dynamique.
L'analogie formelle entre sciences et métaphysique se constate dans cette même recherche rigoureuse des fondements et d'unification du savoir. La forme (l'âme) de l'activité scientifique s'efforce de circonscrire une réalité mathématique ou empirique qui n'est pas purement inintelligible : le rôle heuristique du postulat d'intelligibilité et de la vision structurée d'une réalité est présent dans la genèse de la science, et l'âme de son activité en est proprement métaphysique. Les concepts scientifiques ne sont pas métaphysiques mais sont commandés par des principes métaphysiques: les deux conditions citées sont donc vérifiées. L'homme de science va de la métaphysique à la science. L'intuition de ce qu'est la pensée conduit au concept de cohérence, d'organisation, de structure; l'intuition de la notion d'être conduit aux notions de stabilité, de conservation; l'intuition de l'action est corrélative au notions de changement, d'événement et d'interaction. Ces trois intuitions s'impliquent mutuellement. L'usage de la rétorsion et de l'implication conduisent à fonder la nécessité de la pensée, de l'être et de l'action. Ceci constitue la trame métaphysique de notre connaissance et de nos expériences. On parlera de structures mathématiques, d'efficacité des mathématiques dans les théories topologiques des champs, de jauge, de lois de conservation, d'invariance, etc., comme autant de formes liées aux concepts métaphysiques.
En outre, la méthode d'induction appliquée aux sciences expérimentales manifeste une articulation inductive, où le mouvement part de la connaissance scientifique pour aboutir au perfectionnement des connaissances métaphysiques. Popper tente de s'en passer par sa théorie de la falsification, Carnap l'associe au degré de confirmation empirique d'une hypothèse. Ces solutions sont pauvres. La rétorsion au contraire, montre que celui qui objecte contre la légitimité de l'induction, l'utilise pour se faire comprendre : il admet la présence de lois physiques stables, de régularités universelles repérables pour pouvoir nous transmettre ses objections. Quant à l'induction elle-même, elle est un risque calculé et nécessaire pour avancer dans la conquête des champs phénoménaux.
Nous captons plus que des lois scientifiques dans les données expérimentales. De l'observation d'un dialogue entre humains, on ne capte pas que les lois des ondes sonores ou la physiologie des organes. On capte des intentions: il s'agit alors proprement d'inductions métaphysiques. Néanmoins, l'articulation inductive ne met en évidence qu'une méthode légitime, exigeant d'autres critères, d'ordre statistique, pour expliquer les interprétations métaphysiques du champ phénoménal. Mais cette faiblesse apparente est compensée par un "argument de cohérence". La rétorsion est la trace d'un vinculum profond qui relie sans confusion les champs épistémologiques et métaphysiques, rendant possible un réalisme intégral.
En annexe les auteurs donnent une justification par rétorsion du principe anthropique faible avec les implications cosmologiques que cela comporte.
Cette publication débat des questions fondamentales et intéresse la démarche épistémologique et la source du savoir scientifique, et entend leur donner une base métaphysique valable et rigoureuse, Certains réalistes objecteront peut-être le manque d'efficacité apodictique de la rétorsion seconde ainsi que son caractère de risque calculé. Le lecteur regrettera aussi la présence de certaines erreurs grammaticales et typographiques ainsi que le manque précision dans diverses citations de référence. Cependant, émaillé d'exemples suggestifs, le texte se laisse lire, à part quelques exemples de théories trop spécialisées qui exigent une connaissance plus qu'approfondie des sciences et des mathématiques. La présentation est claire et structurée : elle résume et harmonise bien les solutions apportées par Isaye et Blondel. La proposition est séduisante et devrait permettre de rétablir un dialogue entre métaphysiciens et scientifiques. Elle donne une extension d'application de la rétorsion et de l'implication qui n'est pas habituelle, Un des mérites de l'ouvrage est de montrer l'étendue et la fécondité de cette démarche: puissent de nombreux logiciens, métaphysiciens, mathématiciens et scientifiques y trouver un modèle de rapprochement de leurs disciplines.


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