REVUE : COURRIER DE MONDAYE, 1998

La métaphysique a encore un bel avenir devant elle. Paraît-il ! En tous les cas, c'est le souhait que manifeste le Saint Père dans la toute récente encyclique fides et ratio consacrée aux exigences philosophiques du christianisme au seuil du troisième millénaire, puisqu'il y défend la « nécessité d'une philosophie de portée authentiquement métaphysique ». C’est à servir ce pieux et noble dessein que nous voudrions ici œuvrer en présentant un monument d'érudition que nous devons au Père François Marty, de la Compagnie de Jésus. Et en si bonne compagnie, on ne prend d'autre risque qu'à être édifié.
Cette nouveauté éditoriale est en réalité la réédition d'un ouvrage initialement paru en 1980, reprenant lui-même une thèse de doctorat d'état soutenue en Sorbonne cinq ans auparavant. Vingt cinq ans plus tard, cet ouvrage garde tout son intérêt et c'est ce que nous voudrions montrer à qui n'en lirait que le titre.
Pour le bachelier moyen que je suis resté, Kant n'était autre que le fossoyeur de la métaphysique, le champion du sujet vainqueur de l'être, le thuriféraire de la conscience connaissante. Pourquoi donc étudier La Naissance de la métaphysique chez Kant puisqu'elle est sensée y agoniser ?
En un certain sens, il y a bien chez Kant la fin, non pas de la métaphysique, mais la fin d'une métaphysique : celle qui fut constituée et développée à la façon d'un dogme et enseignée par les manuels. Mais, à l'inverse, Fr. Marty s'autorise une lecture des trois Critiques qui distingue le point de départ, les conditions de possibilité d'une nouvelle métaphysique, la métaphysique conçue comme science, la seule possible après l'avènement de la science newtonienne : « Kant pense avoir réussi le projet d'une métaphysique comme science. Il appuie cette conviction sur ce qu'est la Critique elle-même, valant alors comme première partie de la métaphysique. Il ne fait pas de doute qu'ici nous puissions parler de science »
Pour pouvoir se prétendre scientifique, la métaphysique fondée sur une base critique doit parvenir à une connaissance rationnelle : « Le rapport à transporter en métaphysique est donc celui ou l'esprit humain, en son activité théorique, se donne comme pleine raison, mais dans la finitude. » Mais cela ne suffit pas. Pour pouvoir parler de science en métaphysique encore faut-il pouvoir justifier d'une réalité empirique, similaire à la vérification expérimentale propre au modèle scientifique des mathématiques et de la physique. Cette vérification existe bien, sous le mode de l'analogie de liberté : « Kant formule deux exigences, aptes à jouer un rôle de contrôle. La première est le rapport à une liberté, qui se pose en un acte de décision. La seconde, simple suite de la première, est l'exigence d'effectivité pour cette liberté, exigence qu'il renvoie au niveau politique. » Il ne peut y avoir de liberté intérieure effective qui ne trouverait pas à s'exprimer dans le monde sensible. « Ainsi se vérifie une nouvelle fois le statut de la philosophie kantienne: elle ne cesse de naître, là où l'homme se décide à nouveau pour sa tâche de liberté; elle n'est pas le discours gratuit, dont on pourrait se dispenser. »