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BAP n°28 PLATON ET L’IDÉALISME ALLEMAND (1770-1830)

BAP n°28 PLATON ET L’IDÉALISME ALLEMAND (1770-1830)

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Date d'ajout : mardi 21 mars 2017

par Maurice CORVEZ

REVUE : REVUE THOMISTE 1981, 4

La thèse que présente l'ouvrage de J.-L. Vieillard-Baron est la persistance du platonisme spirituel à travers le rationalisme de l'Aufklärung et dans l'idéalisme allemand, singulièrement chez Hegel, dont un visage nouveau nous est ainsi proposé. Avec un prodige d'érudition bibliographique minutieuse, l'A. a composé une sorte de rhapsodie de l'histoire de la philosophie et des idées qui, sans négliger l'intérêt des auteurs secondaires, s'élève progressivement jusqu'à évoquer, sinon à trancher, les points cruciaux de la plus haute métaphysique. Son dessein n'est pas de proposer une exégèse « objective », mais de rendre présents Platon et Hegel, et de « justifier un peu » cette présence étrange et « captivante ». L'étude de l'interprétation hégélienne de Platon se situe pour lui dans le cadre plus vaste d'une enquête sur ce qui peut vraiment être dit platonicien chez Giordano Bruno, Jacob Bœhme et Spinoza. Il apparaît alors qu'en approfondissant Platon, l'idéalisme allemand a opéré une rupture qui fonde la métaphysique moderne : rupture d'abord avec l'aristotélisme présent encore chez Suarez, Wolff et Kant.
Une première partie : « Un déchiffrage difficile » analyse, après un article « Platon » de Brucker, les positions de Kant et de Leibniz à l'égard de Platon. Kant, « admirateur et critique », semble n'avoir jamais fait aucun effort pour comprendre la pensée platonicienne en elle-même (p. 51). Il reproche à Platon sa mauvaise « déduction » des Idées, un bond dans le supra-sensible, et sa mysticité. Leibniz par contre, « vrai lecteur de Platon au XVIIIe siècle », déclare l'affinité réelle de sa philosophie avec celle du Maître.
Une deuxième partie examine, dans les derniers détails, les « variations sur le thème de Platon » qui se partagent deux directions fondamentales : la modernisation des dialogues d'un Platon rationaliste et l'initiation platonicienne à l'école d'un Platon ésotérique et chrétien. Une dizaine d'écrivains mineurs sont ainsi étudiés avec une compétence et un sérieux remarquables.
La troisième partie : « L'aurore d'Iéna et la nostalgie de Platon » étudie d'abord Fichte, ou la renaissance comme rupture, puis Platon et Jacob Bœhme. C'est le   jour qui se lève ». « Le platonisme de Hegel à Iéna », qui lui fait suite, analyse le platonisme dans l'être et le connaître, dans la réflexion morale et politique. Grâce à Hegel, le retour à Platon prend forme avec la réflexion politique de Schelling. Le chapitre suivant (« Le cosmos et son âme ») nous présente 'la problématique de « l'âme du monde » jusqu'en 1798, où Schelling publie son Âme du Monde, puis dans les années qui suivent. Le « Platon des philologues » termine cette troisième partie.
Ce que montre surtout la nostalgie de Platon à l'époque d'Iéna, c'est le retour à la métaphysique traditionnelle par l'intermédiaire des catégories platoniciennes, en rupture avec la « scolastique aristotélisante » qui restait présente de Mélanchthon à Wolff. Ce recours à Platon a signifié aussi la volonté d'une réflexion personnelle, en particulier en matière morale et politique. Celle-ci n'est pas sans critique à l'égard de Platon, et l'effervescence intellectuelle d'Iéna est encore loin de la sereine interprétation de Platon que présentera Hegel devant son auditoire berlinois. Une telle activité marque cependant un pas décisif par rapport à la renaissance de Platon à la fin du XVIIIe siècle.
La partie la plus importante de l'ouvrage est intitulée: « Interprétation et assimilation de Platon dans le système hégélien. » Elle comporte une introduction générale à Platon ; Hegel et la dialectique de Platon; Hegel et le Timée; Hegel face à la République de Platon. On peut souligner comme points particulièrement intéressants dans la série de ces réflexions : le problème du mythe dans les dialogues, le mythe de la caverne, la valeur de la philosophie pour elle-même et pour la cité, la réminiscence et l'intériorisation de la pensée, la notion de Dieu. A propos de la dialectique de Platon : l'Idée, la difficulté de lire Platon, la dialectique spéculative, l'ésotérique, le Philèbe, le Parménide. Au sujet du Timée sont abordés certains problèmes historiques et philologiques, la nature de Dieu, Dieu et le monde, l'âme du monde, le don de prophétie. Enfin, dans « Face à la République », nous sont exposés la valeur de celle-ci, expression de la morale vécue en Grèce, ses défauts et leur discussion au sein de la philosophie hégélienne du droit.
Notons quelques réflexions de l'A. qui nous ont paru lui être plus personnelles. Ce n'est pas qu'il ait voulu prendre position sur le fond des doctrines, mais dégager seulement le mouvement par lequel Hegel s'est fait lui-même en lisant Platon. L'assimilation de grands schèmes platoniciens comme matériaux pour l'édification d'un système « dont nul ne conteste la valeur » implique, à ses yeux, une interprétation de Platon plus pénétrante que celle d'Aristote. L'univers de pensée où se meut Hegel, à la différence de celui du Stagirite, n'est pas un monde de choses ; il est tout entier animé par l'Idée, dont on peut dire qu'elle est l'âme du monde hégélien (p. 227). (Le monde d'Aristote serait-il un « monde de choses » ? La vraie connaissance consiste à « considérer l'Universel pour soi-même, l'Universel spirituel » et « la pensée est l'activité de l'universel ». Cet « universel » n'est pas l'universel « abstrait » qui ferait de lui le résultat d'une opération de l'esprit, mais l'acte de se réfléchir en soi-même, l'acte de se poser égal à soi-même, identique à soi, immuablement (p. 256). En ce qu'elle est le concept absolu, qui a en lui-même son objectivité (p. 227), l'idée hégélienne est platonicienne. Cependant Hegel force quelque peu la pensée platonicienne en retrouvant dans l'Idée de Platon sa propre conception de l'Idée. Ainsi quand il exprime l'unité de l'être et du non-être : là où Platon dit « entrelacement », Hegel traduit « union ». Chez lui, l'union de l'être et du non-être a un sens spéculatif, qui est celui de la logique de l'être. De même, l'Idée est le vrai en et pour soi, comme elle est le sujet-objet, l'unité de l'idéel et du réel, du fini et de l'infini, de l'âme et du corps (p. 274). Mais l'Idée platonicienne n'est pas encore l'Idée hégélienne, car elle n'est pas seulement le vrai en et pour soi, elle est aussi le genre et l'espèce des choses concrètes (p. 275).
La dialectique de Hegel traite du logos dans son autodéploiement ; elle est la Logique, où l'Idée se manifeste dans sa séparation d'avec la nature (p. 269). L'universel est l'idéel, le vrai, la pensée, déterminée dans son opposition au sensible. L'Idée est l'unique réel, le degré suprême de réalité, et, comme chez Platon, la perception est illusion (p. 248). Cependant, s'il n'y a pas d'au-delà du réel, il y a un en deçà du réel, faute de quoi la pensée hégélienne sera comprise comme ce qui justifie tout. Il y a donc un rapport de l'idéel à l'événement. L'Esprit est au travail dans le monde historique à travers tous les actes humains, ce qui ne signifie pas que les ombres de la caverne soient la condition de la réalité de l'Idée (p. 272).
Au sujet de l'âme, on peut encore noter que, pour Hegel, la pensée est l'essence de l'âme, en laquelle le philosophe ne veut voir que la pensée universelle. Car l'âme est en et pour soi, et l'Idée du beau, du bon, du juste est aussi l'Idée de ce qui est en et pour soi (p. 262). La pensée n'est pas la propriété de l'âme, mais sa substance, car la substance vivante est l'être, qui est sujet en vérité, et qu'on peut appliquer à l'âme dans la mesure où elle ne saurait être étrangère au Vrai (p. 256). Hegel ne rejette pas l'individualité de l'âme, mais la considère seulement comme subordonnée à la pensée. Quant à l'immortalité, elle n'est pas une propriété de l'âme, mais plutôt son autodéploiement conceptuel (p. 258).
Il y aurait eu beaucoup à dire sur les développements ultérieurs de cette partie importante. A la fin, nous aurions rencontré l'idée hégélienne de l'Esprit absolu, où l'art, la religion et la philosophie trouvent leur unité et leur diversité.
Par manière de conclusion, examinant ce que Hegel doit à Platon, l'A. se persuade que les deux pensées sont soudées l'une à l'autre dans la vérité de la réminiscence et de la dialectique. Elles reposent sur la même vérité fondamentale : l'affirmation d'un Non-Moi absolu comme réalité suprême qui s'exprime à travers la dés appropriation du philosophe (p. 373). La vraie réalité est l'Idée. Chez Platon comme chez Hegel, il y a un effort d'assimilation du sujet à la réflexion philosophique, en tant que préalable indispensable à la compréhension du mouvement autonome de l'absolu lui-même : c'est la dialectique ascendante chez Platon, c'est la science des expériences de la conscience chez Hegel (p. 373). Mais il faut admettre que la réflexion devenant absolue ne peut plus s'interroger en priorité, comme chez Kant, sur les conditions dans lesquelles son exercice est possible (p. 378). Sans doute, dirions-nous, mais encore faut-il qu'elle ne perde pas le contact avec la réalité immédiate. L'avenir de la philosophie idéaliste serait dans la synthèse de l'intersubjectivité fichtéenne et du savoir absolu hégélien.
Les dernières notations de l'ouvrage nous rappellent qu'à Hegel manquait le sens de l'unité profonde entre le travail philologique de décryptage technique du texte, et le travail théorique du commentaire. Son souci était de comprendre les contenus doctrinaux par lesquels Platon apporte sa contribution à l'histoire de l'Esprit. Aussi bien, son interprétation nous aide-t-elle plus à comprendre Hegel qu'à comprendre Platon. Mais, aux yeux de l'A., c'est là le mérite exemplaire du commentaire hégélien de Platon : celui de montrer que la réflexion philosophique sur le texte doit avoir la priorité, car elle seule peut poser dans toute leur ampleur les questions de sens, au sein d'une conception unitaire de la pensée humaine (p. 386). - C'est une façon, peut-on croire, d'entendre la signification du mot « commentaire ». Qu'on l'ait comprise autrement ne prouve pas que les attaques contre Hegel, celle de Kierkegaard en particulier, « témoignent d'une revanche de la non-philosophie », ou que « la philosophie se fait revendicative, manifeste une négativité non créatrice » (p. 387). Une bonne philosophie doit être idéaliste et réaliste, et s'il était avéré, comme le pense le philosophe danois, que le « système » hégélien exerce sur l'individu l'oppression de l'universel, ce système ne serait pas, assurément, une philosophie bonne et vraie.


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