Editions BEAUCHESNE

38.00 €

BAP n°29 JEAN-JACQUES ROUSSEAU ET LA CRISE CONTEMPORAINE DE LA CONSCIENCE

BAP n°29 JEAN-JACQUES ROUSSEAU ET LA CRISE CONTEMPORAINE DE LA CONSCIENCE

Ajouter au panier

Date d'ajout : mardi 21 mars 2017

par Maurice CORVEZ

REVUE : REVUE THOMISTE 1981, 4

A l'occasion du deuxième centenaire de la mort de J.-J. Rousseau, un colloque international s'est tenu, du 5 au 8 septembre 1978, au Centre culturel « Les Fontaines » à Chantilly. Douze contributions, suivies de débats, nous en sont présentées.
1. Jean-Louis Leuba, dans un exposé érudit et parfaitement mesure sur « Rousseau et le milieu calviniste de sa jeunesse », note les influences que Rousseau a subies, ou non, dans sa Genève natale au temps de son enfance et de son adolescence. Jean-Jacques est un Genevois authentique, un calviniste, mais un calviniste du XVIIIe siècle. Cette souche première est bien reconnaissable sous l'efflorescence géniale que lui ajoutèrent les années de la maturité.
2. A travers l'histoire des démêlés de Rousseau avec la Sorbonne, qui nous est contée par Jean-Robert Armogathe : « Émile et la Sorbonne », la condamnation de l'Émile se révèle comme une procédure complexe qui doit s'inscrire dans la série des censures portées par la Faculté de théologie au cours des années 1760. C'est un domaine qui permet de voir que cette Faculté ne constitue pas un rempart inconditionnel de l'orthodoxie et que, aux yeux de l'A., il s'agit aussi, en grande partie, d'un règlement de comptes, sur le dos de Rousseau, entre théologiens catholiques (p. 77). Leurs griefs gravitent autour de trois imputations d'importance croissante : blasphème et impiété, ignorance de la vraie religion, opposition aux principes de la raison.
3. Dans une communication pénétrante et justement critique, Jean Lacroix tente d'abord d'analyser et de définir la nature profonde et intime de « la conscience selon Rousseau », puis de dégager ses rapports avec le sentiment et la raison. Nous ne pouvons même pas évoquer ici en quelques mots les richesses de la pensée et de son commentaire.
4. L'analyse très judicieuse de l'Émile amène Jeannine Eon, dans « Le roman de la nature humaine », à conclure que Jean-Jacques y met en question toute la pédagogie traditionnelle, laquelle repose selon lui sur une conception erronée de l'homme, tandis que sa propre pédagogie est fondée sur une psychologie de l'homme naturel. Estimant qu'il faut guérir le mal par le mal, il combat l'imagination par l'imagination et fait voir que la fiction constitue le meilleur moyen pour reconduire au réel. Rousseau ne se proposait pas d'écrire un manuel de pédagogie pratique, mais un traité de philosophie. Rapportée à l'intention qui y préside, l'élaboration romanesque ne comporte nulle maladresse; elle résulte d'un choix délibéré et exprime la convenance entre un mode d'exposé et un dessein philosophique. Si l'Émile n'est pas un manuel de pédagogie, il reste, pense l'A., le modèle dont il faut s'inspirer pour réussir à transformer la société.
5. Pour le kantien et marxiste Bernard Rousset : « La question de la directivité », nous ne pouvons nous en remettre à la non-directivité, à la spontanéité de la nature; nous ne pouvons que vouloir la transparence de la culture et des pratiques pédagogiques et politiques face à tout risque d'assujettissement. La solution pratique est dans la directivité « matérielle », celle qui procure les moyens de percevoir, de dénoncer et de détruire les assujettissements. Aussi bien le refus de la directivité, chez Rousseau, n'est que le refus de l'arbitraire et la volonté de cette transparence qui élimine le mensonge et l'intérêt.
6. Il s'agit, dans l'exposé d'Angèle Kremer-Marietti sur « Droit naturel et état de nature chez Rousseau », de formuler l'originalité de Rousseau, en démêlant ce qu'il entend par droit naturel, par état de nature, et ce qu'il en est de leurs rapports. Il faut, pour cela, le situer dans le contexte des jurisconsultes et de leurs grands prédécesseurs, Pufendorf surtout et Grotius.
A l'homme de la nature Rousseau accorde la volonté et la liberté, les capacités d'observation et d'imitation, l'amour de soi, la perfectibilité et la pitié (p. 182). Ces principes, antérieurs à la raison, ce sont les « vrais besoins », les besoins physiques, qui composent la loi naturelle, le droit de la nature. Du « cœur », ou de la « pitié originelle » inhérente à l'état de nature, découlent toutes les vertus sociales, toutes les règles du droit naturel, qui constituent la « norme » nécessaire, supérieure au droit naturel.
7. L'étude de Laurent Gagnebin : « Jean-Jacques Rousseau ou les chemins du réalisme, Le problème du mal » se propose d'établir que la thèse selon laquelle l'homme naît bon n'est là que pour mettre en évidence notre culpabilité décisive (p. 219). Le mal est notre ouvrage. Devant le spectacle du mal, je me sais coupable, je me veux responsable (p. 233), mais ce n'est pas que ma nature soit mauvaise. Rousseau vise une éthique, veut souligner notre responsabilité, établir un système. Pour y parvenir, il a besoin d'un « postulat méthodique », d'une hypothèse imaginaire, mythique, dont il puisse tirer les conclusions qu'il désire. Soit. Mais ce n'est pas une raison pour dire, avec l'A., que cette fiction est « indispensable » pour parvenir à la vérité; qu'elle est rendue « absolument impérieuse et inévitable » ; que ce postulat est vrai par les conséquences qui en découlent et qui, seules, le justifient après coup (p. 217 s.). On peut estimer qu'on est coupable sans se croire doté, pour autant, d'une nature « bonne », dont les premiers mouvements seraient droits, encore que si cette nature n'est pas bonne, de cette sorte d'intégrité, elle soit vraiment coupable par elle-même.
8. La question fondamentale pour Rousseau ne porte pas, selon Pierre-Paul Clément : « Culpabilité et innocence », sur la nature du mal mais sur son origine. Comment le mal, étranger à la nature humaine, a-t-il pu se glisser et s'enraciner en elle ? Jean-Jacques a toujours éprouvé la possibilité du mal comme installée en lui, mais longtemps il refusera de voir que le désir mauvais est en nous et qu'il finit toujours par émerger. Une stratégie de disculpation lui présentera la « dénaturation » comme une rencontre accidentelle qui peut être évitée tant que les sens n'ouvrent pas de brèche par où le mal puisse pénétrer dans un cœur pur. Lorsque le mal finit par lui apparaître, Rousseau s'applique à rejeter la faute sur un agent extérieur et sur le système social. Mais le moment arrive où le rejet de l'accusation sur la société ne suffit plus à expulser le mal de la sphère du moi. S'interrogeant alors sur ses fautes passées, il se rappelle les situations où le mal ne semble imputable qu'à lui seul. Il finit ainsi par accepter l'idée que le mal existe en lui et chez les autres.
Cependant la nature de Rousseau, faite d'antinomies insurmontables, perpétue en lui le débat entre un Jean-Jacques bon par nature et un Jean-Jacques responsable de certaines fautes inexplicables. Son moi est cruellement déchiré entre la conviction d'une innocence vécue autrefois puis retrouvée, et la présence sournoise d'un savoir traumatique qui se nie: sentiment obscur d'une faute enfouie dans les limites de la conscience.
Pour P.-P. Clément, Rousseau est un « novateur étonnant » qui est descendu dans le labyrinthe où nous nous perdons. Psychologue lui-même, l'A. se défend de porter quelque jugement moral : « Je ne suis pas du tout théologien », dit-il. Ce qui explique que la distinction apaisante manque toujours, aussi bien chez lui que chez son héros, entre le mal proprement coupable de la volonté délibérée et le mal psychologique que le consentement n'a pas ratifié.
9. La riche et rigoureuse conférence de Victor Goldschmidt sur « Le problème de la civilisation chez Rousseau et la réponse de d'Alembert au "Discours sur les sciences et les arts" » nous présente la contribution la plus décisive de Rousseau à la création et à l'élaboration du problème moderne de la civilisation. Sa critique de la civilisation ne s'attaque pas à la société aristocratique de son époque, mais bien à la bourgeoisie enrichie, et éprise de « lumières ». Le Discours défend même une civilisation aristocratique et ne vise la civilisation qu'en tant qu'elle est dégradée et corrompue par ses usagers (auteurs élémentaires, compilateurs d'ouvrages, etc.) dont la demi-culture détruit la tradition et la moralité publique. La réponse de d'Alembert, dans son « Discours préliminaire » de l'Encyclopédie, se termine par une critique ouverte du Discours. Des deux divergences essentielles, l'une porte sur la valeur de la civilisation, l'autre sur le rapport entre civilisation et moralité. Face à la valeur de la civilisation, d'Alembert donne acte à une croyance spontanée, à un optimisme empirique. Mais quand il accorde à cette croyance la caution du philosophe, il l'assortit de certaines réserves qui en modifient le sens. Les « abus » lui paraissent des concomitants inévitables d'une civilisation justifiée par ses succès scientifiques, tandis que Rousseau y voit des maux inacceptables que seule une réforme politique pourrait guérir. Sur l'influence que la culture des sciences et des beaux-arts peut avoir sur la morale des États et sur celle du citoyen, d'Alembert estime que le progrès de la civilisation n'a guère de rapport avec la « vertu » ou la « voix de la conscience ». Rousseau, au contraire, souligne une « liaison nécessaire » entre le déclin des mœurs et « le goût de l'étude et des lettres » (p. 306). Il fait appel à l'individu, qu'il oppose à la société et qui, pour découvrir la « véritable philosophie », n'a pas besoin de « tant de peine et d'appareil ». Cependant Rousseau ne manque pas d'affirmer que l'éducation que nous appellerions « nationale », axée sur les valeurs morales et politiques, n'est pas réservée aux couches supérieures.
10. Face à la crise contemporaine de la conscience politique, Francesco Gentile se demande en quoi elle consiste, dans quelle mesure Rousseau y a contribué, et ce que son œuvre nous suggère pour en sortir. Son article : « Le jeu politique du promeneur solitaire » y répond en trois temps, sous les titres : l'unique, les autres, le jeu de la machine politique.
L'unique, c'est l'homme naturel: ce qu'est tout homme, lorsque, par hypothèse, il est tout pour lui, l'unité numérique, l'entier absolu qui n'a de rapport qu'à lui-même, lorsqu'il se prend pour l'unique.
En raison de l'amour de soi et de la pitié, par comparaison entre ce qui lui est utile ou nuisible, l'unique, peu à peu, bâtit le monde autour de lui et découvre les autres.
Le rapport entre l'unique et les autres révèle l'absurdité de la condition existentielle de l'individu. On ne peut en sortir que par le jeu de la machine politique, qui réalise une forme de gouvernement mettant la loi au-dessus de l'homme. Pour cela, il faut et il suffit que l'homme soit donné tout entier à l'État, par le pacte social. Par ce pacte, le peuple ne contracte qu'avec lui-même; le peuple en corps comme souverain avec les particuliers comme sujets. C'est « le jeu de la machine politique, qui rend légitimes, raisonnables et sans danger des engagements qui, sans cela, seraient absurdes, tyranniques et sujets aux plus énormes abus » (p. 345).
11. L'étude de Bertrand Lechevalier sur « Jean-Jacques Rousseau comme précurseur de l'Éducation Nouvelle » entreprend d'examiner l'influence qu'a exercée, en matière d'éducation, la pensée de Rousseau sur nos éducateurs modernes ; la façon diverse dont on l'a comprise ; la valeur prophétique qu'elle aurait gardée. La psychologie rousseauiste se situe sur trois plans : psychologie générale, innée, « naturelle » ; psychologie acquise, déterminée par les différents milieux de vie ; psychologie singulière, conquise, qui vise l'originalité de chacun. Ce fait explique que les pionniers et théoriciens de l'Éducation Nouvelle aient pu saluer Rousseau à des titres si divers : comme prophète, précurseur, prometteur, compromis, « un peu compromettant » (p. 377). Quant à la génération actuelle, elle ferait de Rousseau une lecture plus libertaire, plus contestataire, plus écologique, plus déscolarisante. Le vœu de l'A. est que, renonçant à extraire des méthodes, nous rendions justice au système dans son ensemble, à sa non-contradiction et sa complétude, à sa vérité « rousseauiste ».
12. Le beau travail d'André Ravier a pour objet « Jean-Jacques Rousseau et l'éducation d'une conscience d'homme » : mais qu'est-ce qu'une conscience ? Pour le savoir, A. R. la replace dans l'anthropologie de Jean-Jacques. Et alors : Qu'est-ce que l'âme et qu'est-ce que le corps ? L'homme tout entier doit être éduqué de telle sorte que la conscience puisse jouer son rôle qui est « d'aimer le bien » et de rendre ainsi l'homme « semblable à Dieu ». L'éducation consiste donc à maintenir dans sa pureté originelle, dans tout son dynamisme de nature, dans son vouloir-être libre, bon et heureux. Elle s'accomplira par l'expérience vécue de la liberté, de la bonté, du bonheur : expérience qui de l'instinct fera un « besoin » incoercible, une exigence existentielle. L'art du gouverneur par rapport à Émile s'exerce selon le pacte personnel qui, à l'âge des passions, résout l'antinomie autorité-liberté et, plus tard, quand il faut quitter Sophie, transforme la soumission en acte de liberté.
A propos du pardon, l'A. signale, en terminant, l'incompatibilité de la pensée religieuse de Rousseau et de la tradition chrétienne.


Donnez votre avis Retour
RECHERCHER DANS LE CATALOGUE BEAUCHESNE

aide


DICTIONNAIRE DE SPIRITUALITÉ
ÉDITION RELIÉE
DS

LE COMPLÉMENT PAPIER INDISPENSABLE DE :

DS
ÉDITION EN LIGNE




EN PRÉPARATION
LA RÉVOLUTION DE L’ÉCRIT. EFFETS ESTHÉTIQUES ET CULTURELS

FOLIES ET RIEN QUE FOLIES

Fascicule I
dans la même collection
Fascicule II Fascicule III Fascicule IVa Fascicule IVb

PENSÉE SYMPHONIQUE

LE POUVOIR AU FÉMININ

JEAN BAUDOIN (CA. 1584-1650) Le moraliste et l’expression emblématique

Écrits sur la religion


L'Education Musicale


SYNTHÈSE DOGMATIQUE

Partager et Faire savoir
Partager sur Facebook Partager sur Twitter Partager sur Google Buzz Partager sur Digg