REVUE : REVUE DES ÉTUDES AUGUSTINIENNES, 2002

Élaboré come thèse de doctorat en lettres classiques à l'Université de Paris X sous la direction de Y.-M. Duval, ce gros - et beau - livre est le produit d'une enquête systématique sur la pensée de Tertullien. Il dépasse largement la promesse de son sous-titre : car, si le problème anthropologique a bien été l'angle d'attaque de l'étude, en l'approfondissant l’A. a été conduit à suivre dans son ensemble le cheminement théologique de l'Africain comme en fait foi la première partie intitulée « Une logique : le réalisme ». Ces quelque cent premières pages, en effet, livrent une lumineuse analyse des exigences fondamentales de cet esprit en qui une foi profonde, faite du sentiment de l'infinie supériorité et liberté de Dieu, s'allie à des conceptions héritées du stoïcisme pour définir la raison comme une res Dei : d'où, en conséquence, un attachement sans réserve à quelques catégories essentielles comme celles d'ordre, d'origine, de substance, de permanence, d'unité. Ce réalisme est à comprendre comme « rapport croyant au réel », un réel nécessairement antérieur à toute pensée.
Telles sont les prémisses à partir desquelles les trois autres parties s'enchaînent en une progression rigoureuse : de la Création à l'Eschatologie. La deuxième traite donc du Dieu créateur, et vise à montrer que les vues de Tertullien en ce domaine commandent et surplombent tous les autres aspects de sa pensée. Une grande place est consacrée à la création de l'homme (« à l'image et à la ressemblance ») et à toutes les conséquences qui en résultent pour celui-ci - notamment l'obligation de se respecter lui-même en ne perdant rien de sa perfection originelle. Non moins grande est la place accordée au Christ dans cette Création : Fils-Verbe, il y est à l'œuvre, et toute son œuvre de salut ne fait que restaurer la Création. La troisième partie traite de l'anthropologie proprement dite en s'appuyant surtout, mais non exclusivement, sur le De anima. Il est impossible, ici, d'en évoquer tous les développements. Rappelons simplement quel relief y prend, dans le commentaire, l'image de l'homme comme agrafe (fibula) tenant ensemble âme et chair. De cette dernière est bien montré le double caractère de grandeur et de misère - et c'est l'inséparabilité de cette grandeur et de cette misère qui nous établit « au cœur de la relation Homme-Dieu, du mystère de l'Incarnation et du mystère de la vie humaine ». La quatrième partie apporte la justification du titre du livre. Elle montre l'importance de la chair dans l'accomplissement définitif du dessein de Dieu sur l'homme. J. A. souligne, à juste titre, que la rencontre de Tertullien avec le montanisme n'a rien changé à ses conceptions fondamentales sur l'Esprit.
Clair, bien ordonné, ce livre est écrit avec une grande élégance. De cette "relecture" de Tertullien par une "tête philosophique" exempte de tout préjugé et parti pris, la pensée de l'Africain sortira valorisée, au bénéfice de tout le christianisme latin dont elle a marqué les débuts. — pour respecter la règle du genre, terminons ce compte rendu par deux observations de détail. À la p, 250, la note 2 parle de la présence de l'âme de Lazare "au ciel" : il s'agit en fait du "sein d’Abraham" (cf. Marc IV, 34,13). P. 439 et n. l, à propos de Marc I,29, 2 nous doutons que 'expression deponimus nuptias serve à marquer l'idée d'un "dépassement" du mariage, nous continuerons de penser que la métaphore vise à exprimer l’idée suivante : les chrétiens "laissent de côté" les obligations et charges du mariage pour adopter la voie de la sainteté, à la différence des marcionites qui le rejetaient radicalement.