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06. LE DIEU EXCENTRÉ. Essai sur l'affirmation de Dieu

06. LE DIEU EXCENTRÉ. Essai sur l\'affirmation de Dieu

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Date d'ajout : mardi 02 mai 2017

par Guy PETITDEMANGE

ÉTUDES, avril 200

Pas beaucoup de mots en trop dans ce livre.
Au contraire, certains même (expression, verbe, salut) se referment encore dans l'éclat secret de la polysémie. Écriture sobre, économe, accordée au projet de l'ouvrage de donner la pulsation de l'expérience commune, le tout-venant de l'expérience et de la connaissance que nous avons de Dieu. Mais l'enchaînement des idées est très serré, magistral. Il ne faut donc pas sauter par-dessus ces mots simples, agencés avec art et passion. Une règle commande le tout : « le juste concept, la fidélité à des convictions », l'argument n'étant pas autre chose qu'« une conviction mûrie et prête à s'adresser à d'autres convictions » (60). Aucun étalement de références pour se donner des assurances. Quelques étoiles de première grandeur guident la navigation: Pascal, Surin, Spinoza; d'autres scintillent par moments : Eric Weil, Merleau-Ponty, Bergson, sûrement Kant. Rien de sec pourtant ; le livre est d'affirmation et de tenue dans l'affirmation. Il y a des formules éblouissantes dans ce style en raccourci, des pages éblouissantes aussi (sur un poème de Jean de la Croix, sur la formalité de la loi chez Kant, sur l'idée d'éternité chez Spinoza, sur « le secret engendrement de la parole mystique » chez Surin). La mesure dans l'expression renforce le relief, la densité, l'audace d'une pensée qui, finement, résolument, va aux extrêmes, non pour valoriser l'exception, mais pour faire jaillir ce qu'il y a d'exceptionnel dans l'expérience ordinaire .
Le livre porte tout entier sur l'affirmation de Dieu, de sa souveraineté, de son absoluïté. Mais que veut dire affirmer Dieu, se tenir à cela, s'y exposer, l'exposer ? Ici, Dieu n'est ni objet, Un, être, non-être, sur-être, ni voué à l'apophatisme total, ni souverain du monde; il est dit excentré, hors toute position définie, en marge, comme il l'est d'évidence dans notre culture. Donc, un Dieu non dans la distance, par delà l'idole, mais, selon une formule étonnante : « Dieu en attente » ; davantage : « Dieu qui s'approche ». Et en nous quelque chose nous porte vers lui, souvent à notre insu, le langage, quel qu'il soit, sans exclusive : « Dieu excentré est ce Dieu jamais maîtrisé, mais jamais absent, qui s'affecte et s'engendre de nouvelles configurations dans le langage humain. » Donc, un Dieu perdu, depuis toujours perdu dans le langage ; mais ce serait ainsi qu'il « s'approche » jusqu'au « cœur à cœur », « d'intimité à intimité », où s'accomplirait sa révélation, et la nôtre. Alors, peut-être, dans un secret scellé, au plus profond du cœur, pourrait se dire un lien d'amour.
« La foi ne s'institue pas sur le mode de l'exception. » Bien avant toute confession, tout credo, tout postulat ou négation, bien avant tout dualisme ignoré de l'expérience concrète, le Dieu excentré se découvre au rythme d'un mouvement, d'un processus, de traversées, de décompositions et de recompositions ; bref, de médiations qui laissent des traces et indiquent des routes (le seuil, le meurtre, l'action éthique, le salut ... mots récurrents dans ce texte), un paysage accidenté. Le nom de Dieu qualifie, dans la ténèbre le plus souvent, ce plus grand que soi, qui n'asservit pas mais délivre.
Quelle preuve pouvons-nous faire valoir de ce Dieu excentré ?
Une seule, très humble, la parole même, ce que nous en disons et sommes portés à en dire ; non pas le commentaire du dehors, une parole au second degré, savante ou autoritaire, mais la parole comme « capacité intérieure de qualifier ce qui arrive », de donner des mots de chair à ce qui, avec le nom de Dieu, porte et suscite. Peu importe que, là, Dieu ait perdu, en quelque sorte, sa place désignée d'office. « Il est contemporain de ce qui s'exprime de lui » (10). « Dieu vit en toute parole qui lui est rendue » (90) : hospitalité ininterrompue de ce langage/conversation - l'un des mots-clefs du livre. Rien de ce qui parle de Dieu n'en dit rien. « L'absolu est dans le verbe, inaccessible sans lui. » Dieu se dit sur les bords, étranger, non localisable, en accointance irrécusable avec notre passage de la servitude à la liberté. Il engendre et s'engendre ; sa puissance est dans ce secret des naissances dont on ne peut que « témoigner ».
« Dieu n'est pas inventé dans l'imagination ... il est reconnu dans la vie qu'il suscite aux lieux de l'impossible » (101). Henri Laux appelle excès ces situations extrêmes où la parole s'étouffe, parce qu'elle n'a plus réponse du dehors. Ce sont des butées de l'existence ; on ne les choisit pas, on les trouve. Ce ne sont pas des hypothèses, ce sont des chocs. Laux en note deux, la critique et le mal. D’un côté, par exemple, Spinoza, difficile à discréditer d'un revers de main, parce qu'il touche à ce qu'il y a en nous de plus habitué, notre idée de Dieu, et la désarçonne au nom même de sa grandeur, sans acrimonie dans l'intention. Laux n'exclut pas ce discours radical qui distend l'idée commune; il porte plus loin notre parole.
Il s'atteste au moins « comme la marque nouvelle et permanente d'un infini savoir de Dieu » (89). Le mal est l'autre « figure excessive », ce lieu terrible de « la déprise de soi la plus forte », de la proximité, non de Dieu mais, de l’insupportable, de l'insoutenable, du néant, de la négation dans la violence. Comme rien au monde, le mal pose la question de l'origine, parce que, justement, on se trouve là où nous ne sommes plus rien. Piètre consolation ? Peut-être pas, si, là encore, la parole arrive à « briser l'enfermement d'une détresse insurmontable » (99) et - plus que discours toujours porté à expliquer, soit qu'il clôture, soit qu'il suspende devient action.
Pour finir, un chapitre subtil mais ferme sur la mystique. Ce n'est pas étonnant, mais l'étonnant est qu'il ne soit pas un appendice: « La mystique récapitule l'affirmation du Dieu excentré » (123). C'est le point d'orgue : « La raison, c'est la raison mystique » (122). La mystique, telle qu'elle est ici entendue, est comme la transfiguration qui fait voir la vérité de l'outrepassement des limites qu'est le vrai mouvement de l'expérience, transfiguration parce que retentit en elle toute la coloration multiple de cette expérience avec les « excentricités » du corps et de l'esprit.
Quelle est donc l'assise d'un ouvrage qui frappe si fortement par son unité interne ? Probablement l'intelligibilité du réel. Pour Henri Laux, tel est bien, depuis toujours, le projet de la philosophie, l'ambition raisonnable de la raison humaine. La mystique serait l'expression non démonstrative, hors des règles de la philosophie, par le poème, de cette intelligibilité. La poésie, tout autant sans doute. C'est dans cet homme « parlant », homme de la raison paradoxale et non pas dogmatique, que pourrait se rencontrer le Dieu excentré, un immémorial « à la porte » du présent, le Dieu « ayant été donné » (100).
Ce livre déconcerte, surprend, ouvre. Il prend à rebrousse-poil l'opinion que nous nous faisons de Dieu; mais, pour donner davantage de poids à « l'expérience » refoulée, désertique ou illuminée, celle du « Dieu en attente » qui nous projette dans notre être. Jadis, Levinas avait écrit un très beau livre : Du Dieu qui vient à l'idée. Henri Laux concrétise : du Dieu qui vient à la parole. C'est un pas de plus ; il ne faudrait pas le manquer. « Les biens les plus précieux ne doivent pas être recherchés, mais attendus » (S. Weil).


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