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01. EDMOND MICHELET

01. EDMOND MICHELET

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Date d'ajout : lundi 25 janvier 2016

par Jean PEYRADE

REVUE : FRANCE CATHOLIQUE, septembe 1999

J'ai fait la connaissance d'Edmond Michelet un soir de juin 1939, à Brive, où je devais faire une conférence sur le catholicisme social, dans le cadre de la préparation de la XXXIe Semaine Sociale qui allait avoir lieu en juillet à Bordeaux. Il m'accueillit chaleureusement, me fit partager son repas familial, précédé du Benédicité, puis me présenta un public compact qu'il avait réuni au Théâtre Municipal.
C'était un homme d'action et de réflexion, plein d'allant, sûr de ses convictions, dans la force de la quarantaine, Il m'apparut avant tout comme un catholique intrépide, engagé à fond dans l'aventure d'une famille nombreuse, dans l'action sociale selon Robert Garric et les enseignements des grandes encycliques sociales et dans le refus catégorique des totalitarismes tant national-socialiste que communiste.
Comme il avait vu ma signature au bas d'un article sur l'Europe centrale dans Temps présent et que je lui parlais de Vienne où j'étais allé en reportage quelques semaines après l'Anschluss, il ne me cacha pas son inquiétude devant la montée du nazisme. Il faut dire qu'en cette année 1939, Hitler affichait toujours davantage sa volonté de nazification de l'Europe et que pour nous le national-socialisme se situait aux antipodes du christianisme. Nous savions qu'il véhiculait certains aspects de l'humanisme athée de Nietzsche et exaltait la philosophie de Schopenhauer faisant de l'homme une expression du cosmos. Il conduisait le nationalisme à son paroxysme, le rattachait aux vieux dieux germains, proclamait le racisme aryen et le droit de la race allemande, "race de Seigneurs", à la domination du monde ; Hitler était catégorique : "On est chrétien ou allemand, pas les deux à la fois". Et Rosenberg : "Le vent d'automne balaie les chaumes ; le temps de la Croix est passé." Par la volonté expresse du Führer, l'association catholique de la jeunesse allemande avait été dissoute, le Katholikentag interdit, le camp de concentration de Dachau ouvert et rempli de juifs, de communistes et de chrétiens.
Nous étions de ceux qui avaient étudié Mit brennender Sorge, l'encyclique de Pie XI qui dressait la liste de toutes les erreurs du national-socialisme hitlérien : étatisme absolu, racisme, nietzschéisme, paganisme, nationalisme érigé en Absolu et rappelait que "l'homme en tant que personne possède des droits qu'il tient de Dieu et qui doivent demeurer inaliénables". Pendant les vingt-trois mois qui s'étaient écoulés entre la diffusion de Mit brennender Sorge et sa mort, Pie XI avait repris au moins vingt fois les mêmes condamnations du national- socialisme. Le 13 avril 1938, il avait publié un résumé en huit points de la doctrine nazie. Et quand Mussolini s'alignant sur Hitler avait laissé sa presse inviter les Italiens à l'anti- sémitisme, Pie XI avait déclaré qu'il s'agissait "d'une véritable apostasie, tout l'esprit de la doctrine raciste étant contraire à la loi du Christ".
Enfin, le 3 mai de cette année-là, lors de la visite du Führer à Rome, il quittait la Ville éternelle qu'il jugeait souillée par les drapeaux à croix gammée. La situation empira au début de 1939 et, après la signature du pacte germano-soviétique, la guerre éclata en septembre avec l'assaut des forces du Reich contre la Pologne, En juin 1940, la France connut la plus humiliante défaite de son histoire. "Mon Dieu que la France paraissait fatiguée en ces jours-là, a écrit des années plus tard Edmond Michelet. Il faut se les remettre en mémoire pour comprendre la sorte d'exaltation qui nous soulevait alors quand, au spectacle de la dévastation matérielle et morale dont nous étions submergés, Péguy nous rappelait qu'elle a à pourvoir à deux tâches et à deux fidélités, à sa vocation de chrétienté et à sa vocation de liberté".
Je le revis à Brive au début d'août 40 alors qu’il avait déjà diffusé sous forme de tract un extrait de l'Argent de Péguy : "En temps de guerre celui qui ne se rend pas est mon homme, quel qu'il soit, d'où qu'il vienne et quel que soit son parti." Il s'occupait ce jour-là de faciliter à deux réfugiés politiques allemands leur départ pour les États-Unis. Désemparé par la défaite, je venais lui demander conseil. D'emblée, il me dit sa détermination farouche de résistance spirituelle au nazisme. Robert Garric, le fondateur des Équipes Sociales, l'un de ses plus chers amis, se trouvait auprès de lui. Devenu président du Secours national, il mettait en place un réseau de responsables départementaux et venait de lui confier l'action humanitaire en Corrèze.
Edmond Michelet fut, sous le nom de Duval, responsable de la région 5 du mouvement Combat qui couvrit les départements de la Corrèze, de la Haute-Vienne, de la Dordogne et du Lot, puis des M. U. R. (Mouvements Unis de la Résistance) tout en exerçant ses activités professionnelles et en dirigeant l'action humanitaire du Secours national, quand la Gestapo - sans doute informée par une dénonciation l'arrêta à son domicile le matin du 25 février 1943.
Transféré peu après à Limoges, il fut ensuite dirigé sur Paris. "Dans le compartiment, où nous sommes introduits à vigoureux coups de crosse, lit-on dans son livre Rue de la liberté, j'ai la joie de me trouver aux côtés de l'abbé Lair. La Loire passée, il nous lut l'épître de saint Paul : "Vous souffrez qu'on on vous asservisse, qu'on vous traite avec mépris, qu'on vous frappe au visage (je revois sa pauvre figure meurtrie)… J'ai souffert plus de travaux, plus de prisons, de coups sans mesure".
Au passage suivant, il articule lentement, pensant peut-être à mon cas personnel : "J'ai été souvent dans des périls provenant de faux frères". Puis, à voix basse, comme pour lui seul et son plus proche voisin : "Ma grâce te suffit : la force s'accomplit dans la faiblesse".
Ils débarquèrent à la gare d'Austerlitz, attachés deux par deux par une seule paire de menottes, Après de pénibles interrogatoires au siège de la Gestapo, avenue Foch, Michelet fut incarcéré à la prison de Fresnes. Jamais les policiers ne parvinrent à établir qu'il était Duval. Ils employèrent tous les procédés pour lui faire avouer qu'il était le chef de la Résistance du Limousin : violences, hurlements, chantage du genre "votre femme, votre fils aîné, deux de vos filles sont en prison et y resteront jusqu'à ce que vous reconnaissiez que Duval, c'est vous". En vain. Il répondait toujours qu'il était innocent, victime d'une erreur judiciaire. Alors pour s'en débarrasser, ils décidèrent de le déporter.
C'est quand il était au secret à Fresnes qu'il reçut, sur sa demande, la visite de l'aumônier qui était l'abbé Franz Stock. "Je fus d'abord frappé par sa discrétion, raconte-t-i1 dans Rue de la liberté. Alors que les gardiens hurlaient habituellement quand il leur arrivait de pénétrer dans nos cellules, lui se glissait silencieusement, venait se blottir contre notre épaule comme s'il avait voulu montrer par ce geste qu'il prenait sa part de notre vie de reclus… Nous parlions à voix basse car le Feldwebel était resté dans l'entrebâillement de la porte… Il me parla de Joseph Folliet et des Compagnons de Saint François, d'amis communs… Ce prêtre allemand exerçait son ministère avec une gentillesse, un tact, une charité incomparables. Il me glissa entre les mains une Bible que lui avait donné pour moi le père Maydieu, puis il me proposa de revenir la semaine suivante. Il fit mine ensuite de s'en aller, mais revenant sur ses pas et baissant un peu plus encore le ton : nous allons réciter ensemble un dernier Ave Maria, dit-il dans un souffle.
On s'était remis à genoux, en tournant le dos au Feldwebel, devant la petite tablette rugueuse qui avait servi d'autel. Il poursuivit du même ton monocorde : Ave Maria Gratia plena, votre femme est venue me voir hier, elle se porte bien, tous vos enfants aussi, Dominus tecum, elle vous fait dire de ne pas vous inquiéter, tout va bien à la maison… Benedicta tu in mulieribus…
C'est par l'intermédiaire de l'abbé Stock que Michelet put correspondre avec sa femme, ce qui était absolument interdit. L'abbé lui remit le petit manuel de prières que l'abbé Rhodain avait fait éditer pour les prisonniers : "Précieux compagnon. Je me souviens encore de la simple et touchante traduction du chant des complies qu'on lisait avant que la nuit n'ait envahi nos cellules: "Th n'as rien à craindre des bêtes sauvages… Le Bon Dieu a dit : puisqu'il est fidèle, je vais le délivrer, dans la souffrance, je serai près de lui".
Au bout de six mois de solitude, Michelet fut extrait de sa cellule de Fresnes et embarqué, à la gare de l'Est, dans un convoi à destination du camp de Dachau. Après de sinistres étapes dans les prisons de Mannheim, Stuttgart, Ulm et Ingolstadt, il y arriva, à la nuit, le 15 septembre 1943.
Pour connaître la vie qu'il y mena, il faut lire Rue de la Liberté. Louis Terrenoire qui y fut aussi interné témoigne : "Michelet remporta sur lui-même une grande victoire, celle de l'âme, immarcescible et sereine, hors d'atteinte de la détérioration du corps et relevant avec dédain le défi d'un système d'avilissement. A Dachau, sous ses hardes, Edmond Michelet est un homme que j'oserai dire complet, installé sans contradiction dans sa triple figure de marque, celle du chef, du héros et du saint".
N'avait-il pas noté sur un carnet, en 1937, à la fin d'une retraite : "Toujours en revenir là, pas de demi-mesure. Il nous faut être des saints si nous voulons refaire la France et un monde meilleurs",
Il vit arriver à Dachau des centaines de Français en provenance de Compiègne, officiers de manœuvres, paysans et bourgeois. Parmi eux le général Delestraint, le chef de l'armée secrète, qui devait y être exécuté, le comte d'Ussel, Louis Terrenoire, Mgr Piguet, évêque de Clermont-Ferrand, le chanoine Daguzan, de Pau, le père Riquet et le père Dillard, jésuites, bien d'autres…
"Quand à mon tour on a voulu me dire que seule la classe ouvrière en ces temps de misère a su rester fidèle à la France outragée, j'ai songé à Guillaume-Marie-Fidèle, comte d'Ussel, chef d'escadron de cavalerie qui mourut d'épuisement au début de l'hiver et à quelques autres de même antique noblesse. Parmi tous ces Français arrivés au cours de l'hiver 1944, il y avait certes et en grand nombre des représentants "de la classe ouvrière" mais il y avait aussi des bourgeois. Ils n'étaient pas les moins nombreux, il y avait aussi, bien sûr, des résistants de la première heure et de celles qui suivirent. Mais on aurait pu dénombrer parmi les otages beaucoup de non résistants et même pas mal de pétainistes convaincus. Ce que je veux dire, c'est que tous ont souffert les mêmes souffrances, tous ceux qui sont morts ont indiscutablement connu la même fin : ignominieuse. Et c'est pourquoi j'ai tant de mal à ne pas les confondre."
Voilà bien tout Michelet ! Louis Terrenoire s'en est vite rendu compte : "Dans l'approche des autres, il ignorait barrières et obstacles. Cette faculté exceptionnelle, en réalité cette volonté de ne rejeter personne, de concilier les contraires par cette part de vérité qu'ils ont en commun a marqué la vie entière de Michelet. Humainement, spirituellement, politiquement, cette faculté, cette volonté n'ont cessé de le placer dans des positions d'arbitrage et d'intercession. Sa protestation était constante et vigoureuse contre tout ce qui était excessif".
Profondément choqué par l'acharnement de déshumanisation des détenus du système concentrationnaire nazi, Edmond Michelet se donna sans réserve à l'assistance des plus éprouvés. "Le seul service qu'il put rendre fut de tenir la main et d'éponger le front des moribonds, de les accompagner fraternellement jusqu’aux portes de la mort, de les aider, par la prière, à en franchir plus facilement le seuil." Le laïc dont il parle dans Rue de la liberté qui, au risque d'être fusillé, portait des fragments d'hosties consacrées aux agonisants, c'est lui. "Il avait toujours cru, a écrit son fils Claude, à la Présence réelle mais c'est à Dachau qu'il put vérifier l'incroyable apaisement qui suivait la communion des mourants et des malades. Lui-même à la fin de ses jours, - vingt-cinq ans après Dachau paralysé, décharné et muet, lors de ses communions, nous donna une vision bouleversante du visage rayonnant et enfin serein des élus. L'Eucharistie le transfigurait".
L'hiver 1944-1945 fut terrible à Dachau quand le typhus s'y propagea. Après avoir travaillé au Kommando de désinfection en compagnie de son compatriote le communiste Auboiroux et secouru les malades, Michelet s'écroula un matin dans la neige. Ramassé par des camarades, enfermé au block 4 dont la porte était surmontée d'un crâne de mort et de l'écriteau ~ réglementaire Lebensgefahr (Danger de mort) Typhus, il fut soigné par des médecins français. "Je garde le souvenir d'une chute, vertigineuse, tout au fond d'un puits qui n'en finissait pas, de la volonté résolue d'en regrimper de suite les parois, puis d'une nuit interminable coupée de temps à autre par une clarté, le sourire inquiet d'un visage ami qui se penche sur moi : le docteur Roche, Auboiroux, Daguzan… Des heures obscures. Je ne sais plus distinguer entre la claire vision des choses et le cauchemar". Il y a tant et tant de morts autour de lui ! Et puis : "Fin de la nuit. Inexprimable joie de redécouvrir derrière les carreaux, la lumière du jour. La lumière ! Et voilà qu'on aperçoit un à un autour de soi les visages amis qui ont surmonté l'épreuve".
Avril 1945. Les événements se précipitent. L'aviation anglo-américaine a la maîtrise du ciel. Désarroi des SS. Espoir de libération des détenus, Le 29, Michelet et les membres du Comité international des déportés de Dachau qu'il préside accueillent les soldats américains qui font irruption dans le camp, l'arme au poing,.
"La vengeance, la rancune m'apparaissent comme inutiles et funestes, Tant de choses sont à reconstruire, tant de chantiers à relever dans notre pays si tragiquement écartelé, divisé contre lui-même, qu'une évidence semblait s'imposer à ceux à qui les événements donnaient raison. Justice une fois rendue à la poignée de traîtres, les vainqueurs devraient proclamer la réconciliation générale. Comme Saint-Exupéry, j'ai toujours détesté le "mythe de l'épuration".
J'ai revu Edmond Michelet fin juillet 1945 à la Semaine Sociale de Toulouse. C'était le même homme qu'en 1940 et pourtant un autre homme. Il revenait de la grande épreuve. "L'expérience que nous avons vécue, disait-il, est indélébile. Elle nous a marqués pour le restant de nos jours. Ni sains ni saufs. Nous avons sondé des abîmes en nous-mêmes et chez les autres. Une certaine candeur nous est à tout jamais interdite".
A peine rentré en France, alors qu'il envisageait de se remettre à ses affaires commerciales, Michelet fut convoqué au ministère de la Guerre par de Gaulle. "Je vais, lui dit le général, couper en deux la Défense. Je laisserai aux communistes l'Armement. Ils sauront faire travailler les ouvriers des arsenaux. Mais l'essentiel, -la troupe, les officiers, la stratégie - restera au ministère des Armées. On m'a dit que vous, Michelet, vous vous êtes bien arrangé avec les communistes à Dachau, restant en bons termes avec eux sans rien leur céder sur les questions importantes, C'est ce qu'il faudra faire au ministère des Armées et c'est pour cette raison que je veux vous le confier".
Edmond Michelet entra donc en politique comme ministre des Armées du gouvernement provisoire. Il allait déployer jusqu'à sa mort une incessante activité au service du pays dans une fidélité sans faille à celui qui était à jamais pour lui "l'homme du 18 juin".
Député de la Corrèze, puis conseiller de la République, il fit partie en 1954 de la délégation française à l'ONU. Quand le général de Gaulle revint "aux affaires", en 1958, Michelet fut ministre des Anciens combattants, puis ministre de la Justice en pleine guerre d'Algérie. Il entra ensuite au Conseil constitutionnel. Député du Finistère en 1967, il revient au gouvernement comme ministre de la Fonction publique. Le 22 juin 1969, Georges Pompidou devenu président de la République lui demanda de succéder à Malraux au ministère de la Culture dans le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas et c'est en tant que tel, presque à bout de souffle, accablé par son emphysème, qu'il prononça devant l'Institut de France l'éloge funèbre de François Mauriac. Quelques jours plus tard, le 9 octobre 1970, il entrait à la "Maison du Père".
Dans son ouvrage Prier avec Edmond et Marie Michelet, son petit-fils, Benoît Rivière, écrit : "Il y a chez lui cet effort, inséparablement de l'âme croyante et de l'intelligence politique pour jauger en permanence non pas ce qui convient ou ne convient pas, mais ce qui touche aux affaires du Royaume de Dieu. Prenons cet exemple d'une invitation qui lui était un jour adressée de faire une conférence pour une soirée contre les crimes de guerre ; il refusa, sentant une visée anti-allemande. "On me voulait, écrit-il à sa femme, pour une conférence à Lille contre la prescription des crimes de guerre. Me suis récusé. Ils trouvent tout naturel que l'Allemagne soit à perpette une nation génocide. Je ne marche pas",
Michelet, homme de la fidélité aux engagements et de la fraternité fut toujours animé d'une volonté de pardon et de réconciliation.

Bon citoyen, bon professionnel, bon catholique
Edmond Michelet a passé son adolescence à Pau où son père tenait une grande épicerie. Engagé volontaire en 1918, il participe avec son régiment, le 126e d'infanterie de Brive, à l'occupation de la Rhénanie. Démobilisé comme sergent-major, il épouse en 1922 Marie Vialle, fille d'un médecin de Brive, qu'il avait eue pour voisine à un repas chez des amis et dont il n'avait pas douté une seconde qu'elle deviendrait sa femme ! Mariage d'amour s'il en fut ! Écoutons son fils Claude : "Pour lui, le mariage était une vocation, il s'employa sa vie durant à assumer jusque dans les plus infimes détails ses responsabilités d'époux, puis de père… et plus tard de beau-père et de grand-père. Il sut être pour ma mère un éternel fiancé." Ils eurent sept enfants et selon leur petit-fils, prêtre, Benoît Rivière, ils formèrent "un couple immergé dans la foi, passionné par l'action avec et pour les autres".
Après quelques mois passés à Pau, Edmond et Marie Michelet se fixèrent à Brive. Lui devint agent commercial dans l'alimentation et ses qualités professionnelles furent si vite reconnues qu'il devint président des Agents Commerciaux de France. En même temps il déployait une activité sociale intense, implantant les Équipes Sociales qui organisaient des cours du soir donnés par des professeurs et des ingénieurs à des hommes qui n'avaient pas pu poursuivre des études au-delà du primaire, organisant une troupe théâtrale qui montait des pièces de Rostand, Claudel et Giraudoux, ouvrant les jeunes des milieux bourgeois de l'ACJF aux problèmes sociaux, créant un cercle culturel qui fit venir à Brive, entre autres conférenciers, Jacques Maritain, Pierre-Henri Simon, Daniel-Rops, André Maurois, Stanislas Fumet. Il participa à la fondation des Nouvelles Équipes Françaises qui, au dire du professeur Bernard Comte "apporteront après la défaite de 1940 une première infrastructure aux organisations clandestines de la Résistance".
Comme beaucoup de catholiques de sa génération, Edmond Michelet avait adhéré à l'Action française fout en militant à l'Association catholique de la jeunesse française dont il fut le président en Béarn, puis en Limousin, mais il la quitta en 1928 quand Rome la condamna.

Forcer l'impossible
Tel était le titre de la Déclaration de quelques catholiques français qu'il lança en 1951 et qui fut signée notamment par le père Daniélou, l'abbé Charles, Jacques Maritain, Daniel-Rops, François Perroux, Jean Guitton, Stanislas Fumet, Gabriel Marcel, Jean de Fabrègues.
Ces signataires proposaient de retrouver "la rectitude de la pensée, la sûreté et la plénitude doctrinales, en même temps que le dynamisme pour un nouveau départ en vue de la construction d'un ordre temporel conforme à la justice et à la dignité humaine".
Ils affirmaient qu'aucune action chrétienne, spirituelle ou temporelle, ne pouvait avoir d'autre base possible que la reconnaissance inconditionnelle à la souveraineté du Dieu créateur, rédempteur, maître de l'Histoire. "C’est pourquoi, comme première conséquence de notre foi, nous dénonçons et quant à nous refusons les diverses formes de l'unique idolâtrie qui tend aujourd'hui à substituer à Dieu l'homme comme mesure du monde » à savoir : le naturalisme, l'existentialisme athée, le matérialisme capitaliste, le matérialisme marxiste. C'était, disions-nous, dans l'authentique message chrétien qu'il fallait retrouver les normes d'une action efficace. N'était-ce pas là, au demeurant, ce qu'Edmond Michelet avait fait pendant les années sombres ?
Suivait le refus d'une vision pessimiste du monde moderne qui ne pouvait qu'entraîner ceux qui y cédaient à se réfugier dans un spirituel désincarné et l'adhésion aux thèmes d'union et d'action sur la liberté, la justice et la paix qui ne sont la propriété d'aucun parti politique et que tous les chrétiens doivent promouvoir.
Le combat pour la liberté de la personne était aux yeux des signataires de cette déclaration, prioritaire, Aussi appelaient-ils de leurs vœux une société fondée sur le droit qui seule est juste et invitaient-ils leurs frères chrétiens à débarrasser la France "des séquelles du totalitarisme nazi qui avant et pendant la Libération a introduit la passion et l'arbitraire au sein des tribunaux" et à se prémunir contre le virus du totalitarisme communiste qui infectait alors l'Europe de l'Est. Ils ajoutaient que pour être juste une société doit encore donner à chacun son dû, ce qui impliquait une réforme des structures sociales afin que le travailleur soit intégré à son entreprise en participant à sa gestion et à ses profits.
"Dans l'ordre intérieur, la décentralisation, dans l'ordre international le fédéralisme répondent, lisait-on encore dans Forcer l'impossible, à nos préoccupations, car l'une et l'autre, en brisant le cadre rigide de l'État unitaire et souverain, détournent celui-ci de se muer en Absolu".
Pour forcer l'impossible, Edmond Michelet eut tout au long de sa vie et en toutes circonstances recours à la prière et il se référa à Jésus-Christ. A la question "Pour vous qui est Jésus-Christ?" que lui posa, en 1971, le père Carré, il répondit: "Jésus-Christ, pour moi, c'est l'unique modèle. Celui à qui on se réfère dans les pires moments de découragement, d'humiliation, de détresse, en se disant que c'est alors qu'on lui ressemble le plus. Celui, dirai-je en passant et sachant de quoi je parle, dont la présence réelle dans l'Eucharistie a été ressentie par beaucoup en des circonstances exceptionnelles qu'il est impossible de traduire."
Pour lui comme pour le père de Foucauld, Jésus-Christ était le maître de l'impossible.
Etienne Borne, son ami de toujours, l'a bien vu : "Edmond Michelet était essentiellement un homme religieux. La foi chrétienne était l'âme de son âme. Il croyait avec cette simplicité sans ostentation qui ferait paraître naturel le surnaturel lui-même. "


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