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BIBLE DE TOUS LES TEMPS N°5- LE TEMPS DES RÉFORMES ET LA BIBLE

BIBLE DE TOUS LES TEMPS N°5- LE TEMPS DES RÉFORMES ET LA BIBLE

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Date d'ajout : mardi 22 août 2017

par Jean-François GILMONT

REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, 2, 1990

Vouloir présenter en un volume les multiples aspects de l'histoire de la Bible au temps de la Réforme, c'est une gageure, même si le résultat en est un livre de plus de 800 pages de typographie serrée. Le thème est en effet d'une richesse foisonnante. L'Humanisme a provoqué une révolution importante dans l'approche du texte sacré. A la suite de Laurent Valla, des érudits tels qu'Érasme, Budé et Estienne s'efforcent de proposer des versions grecque et latine de la Bible plus proches des originaux. La connaissance de l'hébreu est remise à l'honneur, avec un intérêt très vif pour la tradition juive comme en témoigne Sante Pagnini. Mais cette attention aux sources juives n'allait pas sans susciter des oppositions. L'affaire Reuchlin est là pour le prouver. Malgré tout, le mouvement de retour au texte original s'impose. La Polyglotte d'Alcala est publiée sous la houlette d'un cardinal, Ximénez de Cisneros. L'invention et la diffusion de l'imprimerie constituent une autre révolution qui modifie considérablement les conditions de travail des érudits de l'époque, en élargissant leurs possibilités d'accès à la documentation.
Les maîtres d'œuvre du volume 5 de la Bible de tous les temps ont divisé leur plan en deux parties. En réalité, la construction me semble plutôt tripartite. Une première section propose une approche chronologique globale. Elle est complétée par une seconde section qui envisage divers aspects de la lecture et de l'interprétation de la Bible. Ces chapitres sont rédigés, pour l'essentiel, par les deux éditeurs du volume. Une dernière partie, intitulée « Bible, culture et société », a été confiée à une petite dizaine d'auteurs ; elle envisage la Bible dans ses rapports à la société du temps. Cette construction ne va pas sans quelques redites, mais de multiples renvois facilitent la navigation dans cette riche documentation.
L'ouvrage s'ouvre donc sur une mise en perspective très complète qui va de la fin du XVe s. aux dernières années du siècle suivant. G. Bedouelle situe le travail des Humanistes et analyse la conséquence de l'irruption de l'imprimerie. Il montre l'importance du renouvellement des perspectives à la veille de la Réforme. Il insiste justement sur la mutation que provoque le recours grandissant au texte écrit. Il oppose ainsi la Bible de l'oreille -la transmission du message biblique assurée essentiellement par la prédication - et la Bible de l'œil - celle que chaque lecteur peut découvrir dans l'intimité d'une approche individuelle. A partir de là naît une nouvelle problématique qui distingue les deux aspects de la transmission de la vérité évangélique : le recours à l'Écriture et à la Tradition.
Pour la période qui va de 1530 à 1600, B. Roussel entreprend une visite fouillée des bibliothèques bibliques. Il est attentif à toutes les dimensions de la production imprimée de l'époque, ne négligeant ni les aspects les plus matériels de la fabrication, ni les réactions des lecteurs. Il propose successivement des chapitres sur les livres, les auteurs et les lecteurs. Du côté des livres, ce n'est pas seulement le texte sacré et ses nombreuses retouches qui retiennent son attention. Les chercheurs de l'époque multiplient en effet les instruments de travail, concordances, vocabulaires, etc. Un débat est ouvert sur la définition du canon des Écritures. Le chapitre consacré aux auteurs atteste d'une grande familiarité avec les exégètes de l'époque à travers toute l'Europe. Ces érudits sont regroupés - suivant une expression discutable - en quatre « conjonctures exégétiques » : Luther et le groupe de Wittenberg, 1'« école » rhénane d'exégèse avec Pellikan, Œcolampade, Bucer, Zwingli et Capiton, qui se prolonge dans le groupe un peu postérieur des Brenz, Bullinger et Calvin. Au-delà de 1560, c'est la génération des traditions, avec la mise en place progressive d'une « scolastique ». Que l'on envisage les exégètes qui produisent des études ou les lecteurs de la Bible, le changement de climat est radical entre l'effervescence des débuts de la Réforme et les durcissements de la fin du siècle. Le tournant des années 60 qui marque l'établissement des Églises et des orthodoxies, est bien souligné par B. Roussel. Par contre, j'ai l'impression que l'on pourrait marquer avec plus de netteté le changement notable de climat qui survient autour des années 40. Les deux premières décennies de la Réforme connaissent un large mouvement de retour à l'Écriture, qu'il faut qualifier d'« évangélique » dans le sens premier du terme : de nombreux chrétiens retournent ad fontes pour nourrir leur piété. Ils ne cherchent ni à dogmatiser ni, par conséquent, à fomenter des hérésies, comme le craignent les théologiens traditionalistes. Ces derniers confondent trop souvent un souci de vie spirituelle authentique - doublé il est vrai d'une sympathie réelle pour le mouvement luthérien - et la mise en cause de la théologie traditionnelle. La chronologie que je propose situerait entre 1515 et 1540 ce mouvement de retour à l'Écriture que B. Roussel qualifie de « réveil » (p. 285) : des laïcs vont à l'Évangile pour nourrir leur piété et ils le font souvent en petit groupe. Non seulement les témoignages rassemblés dans cet ouvrage sont tous situés dans les deux décennies indiquées, mais en outre les études concernant les Pays-Bas, la France et l'Italie réunies dans le recueil La Réforme et le livre (Paris, Cerf, 1990) révèlent aussi aux débuts de la Réforme l'existence de courants spirituels plus soucieux de piété que de controverses dogmatiques. A partir des années 40, cet évangélisme non confessionnel devient impossible et il faut choisir son camp. Et après 1565, tout est joué : chaque parti fourbit ses armes et la voix des simples chrétiens ne se fait plus guère entendre. Tout au plus trouve-t-on quelques courageux comme Thierry Coornhert qui osent encore inviter à un examen personnel de la Bible dans un esprit de large tolérance.
Sous le litre « L'autorité de l'Écriture, les réponses confessionnelles », la section suivante envisage l'interprétation de l'Écriture. B. Roussel présente les conceptions protestantes ; il rappelle assez brièvement les principes herméneutiques des courants évangéliques et réformés, et il insiste davantage sur ceux des spiritualistes et des anabaptistes présentés plus brièvement dans les chapitres précédents. De même, le chapitre de Guy Bedouelle sur la Réforme catholique corrige certains silences de la première partie. Il ne rappelle pas seulement les débats du concile de Trente et les suites qu'ils ont suscitées (vulgate, catéchisme, livres liturgiques), mais il présente aussi le travail des commentateurs bibliques. Il est frappant de constater le retard avec lequel les jésuites mettent sous presse ce genre d'ouvrages : les commentaires paraissent presque tous après 1590, souvent à titre posthume. N'y a-t-il pas là une indication de la lenteur avec laquelle certains milieux catholiques ont adopté l'imprimerie ? Dans le chapitre suivant, G. Bedouelle présente la situation en Angleterre. Cela donne l'occasion de présenter le point de vue anglican, mais plus encore de montrer à partir d'un cas précis l'évolution des usages de la Bible dans un pays.
L'attitude des orthodoxes et des juifs devant la Bible est examinée respectivement par Astérios Argyriou et Gilbert Dahan. Le premier centre son exposé sur l'orthodoxie grecque. Il montre comment la place centrale des Saintes Écritures se conjugue avec une vie liturgique particulièrement intense. Suite au choc provoqué par la chute de l'Empire byzantin, l'orthodoxie cherche à se réorganiser et l'Église russe se prépare à prendre le relais de Byzance. L'analyse du travail effectué par les exégètes juifs ainsi que celle des courants qui les traversent est d'autant plus précieuse que l'exégèse chrétienne entretient des contacts étroits avec les commentateurs juifs, avec un mélange ambigu de fascination et de mépris.
Celte section envisage aussi la question du commentaire, de la traduction et de la diffusion de la Bible. Pour les deux premières questions, B. Roussel a choisi l'analyse de cas précis plutôt que le tour d'horizon nécessairement superficiel. Le commentaire proposé est celui de Théodore de Bèze concernant le Sermon sur la montagne ; B. Roussel dégage très intelligemment tous les sous-entendus de ce genre de travail. Les traductions sont présentées à partir de la comparaison de neuf versions du Psaume 22. Enfin G. Bedouelle et B. Roussel signent ensemble l'étude des réactions face à la traduction de la Bible. Si les réticences catholiques sont justement indiquées, elles sont cependant nuancées. Il ne suffit pas, en effet, d'évoquer les règles de l'Index, car l'on constate que les éditeurs catholiques n'hésitent pas à multiplier les éditions de la Bible en langue vulgaire. Le plaidoyer de Furio Ceriol en faveur des traductions est captivant, mais on peut difficilement faire passer cet auteur pour un catholique parfaitement orthodoxe.
La dernière partie de l'ouvrage met en évidence le fait que la Bible imprègne tous les aspects de la vie sociale. C'est principalement pour cette partie qu'il a été fait appel à divers collaborateurs. La première contribution montre l'orientation de cette partie, qui constitue un complément utile des pages précédentes. Marc Vénard examine les modifications profondes apportées dans la conception du temps et de l'espace par les découvertes géographiques et par les théories coperniciennes. Toute une vision du monde basée sur la Bible, en particulier sur la Genèse, s'écroule. - L'article de Philippe Denis reste proche des parties précédentes puisqu'il traite de la Bible dans l'action pastorale. Il analyse successivement les pratiques protestantes et catholiques. Il montre comment le souci de fidélité à l'Évangile se marque dans une série d'institutions et de pratiques du protestantisme naissant, tandis que les catholiques ont une approche bien différente de la fidélité à l'Écriture. - Marguerite Soulié met en lumière les conséquences politiques de la volonté protestante de modeler la société sur la Bible. Elle distingue les solutions de Luther et de Müntzer, celle des anabaptistes et les vues politiques de Jean Calvin. - C'est André Godin qui a été chargé d'analyser l'attitude des humanistes. Il marque les orientations fondamentales du projet érasmien à partir de la Paraclesis et de l'exploitation intelligente de quelques colloques. - L'approche de la Bible par les mystiques catholiques proposée par Max Huot de Longchamp s'attache principalement à l'Espagne et la France. Il fait apparaître que, chez ces mystiques, la fidélité à la Bible ne passe pas par le souci de la lettre et du texte, mais plutôt par le recours à l'image. Les Exercices spirituels d'Ignace de Loyola en sont un témoin: la méditation des mystères évangéliques prend appui sur une composition du lieu et non pas sur le texte scripturaire. - Dans les domaines littéraires, les éditeurs rétrécissent le champ au seul domaine français. Les liens étroits et multiples que la littérature entretient avec la Bible sont suggérés à partir de ce seul secteur. Le tour d'horizon de la littérature française proposée par Michael Screech est riche de citations précieuses choisies à travers tout le siècle. - De même Marguerite Soulié envisage la Bible comme source d'inspiration du théâtre uniquement en France. Elle suit l'évolution qui va du déclin des mystères aux tragédies bibliques tant protestantes que catholiques. - Avec la contribution de Patrice Veit sur le chant, le cadre d'enquête est à nouveau européen. Son étude est particulièrement intéressante car il explore à la fois les pratiques liturgiques des diverses confessions et les relations multiples que les textes chantés entretiennent avec la lettre des Écritures. - De même, les pages de Margarete Stirm sur les dimensions iconographiques de la question sont fort riches. Elle présente avec nuance l'influence mutuelle des arts de l'image et de la Bible. Ne se limitant pas à l'illustration de la Bible, elle marque les différences fondamentales entre Luther, Calvin et l'Église catholique.
Cet imposant tour d'horizon s'achève par une conclusion signée par les deux éditeurs. Il est complété par une imposante bibliographie thématique d'une trentaine de pages. En somme, en refermant cet ouvrage si dense, on s'interroge sur son statut. La typographie atteste d'une diversité de propos dans une alternance de paragraphes de corps différents entrecoupée de tableau de synthèse. Le livre est tout à la fois une synthèse, une encyclopédie et une bibliographie. C'est dire qu'après avoir lu avec intérêt certains chapitres, le lecteur devra conserver l'ouvrage sous la main pour le consulter sur nombre de problèmes liés à l'histoire de l'exégèse.
Si le temps des Réformes constitue un moment passionnant de l'histoire, il offre néanmoins un visage plein de contradictions. Il y a sans doute un authentique effort de retour à un texte de l'Écriture dégagé des multiples gloses médiévales, mais aussi le spectacle scandaleux d'une Bible qui justifie les pires luttes fratricides. B. Roussel n'a pas tort d'évoquer « le langage des crocs et des couteaux » qui a « souvent prolongé les sermons et les diatribes des prédicateurs et des théologiens ».


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