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03. NIETZSCHE L'INTEMPESTIF

03. NIETZSCHE L\'INTEMPESTIF

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Date d'ajout : vendredi 04 décembre 2015

par Olivier PERRU

REVUE : ESPRIT & VIE, septembre 2001

Après Nietzsche, Noblesse et cruauté du droit (Paris, Éd. Michalon, 1998), voici un dernier ouvrage de Paul VALADIER sur Nietzsche. Il ne s'agit certes pas d'une « réhabilitation » de Nietzsche, entreprise risquée autant qu'inutile. Après la lecture athée et quelque peu positiviste des années 70, peut-on redécouvrir un Nietzsche ouvert aux diverses dimensions de la réalité et de l'homme ? C'est le pari que tente Paul VALADIER dans cet ouvrage, à partir d'une multitude de textes qui pourraient paraître contradictoires. N'a-t-on pas souvent fait émerger un visage de Nietzsche à partir de tel ou tel texte ? Le personnage et sa lecture du réel ne sont-ils pas beaucoup plus complexes ? Mais alors, qu'est ce qui spécifie vraiment le philosophe de Sils-Maria ?
En premier lieu, Nietzsche refuse de s'appuyer sur la philosophie uniquement pour y trouver « l'assurance d'un sens » et donc pour trouver « à se sauver du non-sens » (p. 8). De fait, le philosophe qui s'enferme dans le cogito et dans sa propre lecture du réel semble s'affirmer soi-même, affirmer son « existence ». Cette lecture positive de l'intention nietzschéenne est intéressante. Il y aurait donc eu chez Nietzsche une recherche du réel au-delà de toute pensée conceptuelle et rationaliste. Cette recherche, ou plutôt cette acceptation du réel tel qu'il est, s'exprime surtout dans Le Gai Savoir, c'est « l'appel à l'acquiescement à la luxuriance du réel et même du divin » (p. 9). Cela étant, la nature de cette conformité de la pensée au réel pose une question épistémologique de taille. Car enfin, s'agit-il de poser un jugement relatif à l'existant autre que moi, et à travers ce jugement, de poser un pourquoi ? S'agit-il de permettre à l'intelligence d'aller jusqu'au bout de la découverte de « ce qui est » ? Il semble qu'une fois reconnue la « surabondance de la vie » et « l'exubérante richesse des choses », la « raison restaurée », c'est-à-dire fortifiée par l'intention de la volonté, devient capable de « bénir ce qui est tel que ce qui est s'offre à nos sens, à notre volonté, à notre raison » (p. 13). L’exercice de la volonté semble ici l'emporter sur l'intelligence du vrai, sans qu'on sache vraiment quel est son objet. Certes, il faut vouloir et désirer pour ne pas s'en tenir à une démarche trop rationnelle ; mais vouloir quoi ? L’engagement de la subjectivité est tel que le « dire oui » (p. 13) à la vie et aux choses semble incapable de dépasser le sensible, ce qui aurait sans doute été fuite et lâcheté pour Nietzsche. Mais alors, quel est le terme, quelle est la finalité de ce « dire oui » et du gai savoir qu'il engendre ? S'agit-il d'action, de contemplation, de volonté de chanter la richesse des réalités et peut-être de volonté de mettre en valeur toutes leurs potentialités ? Est-ce l'inspiration du poète soutenue par le désir de rendre compte de tout ce que lui seul entrevoit ?
Les deux chapitres suivants « La science, nouvelle religion » (p. 15-32), « Raison décadente et raison restaurée » (p. 33-50) apportent quelques lumières sur les sources de la connaissance chez Nietzsche. Tout en attendant le « gai savoir », Nietzsche a tendance à enraciner la science dans une illusion qu'elle partage avec la religion : « la longue quête de la vérité inconditionnelle » et « l'histoire ténébreuse du nihilisme » (p. 25). Il est intéressant de souligner ce trait à l'opposé d'une antinomie facile entre science et religion, mais cela n'explicite toujours pas le « dire oui à la réalité » (voir p. 30 et Ecce Homo § 2). Comme le note pertinemment VALADlER, cette difficulté constante de l'épistémologie de Nietzsche trouve son origine dans le rapport complexe que le philosophe du Gai Savoir et du Crépuscule des idoles entretient avec KANT. Comme KANTQ, il fixe des limites à la connaissance (voir p. 46) et il respecte la distinction du théorique et du pratique, mais à la différence de Kant, il porte son attention essentielle sur le moteur biologique et psychologique de la connaissance. À partir de là, plusieurs caractéristiques de l'épistémologie nietzschéenne peuvent, tant bien que mal, être dégagées. D'une part, l'idée d'une logique falsificatrice rend nécessaire de remettre sans cesse en cause le savoir acquis et d'émettre de nouvelles hypothèses (p. 47). D'autre part, au-delà de toute illusion déterministe, la connaissance suppose une part d'inventivité, voire même de jeu. On met ainsi en valeur tout l'engagement du sujet dans la démarche de connaissance, mais aussi la limite de toute connaissance. Dans la tradition de Kant et comme l'écrit très justement VALADIER : « Le monde, le réel, reste inaccessible : tout au plus peut-on l'affirmer en son insondable profondeur sur le mode poétique et chanter la vivace éternité de ce qui est » (p. 50). Au fond, Nietzsche ne va pas assez loin dans sa remise en cause de l'épistémologie kantienne. S'arrêter au seuil de « ce qui est », donc refuser une métaphysique, c'est diviser l'intelligence (VALADIER parle de la raison) entre sa fonction poétique et sa fonction logique. Une telle dualité est-elle acceptable ?
L’ouvrage aborde ensuite la question de la position de Nietzsche à l'égard du droit et de la justice (« Nietzsche et la noblesse du droit », p. 51-65), puis la question (difficile et controversée) de son approche du christianisme (« Nietzsche et le christianisme », p. 67- 84). Donnons simplement quelques grandes lignes développées par VALADIER. Le paradoxe du droit noble, critique de l'égalitarisme moderne, correspond plus à une question qu'à une affirmation qu'on pourrait traduire immédiatement dans le concret. Finalement, Nietzsche, dans La généalogie de la morale, recherche le critère de justice qui peut prendre en considération les inégalités entre les hommes. Ce n'est pas une question nouvelle ! Ce qui est plus contestable, c'est la nature de la noblesse du droit qu'il propose et qui, encourageant certes la créativité et une certaine qualité de la vie en société, n'apparaît pas spécialement tendre à l'égard des défavorisés.
En ce qui concerne le rapport de Nietzsche au christianisme, l'auteur rappelle (p. 67-69) les deux interprétations majeures de LÖWITH et de HEIDEGGER, interprétations qui vont dans le sens d'une « critique radicale de toute religion » par la philosophie nietzschéenne (p. 69). Par rapport à cela, un intérêt du texte de VALADIER est de rappeler que ce que Nietzsche met en cause, c'est la « confusion entre morale et religion », la moralisation de la religion (p. 76). En d'autres termes, un Dieu réduit et indissolublement lié à une morale n'est plus Dieu. C'est peut-être ainsi qu'il faut comprendre la « mort de Dieu ». Néanmoins, ce refus des représentations de Dieu en cours à son époque semble avoir entraîné, chez Nietzsche, le refus de la foi au Dieu de Jésus-Christ. La confusion viendrait de Nietzsche lui-même, qui aurait rejeté la foi en rejetant les représentations culturelles de la religion et de la morale à son époque. Et le refus de la croix du Christ et de sa résurrection, auxquels il oppose les mythes de Dionysos, est lourd de signification. Cela étant, on peut accepter l'existence d'une inquiétude religieuse qui parcourt toute la vie de Nietzsche. L’athéisme n'est-il pas toujours une crispation sur un refus d'un aspect précis de la foi ? Les vrais athées, chez qui tout sentiment religieux aurait disparu, existent-ils ?


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