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TH n°013 L'ÉGLISE PRIMITIVE FACE AU DIVORCE

TH n°013 L\'ÉGLISE PRIMITIVE FACE AU DIVORCE

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Date d'ajout : mardi 06 juin 2017

par E. AMAND DE MENDIETA

BYZANTINISCHE ZEITCHRIFT 65, 1972, 2

Aujourd'hui, de nombreux théologiens, moralistes et canonistes, appartenant aux différentes Églises chrétiennes mais surtout à l'Église catholique romaine, sont préoccupés par le problème que pose le nombre croissant des divorcés remariés parmi les chrétiens.
Ils se posent la question : l'Église ne pourrait-elle pas, sans mettre en danger sa fidélité à la volonté du Christ, assouplir son attitude à leur égard ? La parution toute récente, dans la Church of England, du rapport officiel adressé aux archevêques de Canterbury et d'York, Marriage, Divorce and the Church (Londres, S. P. C. K., 1971), témoigne de ce souci et de cette inquiétude au sein même d'une Église réputée pour la sévérité de sa discipline en matière de mariage et de divorce.
Les exégètes contemporains ont publié un nombre considérable d'études sur les passages controversés du Nouveau Testament, surtout sur Marc, 10. 2-12 et Matthieu, 19. 3-12, et en ont proposé des interprétations multiples et divergentes. Les écrits et les institutions des premiers siècles chrétiens nous apprennent comment les Pères, les théologiens, les évêques, les conciles de cette époque ont entendu ces textes du Nouveau Testament, à un temps où le droit civil contemporain admettait, comme aujourd'hui, le remariage après divorce.
Le Révérend Père Henri Crouzel, S. J., professeur à l'Institut Catholique de Toulouse, et auteur de plusieurs ouvrages remarquables sur Origène, s'est proposé d'étudier, en détail et dans l'ordre chronologique, tous les textes conservés des cinq premiers siècles relatifs à la doctrine et à la pratique du mariage, de la séparation des époux et du remariage, notamment après une séparation justifiée. Il examine évidemment les problèmes annexes tels que la "rupture" du mariage par l'adultère, l'obligation qui incombe aux époux séparés de pratiquer la continence, les secondes noces après veuvage, la séparation pour motif de religion, l'égalité de sexes en ce qui concerne les droits fondamentaux des époux, etc.
L'auteur de cette copieuse étude a voulu donner au public de langue française ouvrage analogue, et supérieur en qualité, à celui qu'Anton Ott avait publié à Münsteren-Westphalie, en 1910 : Die Auslegung der neutestamentlichen Texte über die Ehescheidung in der iilteren Zeit. Mais, de fait, le livre que nous avons entre les mains a été rédigé comme une réfutation, érudite et conforme à la méthode historique, de l'ouvrage récent et controversé de Victor J. Pospishil, Divorce and Remarriage. Towards a New Catholic Teaching (New-York, 1967), qui a paru plus tard en traduction française sous le titre : Divorce et remariage. Vers un renouvellement de la doctrine catholique (Paris, 1969).
En dépit d'une préoccupation polémique et apologétique qui affleure çà et là, le Père Crouzel, qui est un théologien et un historien, a voulu présenter au public de langue française une étude historique de son sujet aussi poussée, aussi exhaustive que possible, et qui n'élude aucune difficulté. Il s'est efforcé de replacer les textes dans leur contexte, et de comprendre certains termes, parfois ambigus, selon le sens que leur donnaient ceux qui les employaient.
Avant de proposer mon opinion sur la valeur scientifique de cet ouvrage, assurément remarquable, qu'il me soit permis d'en indiquer, en peu de mots, la structure. La bibliographie (pp. 11-18) est surabondante ; elle mentionne par exemple de nombreux ouvrages parus au XIXe siècle, surtout aux premières années de ce siècle, et même plusieurs traités du XVIIIe siècle, dont l'utilité ne semble pas manifeste dans un ouvrage qui se veut purement historique. Dans le chapitre préliminaire, l'auteur examine les textes de l'Ancien et du Nouveau Testament sur le divorce, la séparation et le remariage, notamment les textes de Paul, le fameux logion synoptique et les incises matthéennes qui l'embarrassent visiblement. Puis il étudie à part le problème de Paul et de la femme.
L'ouvrage s'articule naturellement en trois parties : les anténicéens, les orientaux des IVe et Ve siècles, et les occidentaux des IVe et Ve siècles. Un essai de synthèse clôt cette étude, surtout analytique, de 410 pages.
Je ne puis mentionner ici tous les auteurs chrétiens dont les textes relatifs au mariage, à l'adultère et au remariage sont consciencieusement reproduits en traduction française, examinés et discutés l'un après l'autre. Parmi les anténicéens, ceux qui sont étudiés avec le plus de détail sont Hermas, Justin et Athénagore pour le second siècle ; pour le troisième siècle, la part du lion revient à Clément d'Alexandrie, à Origène (exposé remarquable, évidemment) et à Tertullien. La littérature canonique jusqu'à Nicée (inclusivement) est étudiée au chapitre IV de la première partie.
Dans la deuxième partie (les orientaux des IVe et Ve siècles), les auteurs qui reçoivent le traitement le plus détaillé sont Basile de Césarée (j'y reviendrai plus loin), Grégoire de Nazianze, Jean Chrysostome (près de 30 pages), Théodoret de Cyr et Épiphane de Salamine. Dans la troisième partie (les occidentaux des IVe et Ve siècles), les écrivains latins (à l'exception d'Augustin) dont les textes sont le plus longuement commentés, sont Ambroise de Milan, l'Ambrosiaster, Jérôme de Stridon, l'auteur anonyme arien de l'Opus imperfectum in Matthaeum, et le pape Léon le Grand. Le chapitre III et dernier de cette troisième partie est consacré tout entier à Augustin d'Hippone (pp. 317-358). Sa doctrine sur le mariage, l'adultère et les secondes noces après veuvage, est exposée sur pièces (surtout d'après le De coniugiis adulterinis et le De bono viduitatis), d'une manière aussi complète que magistrale.
Comme je l'ai dit plus haut, un essai de synthèse, portant surtout sur les problèmes de la séparation et du remariage et d'autres problèmes annexes, couronne cette étude très fouillée. Mais, il faut bien le noter, cette synthèse constitue la partie la plus discutable de l'ouvrage, en raison même des présuppositions de l'auteur, qui s'y affirment avec plus de vigueur encore que dans le corps de l'ouvrage.
Qu'il me soit maintenant permis d'examiner très rapidement les pages 133 à 150 de cette étude, dans lesquelles l'auteur traite de la position de Basile de Césarée face aux problèmes du mariage, de l'adultère et du remariage.
Le Père Crouzel étudie d'abord Basile moraliste ; il cite et discute les deux premiers chapitres de la règle 73 des Règles morales ou des Éthiques (P. G., 31, 849-852). Cet exposé me paraît bien au point, à condition que l'on remarque (ce qui n'est pas fait) que, dans cet ouvrage de jeunesse, Basile se meut uniquement au plan des principes, et n'envisage nullement la complexité des problèmes concrets et pratiques. Le développement relatif à une séparation pour un motif de religion, c'est-à-dire de l'entrée du mari au monastère, est fort intéressant. Ensuite l'auteur étudie brièvement Basile homéliste ; il cite un passage assez amusant de la septième homélie sur l'Hexaéméron (P. G., 29, 160), où l'histoire de l'accouplement (fabuleux) de la vipère avec la murène sert à l'orateur d'exemple pour exhorter la femme (mais non le mari) à tout supporter de la part de son époux. Mauvais traitement, ivrognerie, caractère intolérable du mari ne suffisent pas à autoriser la femme à rompre l'union conjugale. Le Père Crouzel ne spécifie pas que cette exhortation adressée à la femme est insérée dans une homélie au peuple de Césarée, où l'orateur sacré peut se permettre quelques pieuses exagérations que tolère ce genre littéraire.
Mais c'est à Basile canoniste que l'auteur accorde, à juste titre, le plus d'attention et notamment à sa législation sur les secondes noces après séparation. Tout d'abord, je ne pense pas, à l'encontre de l'auteur, que chaque décision de Basile, dans les lettres canoniques 188, 199 et 217, semble viser un cas individuel précis (op. laud., p. 137). Si l'on ne peut voir dans ces lettres adressées à son ami Amphilochios, évêque d'Iconium, une sorte de code pénal ecclésiastique complet, réglant l'usage de la pénitence publique, on ne doit pas non plus tomber dans l'excès contraire, et ne voir dans ces lettres canoniques, qui furent plus tard incorporées dans le droit canonique de l'Église orientale, que de simples lettres personnelles qui conservent un caractère purement occasionnel et ne visent que des cas individuels soumis au jugement du métropolitain de Césarée. Celui-ci avait étudié de près, à propos de tous les problèmes que lui avait soumis Amphilochios, la coutume canonique des "Pères", c'est-à-dire de ses prédécesseurs sur le siège métropolitain de Césarée.
Le Père Crouzel a traduit en français les canons 9, 21, 22, 26, 31, 35, 36, 46, 48, 58, 59 et 77, qui traitent, de près ou de loin, des secondes noces après séparation entre époux. Dans l'ensemble, le commentaire qu'il présente de ces douze canons est documenté et fournit nombre de précieux renseignements historiques, notamment en ce qui concerne les notions juives et gréco-romaines de fornication et d'adultère, ainsi que celles de Basile lui-même, et l'attitude de celui-ci envers la femme adultère ou celle dont le mari est coupable de fornication et d'adultère.
Le canon dont l'interprétation cause à l'auteur le plus de difficulté est le canon 9. Après avoir lu attentivement le commentaire qu'il en donne, je ne pense pas que son interprétation dans le sens catholique romain soit la plus juste. Je me rallierais plutôt à celle des commentateurs byzantins Balsamon, Zonaras et Aristénos, et à celle de l'éditeur bénédictin Dom Prudent Maran, du cardinal Pitra, d'A. Ott, et de bien d'autres. La voici : sur ce point, Basile suit le droit civil romain, et permet ou tolère que le mari abandonné par sa femme et divorcé puisse contracter un second mariage, légitime devant l'Église, du vivant même de sa première femme. H. Crouzel estime que les arguments des canonistes byzantins et de plusieurs auteurs modernes ne tiennent pas, et par conséquent que le remariage de ce mari, dans de telles circonstances, est un adultère que Basile s'abstient seulement de punir. Je pense, au contraire, que, sur ce point précis, comme d'ailleurs sur plusieurs autres, Basile fait prévaloir les coutumes cappadociennes sur une interprétation stricte du logion synoptique dans Matthieu, et qu'il admet donc dans ce cas la légitimité d'un second mariage. Remarquons d'ailleurs que Basile n'est pas un laxiste : il fixe à 15 ans de pénitence publique la peine de l'adultère, et celle de fornication à 7 ans (canon 59) ou à 4 ans (canon 22).
Enfin, je me déclare d'accord avec l'interprétation que l'auteur propose des canons 4, 24, 41, 50, 53 et 80, qui prescrivent des peines graduées pour les époux qui, après la mort de leur conjoint, convolent en deuxièmes, troisièmes et quatrièmes noces. Basile condamne sévèrement les troisièmes et quatrièmes noces successives, et les traite de bestiales et d'inhumaines. Il impose aux coupables 4 ans de pénitence publique.
Dans l'ensemble, cette étude très détaillée de tous les textes préservés relatifs à l'attitude de l'Église primitive face au divorce fera date, parce qu'elle épuise le sujet, n'élude aucun problème et qu'elle permet aux lecteurs de juger sur pièces. Elle se recommande par sa méthode rigoureusement analytique et historique, même si les interprétations que propose l'auteur ne s'imposent pas à tous les lecteurs. Le Père Crouzel indique clairement, dans son Essai de synthèse, le principe qu'il a eu toujours devant les yeux en écrivant cet exposé historique, si remarquable à tant d'égards : "Il ne nous paraît pas concevable que l'Église [entendez l'Église catholique romaine] puisse un jour autoriser quelqu'un, dont le mariage est certainement valide, sacramentel et consommé, à contracter de nouvelles noces du vivant de son conjoint" (p. 382). Il lui apparaît que la quasiunanimité des cinq premiers siècles concernant le refus d'un remariage après séparation, est un fait prouvé et constitue pour l'Église la seule donnée solide. Néanmoins il admet que son Église peut tolérer, dans une certaine mesure, bien qu'elle soit adultère, une union conclue devant les instances civiles.
Bref une excellente étude historique, mais rédigée d'un point de vue nettement confessionnel.


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