MÉLANGES DE SCIENCE RELIGIEUSE, XXX, 1973

L'élégante collection « Théologie historique », que dirige le Père Kannengiesser, dans le sillage du cardinal Daniélou, vient de s'enrichir d'un titre anglais : Athenagoras. A Study in second century christian Apologetic, dû à Leslie W. Barnard. N'est-ce pas un signe des temps qu'un tel livre puisse paraître à Paris en langue étrangère ?
L'auteur étudie successivement la vie mystérieuse d'Athénagore (pp. 13-18), ses œuvres (pp. 19-35) et surtout sa doctrine (pp. 37-176). Il ne craint pas de prendre position, d'entrée, sur un point capital, qui commande la suite de l'exposé : quelle est l'œuvre d'Athénagore ? R. M. Grant, en 1954, avait avancé l'idée que le De resurrectione pouvait être d'une autre main que la Legatio et dater du IIIe-IVe siècle. Tous les maîtres de la patristique avaient fait de l'hypothèse un dogme. M. Barnard, par une argumentation brève et pertinente, revient à la thèse classique qu'il avait déjà défendue en 1967 dans une note du Journal of Theological Studies (n. s., XVIII, pp. 432-433), non rappelée ici, et il attribue les deux écrits à l'Apologiste du IIe siècle. Dès lors, il dispose d'une double source pour présenter la doctrine.
L'historien consacre trois chapitres à introduire cette étude doctrinale. Il délimite le contexte philosophique (pp. 37-51), en insistant particulièrement sur Galien, Marc-Aurèle et Celse (pp. 53-68), puis il décrit les bases bibliques et chrétiennes (pp. 69-79). On n'oserait lui reprocher de négliger, en ces exposés forcément sommaires, certaine thèse sur le Stoïcisme des Pères du IIe siècle, que son texte appelle souvent, ou les articles de J.-M. Vermander, qui situent Celse par rapport aux apologistes, si cette méconnaissance de la littérature française ne se confirmait au long du livre : sur les cent trente titres qu'aligne la « bibliographie choisie » de ce volume paru en France, quatorze seulement sont français et un seul d'entre eux est postérieur à 1948 (si l'on ne compte pas un livre du cardinal Daniélou cité en traduction anglaise).
L'exposé des doctrines n'en est pas moins sérieux. L'auteur passe en revue tour à tour les thèses d'Athénagore sur Dieu, sur le Logos-Fils, sur le Saint-Esprit, la Trinité et les puissances angéliques, sur la Création, le problème du mal, la Providence et l'homme, sur la connaissance et l'être, sur l'Église et la liturgie, enfin ses indications sur la vie chrétienne. L'étude est souvent comparative et justifie partiellement le sous-titre de l'œuvre : « a study in second century christian Apologetic ».
La conclusion est brève et dense. L'auteur y regrette qu'Athénagore ait été confondu dans l'anonymat avec l'Apologétique de son temps. Il en dégage l'originalité. Cet homme d'Église, mieux que Justin ou Clément d'Alexandrie, associe l'antiquité et le christianisme, « par une judicieuse adaptation de ce qui, dans la pensée non chrétienne, pouvait servir à la vérité chrétienne » (p. 178). Barnard vante la netteté et la finesse de sa pensée, la modération de son jugement, son ouverture aux doctrines médicales contemporaines, son intuition de la thèse scolastique de l'analogie de l'être, son ébauche d'une théologie trinitaire, la précision de sa terminologie liturgique (avec l'expression « non sanglant » appliquée au sacrifice eucharistique). Il y voit finalement un modèle de dialogue avec les non-chrétiens, toujours imitable.
Si l'on ajoute que la langue est claire, l'exposé bien charpenté, la mise en page et l'impression agréables, on se réjouit pleinement que la collection « Théologie historique » ait accueilli le travail de Barnard : il n'existait pas de monographie comparable sur Athénagore.