REVUE : NOTES ET DOCUMENTS, janvier décembre 1996

Voilà un petit livre qu'il faut lire. Il est d'une actualité particulière et ces entretiens le montrent à l'évidence. La Communauté de Sant'Egidio existe depuis 25 ans ; née en Italie, elle vient d'être connue de plus en plus dans le monde, particulièrement par ses actions en faveur de la paix, au Mozambique par exemple, au Guatemala et en beaucoup d'autres endroits.
Tout a commencé par les contacts avec les pauvres de la ville de Rome, d'une manière très modeste, et c'est à partir d'eux que la Communauté a découvert sa vocation profonde, telle que l'explique son fondateur, Andrea Riccardi, à la page 71 de ce très bel ouvrage rédigé à partir d'entretiens avec son auteur réalisés par J.-D. Durand et R. Ladous : « Lorsque nous sommes arrivés au terme des négociations sur le Mozambique, nous avons été découverts par les medias. Un journaliste du Washington Post m'a posé une question du type : 'Quand avez-vous achevé votre travail de solidarité sociale pour vous engager dans une action diplomatique ?'. J'ai répondu que le travail de solidarité n'est pas achevé, qu'il se poursuit, que la diplomatie représente un engagement exceptionnel ; la règle, c'est ce que nous faisons avec les pauvres. Mais je peux ajouter qu'il n'y a pas de contradiction, ni même de différence entre la solidarité avec les pauvres et la solidarité avec les peuples pauvres. La guerre est comme la mère de toutes les pauvretés. Elle rend tout le monde plus pauvre, même les riches ».
C'est cette dimension qui nous aide à découvrir en profondeur ce qu'est Sant'Egidio. Riccardi lui-même l'explique: « Lorsque l'on me dit : 'Je veux connaître Sant'Egidio', je réponds : "Venez prier avec nous". Chaque soir la prière s'organise autour de la lecture de la Parole de Dieu qui donne un sens au déroulement de la journée » (p. 163).
Cette action en faveur des pauvres est une réalité quotidienne qui se concrétise d'une manière particulière à certains moments de l'année, à Noël par exemple. « Depuis plus de dix ans, le jour de Noël après la liturgie eucharistique, nous offrons un grand repas dans la basilique, toute étincelante pour la fête. A ce repas sont invités les clochards, les tziganes, ceux qui sont seuls, les pauvres, les malades du SIDA, les personnes âgées… Noël est un jour difficile pour qui est seul et pauvre. Il risque d'être un jour inversé, une malédiction plutôt qu'une bénédiction, pour qui est sans moyen ou sans famille » (p. 165). Car le monde attend quelque chose des chrétiens « qui doivent donner aux hommes et aux cultures, aux pauvres, quelque chose qui vient de l'Evangile. Il n'y a pas que la force politique et économique qui change ou dirige les situations. Certes je n'ai aucun mépris pour la politique, mais je donne la priorité aux exigences particulières du service évangélique » (p. 168). Voilà pourquoi, enracinée sur une vie liturgique ecclésiale et sur sa vie de prière, la Communauté fondée sur une lecture exigeante de la Bible, récuse toute forme de cléricalisme et veut promouvoir l'humanisme chrétien tout en respectant la diversité des cultures.
Andrea Riccardi a mis au service de la Communauté toute sa formation d'historien ; sa culture possède une amplitude extraordinaire, nourrie encore par les diverses expériences des membres de la Communauté. Tout le livre est imprégné par ces réflexions hors des frontières de l'Italie, de l'Europe ; elle nous fait déborder toutes limites et aborder tous les problèmes brûlants de notre monde d'aujourd'hui. Je signale particulièrement ce qu'il dit du rôle de Jérusalem (p. 154) en affirmant que « sa vocation universelle signifie aider la paix, en réaffirmant que son avenir n'est pas seulement exprimé par les destins nationaux ». Jérusalem est vraiment le lieu de la paix, là où toute division perd son sens.