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TH n°105 LES APOLOGISTES CHRÉTIENS ET LA CULTURE GRECQUE

TH n°105 LES APOLOGISTES CHRÉTIENS ET LA CULTURE GRECQUE

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Date d'ajout : dimanche 03 janvier 2016

par Charles MUNIER

REVUE : UNIVERSITÉ DES SCIENCES HUMAINES DE STRASBOURG

Le présent volume rassemble vingt-trois communications données à l'occasion du colloque scientifique tenu à l'Institut Catholique de Paris les 2 et 3 septembre 1996, sous le patronage du Département de Grec de l'Université de Tours (B. Pouderon) et le Département de la Recherche de l'I.C. de Paris (J. Doré), pour une bonne cinquantaine de participants. Bien mieux que tout commentaire, l'énoncé des titres de ces communications fera pressentir leur intérêt, et le rappel de leurs auteurs respectifs, la compétence des intervenants, « spécialistes reconnus » sur des sujets qui demeurent de la plus brûlante actualité.
Monique ALEXANDRE, Apologétique judéo-hellénistique et premières apologies chrétiennes. - Adalbert G. HAMMAN, Dialogue entre le christianisme et la culture grecque, des origines à Justin : genèse et étapes. - Michel FÉDOU, La figure de Socrate selon Justin. - André WARTELLE, Quelques remarques sur le vocabulaire philosophique de saint Justin dans le Dialogue avec Tryphon. - Enrico NORELLI, La critique du pluralisme grec dans le Discours aux Grecs de Tatien. - Monica GIUNCHI, Dunamis et taxis dans la conception trinitaire d'Athénagore (Leg. X, 29; XXIV, 9). - Nicole ZEEGERS, Les trois cultures de Théophile d'Antioche. - Paul-Hubert POIRIER, Les chrétiens et la garde du monde. A propos d'Ad Diognetum VI. - Marek STAROWIEYSKI, Éléments apologétiques dans les Apocryphes. - Frédéric CHAPOT, Les Apologistes grecs et la création du monde. A propos d'Aristide, Apologie 4, 1 et 15, 1. - Pier Franco BEATRICE, Diodore de Sicile chez les Apologistes. - Bernard POUDERON, Réflexions sur la formation d'une élite intellectuelle chrétienne au IIe siècle : les « écoles » d'Athènes, de Rome et d'Alexandrie, - Jean-Claude FREDOUILLE, Tertullien dans l'histoire de l'apologétique, - Christiane INGREMEAU, Lactance et la philosophie des passions. - Michel PERRIN, Lactance et la culture grecque. Esquisse d'une problématique. - Patrick LAURENCE, Jérôme, la culture grecque et les femmes. - Isabelle BOCHET, « Non aliam esse philosophiam (…) et aliam religionem » (Augustin, De uer. rel. 5, 8). - Pierre EVIEUX, De Julien à Cyrille, Du Contre les Galiléens au Contre Julien. - Marie-Ange CALVET-SEBASTI, Comment écrire à un païen ? L'exemple de Grégoire de Nazianze et de Théodoret de Cyr. - Jean Noël GUINOT, Foi et raison dans la démarche apologétique d'Eusèbe et de Théodoret. - Jacques-Noël PÉRÉS, La culture helléno-syriaque de l'Église jacobite des VIIe-VIIIe siècles. Un refuge contre la tentation de l'apologétique. - Marina GUIORGADZE, L'influence littéraire de l'Apologétique d'Aristide sur le Martyre et la Passion d'Eustathe de Mtskheta (VIe siècle). - Gilles DORIVAL, L'apologétique chrétienne et la culture grecque.
Dans sa Postface, intitulée « Apologétique ancienne et culture contemporaine » (p. 467-478), le professeur Joseph Doré - devenu entretemps Archevêque de Strasbourg et, par le fait même, Chancelier de la Faculté de théologie catholique de l'Université des sciences humaines de Strasbourg - souligne l'intérêt permanent des précurseurs des premiers siècles pour les intellectuels et les théologiens d'aujourd'hui. D'entrée de jeu il observe que, si la culture contemporaine, « culture de la science, de la critique et du soupçon, culture de l'émancipation individuelle, de la sécularisation régnante, de la socialisation et même de la mondialisation croissantes… culture, pour faire bref, de la "modernité" », est bien différente de celle de l'époque paléochrétienne, « la foi chrétienne d'aujourd'hui est tout aussi radicalement affrontée à cette culture du présent que le furent à celle de leur propre environnement les disciples qui professèrent la foi du Christ aux tout premiers siècles de l'Église » (p. 468).
Parmi les enseignements qui peuvent être recueillis d'une fréquentation renouvelée des apologistes des premiers siècles, J. D., évoquant le discours de Paul devant l'Aréopage d'Athènes (Ac 17, 18-34) retient d'abord que « leur relecture aujourd'hui peut d'autant plus nous convaincre de la réalité et de la force de l'apparentement entre foi chrétienne et rationalité, qu'elle nous rend plus attentifs à sa manifestation effective dès l'époque néotestamentaire elle-même. Dans l'affirmation aussi marquée d'un apparentement aussi originaire, les intellectuels et les théologiens appliqués aujourd'hui à réfléchir sur le christianisme et la foi chrétienne sont invités à recueillir une première et fondamentale leçon. Elle peut être d'importance en une époque où l'intelligence, non seulement scientifique mais philosophique, redouble l'urgence du questionnement sur « le sens » et où, corrélativement cependant (et que ce soit pour y acquiescer ou pour le déplorer), tant d'hommes sont portés à faire équivaloir attitude religieuse et concession (ou consentement) à l'irrationnel, voire fuite vers lui (p. 471).
« Quasiment aussi capital que le précédent, un deuxième point mérite d'être souligné, si la foi chrétienne s'est de fait exprimée dès les origines sur le registre de la rationalité logique et discursive, elle l'a fait selon des modalités diverses qui révèlent du même coup en elle une grande richesse de potentialités. A partir du (très précoce) moment où la foi chrétienne a réalisé qu'en somme elle n'échappait pas à la rationalité, elle ne pouvait guère voir là qu'une expresse volonté de Dieu. S'il s'avère que le logos produit par l'intelligence humaine non seulement n'est pas de soi hostile à la foi, non seulement n'est pas totalement extérieur à elle, mais apparaît bel et bien - quoique dans des conditions à déterminer et selon des modalités à préciser - nécessaire à son expression même, il faut bien en déduire qu'il entre bel et bien dans le plan divin de la révélation et du salut. Il faut alors considérer qu'à côté des Écritures juives), la philosophie (grecque) fait elle aussi partie, bien qu'à sa manière propre, de l'économie révélatrice de Dieu. Tel est d'ailleurs, dès le début de la première (lire : la deuxième) moitié du Ile siècle, le sentiment de Justin. (Première apologie 46, 3-4)…
Autrement dit, il faut considérer qu'un même et unique Logos est à l'œuvre ici et là. En Jésus-Christ, il apporte aux hommes la pleine et entière connaissance de la Vérité, puisqu'il est l'auto-expression de Dieu faite non seulement chair mais parole humaines, non seulement parole mais chair humaines. Cela n'empêche cependant pas qu'il puisse également s'exprimer ailleurs, et particulièrement dans cette œuvre de la raison qu'est la philosophie. S'il en va ainsi, la question n'est pas tant de récuser ou de diaboliser la pensée profane, que d'en définir la juste position par rapport à une foi qui reconnaît avoir elle aussi partie liée à la rationalité.
Ici les procédures varient beaucoup. Tantôt la tactique est de dire que la raison hellénique a plagié la révélation judéo-chrétienne, tantôt elle est de faire état de ses limites voire de ses dérives pour mieux lui proposer son accomplissement en régime chrétien ; tantôt elle est d'argumenter contre la raison, mais en utilisant évidemment - crédibilité oblige - ses armes à elle, et tantôt encore elle est d'argumenter directement en faveur de la foi, mais en transportant alors en terrain chrétien les outils à dessein empruntés aux partenaires qu'il s'agit d'ébranler voire de convaincre ...
De sorte que, tout compte fait, il n'est pas sûr qu'il faille tellement opposer la ligne de Justin ou d'Irénée, ces hommes de l'accomplissement et de la récapitulation, à celle de Tertullien, souvent tenu pour le champion par excellence de la rupture. L'une et l'autre ne convergent-elles pas, en effet, dans une commune volonté de montrer, en s'appuyant d'ailleurs sur l'Écriture, que le Mystère du Christ est la clé de l'intelligence tant du destin individuel que de l'histoire tout entière ? Chacun à sa manière paraissent bien en témoigner et Origène et Eusèbe d'un côté, et Lactance et Augustin de l'autre » (p. 472-473).
« Ainsi tout se passe-t-il comme s'il fallait considérer que la foi s'est apparue plus claire à elle-même dans le moment où elle a vraiment joué le jeu de s'affronter sans complaisance comme crispation à l'''autre'' qui, pourtant, la questionnait voire la contestait. Dans l'effort ainsi consenti, la foi fit d'ailleurs une double découverte supplémentaire : d'une part elle réalisa qu'aucune des expressions qu'elle se donnait d'elle-même ne suffisait à traduire adéquatement le Mystère qu'elle professe, et donc qu'une certaine pluralité est à ce plan non seulement possible mais souhaitable et même nécessaire; et d'autre part elle se vit de soi conduite non seulement à consentir elle-même à une évolution dans la durée pour tenir compte de la diversité des partenaires successivement affrontés, mais aussi à admettre que pouvaient et devaient dès lors prendre de l'importance certaines régulations, tant épistémologico-théologiques que hiérarchico-magistérielles.
Là est sans doute le deuxième enseignement majeur que les contemporains sont en mesure de recevoir des témoignages que leur rendent les Apologistes des premiers siècles : la foi est appelée à trouver les moyens de jouer comme une chance pour elle-même les affrontements auxquels la provoquent d'elles-mêmes les évolutions de la culture et plus encore la diversité des cultures qu'elle rencontre ; mais la pluralité des discours qui en résultent ne peut être à son tour une chance pour la foi que si existent et sont reconnus critères de discernement et instances qualifiées pour instaurer et vérifier la fidélité à la foi et la communion en elle » (p. 474).
« Nous ayant d'abord instruits non seulement sur l'utilité et l'importance, mais bien aussi sur la nécessité du discours de la rationalité pour la foi chrétienne, les Apologistes grecs nous ont ensuite rendus attentifs à la multiplicité des modalités d'un tel discours. Or, due certes à la pluralité des partenaires rencontrés, cette multiplicité nous a paru résulter aussi, et même d'abord, de l'impossibilité pour chacun des discours particuliers, d'esquisser et de traduire adéquatement la foi dont il s'efforce pourtant de rendre raison, mais qui le déborde et le dépasse toujours… Une telle impossibilité ne tient pas, dans les différents discours tenus, à une inadéquation ou à une imperfection qui seraient purement factuelles ou circonstancielles. Il faut aller beaucoup plus loin, et reconnaître que si, de la sorte, les discours sont multiples, ce n'est pas seulement parce qu'ils sont plus ou moins "manqués", c'est parce que, quelle que soit sa pertinence par ailleurs, le discours comme tel est finalement impuissant à rendre compte, comme il faut pourtant le faire, de ce que propose la foi : à savoir ce que, depuis saint Paul, elle désigne à l'aide du mot "Mystère", ce "mystère de la foi" qu'acclame l'Église, ne cessant pas, du reste, de le proclamer "grand" (p. 475).
Ayant ainsi marqué les objectifs et les limites du discours de la rationalité pour la foi chrétienne, J. D. tient à relever « trois aspects extra-discursifs de la foi chrétienne, qui lui paraissent essentiels à son expression et qui doivent donc être mobilisés pour sa défense et illustration, lors même qu'il s'agit d'en répondre aussi (voire : d'abord) par et dans le discours ».
« Tout d'abord… aucun discours sur la foi ne saurait donner une idée juste de sa teneur réelle, pour ne rien dire de sa crédibilité effective, sans une attention portée à la qualité humaine/humaniste de la relation nouée avec le partenaire auquel on s'adresse. A cet égard est très révélatrice, dans son ordre, l'étude consacrée ici aux lettres envoyées aux païens par un Grégoire de Nazianze et un Théodoret de Cyr. Plus généralement d'ailleurs, on peut trouver là l'occasion de souligner l'importance, pour toute communication tentée à propos de la foi, de l'appel à l'expérience humaine du partenaire. Le discours d'auto-expression, auto-défense ou auto-présentation de la foi peut sans doute, négativement, éliminer des malentendus et, positivement, suggérer des approches ; mais il n'a aucune chance d'intéresser vraiment ni, et à plus forte raison, de convaincre, s'il ne prend pas les moyens de faire percevoir à son destinataire que ce à quoi il s'adresse en lui c'est son questionnement d'homme né à même le vécu courant de son existence, et donc, ni plus ni moins, à son expérience de la vie » (p. 476).
Pour rejoindre l'interlocuteur à ce niveau, un autre aspect essentiel à l'expression de la foi peut, au-delà du discours quoique toujours à travers lui, contribuer à faire apparaître son intérêt et sa crédibilité : le témoignage de la vie… Si polémique qu'il soit à l'égard de 1'« adversaire », le discours ne s'en propose pas moins de l'attirer, de l'engager sur le chemin de la perfection qui l'unira à Dieu. « Or cela conduit à reconnaître que l'argument décisif qui aurait de quoi emporter la décision des lecteurs, c'est l'exemple, le témoignage de la vie… Rhéteur converti, demeuré philosophe averti, Justin, à maints égards modèle des apologistes de la foi chrétienne, eut la force et reçut la grâce de savoir en témoigner jusqu'au sang. Le discours est essentiel à une foi qui s'adresse aussi à l'intelligence des hommes, mais parlant aux hommes de leur vie, il perdrait toute crédibilité s'il ne s'accompagnait incessamment du témoignage existentiel, de l'engagement de la vie, et - pour autant que les circonstances le requièrent et que Dieu en donne la force - du martyre même » (p. 477).
Le troisième aspect de l'expression extra-discursive de cette foi qu'exposent les discours, concerne la prégnance de la sacramentalité. Évidemment préoccupé d'abord d'argumentation et, à l'occasion, de polémique, le discours tenu par les Apologistes ne met pas souvent l'accent sur la ritualité chrétienne. En cela, ils ne font d'ailleurs que tenir compte du biais - surtout discursif - par lequel leurs partenaires entraient plus directement en contact avec le christianisme et se trouvaient donc portés à l'interpréter. Il n'en reste pas moins que les rites chrétiens aussi pouvaient être mésinterprétés, et donc mériter quelquefois justification ou explication. Il reste surtout que ceux qui discouraient pour la foi en pratiquaient aussi les sacrements et avaient donc conscience qu'un élément de sa crédibilité s'engageait aussi par là (p. 478).
En conclusion, J. D. observe que, si la réflexion sur la foi chrétienne doit désormais s'accomplir dans un contexte socio-culturel et économico-politique d'ensemble bien différent de celui des premiers siècles, si parmi les discours chrétiens tenus en ces siècles fondateurs ceux qui sont de ton et de teneur proprement apologétiques ne sont pas les seuls près desquels les théologiens d'aujourd'hui peuvent trouver des enseignements précieux, il n'en reste pas moins que ces demi ers ont beaucoup à apprendre des Apologistes comme tels, en une époque - la nôtre - où l'extension de la sécularisation s'accompagne pourtant d'une réviviscence du sentiment religieux, où le besoin d'une éthique et d'une sagesse acceptables à tous se font de plus en plus sentir, et où l'attachement à tous les particularismes identitaires n'en rend que plus souhaitables - au plan intellectuel aussi - une vraie reconnaissance et un vrai service de l'universel humain.
Une bibliographie sélective, ample et parfaitement à jour (p. 479-490), permettra aux lecteurs - certainement nombreux -, intéressés par cette grande aventure que fut la rencontre de la foi chrétienne avec la culture grecque au tout début du christianisme, de prolonger recherches et réflexions à ce propos. D'autres rencontres, d'autres affrontements nous sollicitent, d'autres visions du monde, d'autres systèmes de valeurs nous demandent, chrétiens de notre temps, chrétiens de tous les temps, « de rendre raison de l'espérance qui est en nous » (1 Pt 3, 15).


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