REVUE : REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE

A partir du 2e s., les apologistes chrétiens entreprirent de rendre raison de la foi au Christ sans décevoir les exigences propres de la pensée humaine ni attenter aux affirmations spécifiques de la foi chrétienne. C'est à cette rencontre, tantôt sereine et réussie, tantôt conflictuelle, entre la foi chrétienne et la culture grecque qu'a été consacré un colloque tenu à l'Institut Catholique de Paris les 2 et 3 sept. 1996. Le présent volume en constitue les Actes. Il couvre une large période et une vaste aire culturelle, allant des premiers apologistes grecs jusqu'à Augustin, Théodoret de Cyr et même l'Église jacobite des 7e – 8e s. Dans la première contribution, M. ALEXANDRE précise les rapports de la première apologétique chrétienne à l'apologétique juive, la nature des apports de cette dernière, avec les variations liées aux temps, lieux et personnes, à propos de trois thèmes centraux : la présentation du monothéisme et la polémique anti-polythéiste et anti-idolâtrique, en réponse aux accusations d'athéisme ; l'exaltation de l'éthique chrétienne et la critique des mœurs païennes, en réponse aux accusations d'inceste, de meurtre rituel et de haine du genre humain ; l'élaboration de l'argument d'antiquité, en réponse au reproche de nouveauté (p. 1-40). A.G. HAMMAN met en évidence les jalons qui balisent la rencontre entre le christianisme et la culture grecque, des origines chrétiennes à Justin (p. 41-50). M. FÉDOU montre comment Justin, lorsqu'il parle de Socrate, propose une théologie qui, si elle n'implique pas une ouverture inconditionnelle aux traditions non chrétiennes, admet une réelle communication :du Dieu de Jésus-Christ à des sages et à des justes de l'histoire pré-chrétienne (p. 51-66). A. WARTELLE analyse une trentaine de termes philosophiques du Dialogue avec Tryphon de S. Justin, qui est bien un ouvrage de « philosophie » au sens où l'entendaient les Anciens (p. 67-80). E. NORELLI étudie la critique du pluralisme grec dans le Discours aux Grecs de Tatien : si celui-ci ne nomme jamais le christianisme ni les chrétiens, c'est parce que son intérêt ne le porte pas vers la comparaison de deux religions en tant que telles, mais vers deux civilisations et vers les types d'éducation qui les représentent (p. 81-120). M. GWNCHI aborde la théologie trinitaire d'Athénagore à partir d'une analyse des termes δυναμιζ et ταξιζ (p. 121-134), N. ZEEGERS cherche à cerner la personnalité et le milieu d'origine de Théophile d'Antioche en définissant les caractéristiques de ses « trois cultures » : profane, juive et chrétienne (p. 135-176). P.-H. POIRIER revient, après bien d'autres, sur le thème des chrétiens «  âme du monde », tel que le développe l'Épître ri Diognète (p. 177-186). M. STAROWIEYSKI inventorie les éléments apologétiques dans les apocryphes (p. 187-197). Fr. CHAPOT étudie, à partir de deux passages de l'Apologie d'Aristide, comment les apologistes grecs du 2e s. envisageaient la question de la création (p. 199-218). P. Fr. BEATRICE s'intéresse à la réception de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile chez les apologistes (p. 219-235). B. POUDERON montre le rôle que les écoles d'Athènes, de Rome et d'Alexandrie ont joué dans la formation d'une élite intellectuelle chrétienne au 2e s. (p. 237-269). J .CI. FREDOUILLE situe la place que Tertullien occupe dans l'histoire de l'apologétique (p. 271-281). Deux contributions (dues respectivement à Chr. INGREMEAU et à M. PERRIN) sont consacrées à Lactance, à sa « philosophie des passions » et à sa connaissance de la tradition culturelle grecque (p. 283-296 et 297-313). P. LAURENCE montre que les correspondantes féminines de Jérôme (Paule, Marcella, Eustochium,…) ont trouvé en lui « le modèle d'une nouvelle culture soucieuse de récupérer le grec et de le mettre au service des Écritures » (p. 315-331). 1. BOCHET établit dans quelle mesure Augustin, lorsqu'il affirme avec Lactance qu'on ne peut dissocier philosophie et religion, est l'héritier des apologistes du 2e s. (p. 333-353). P. ÉVIEUX aborde l'apologétique de Julien l'Apostât dans son Contre les Galiléens et celle de Cyrille d'Alexandrie dans son Contre Julien (p. 355-368). M.A. CALVET-SEBASTI examine comment Grégoire de Nazianze et Théodoret de Cyr adaptent leurs lettres à leurs destinataires païens (p. 369-381). J.-N. GUINOT montre comment s'articulent foi et raison dans la démarche apologétique d'Eusèbe et de Théodoret (p. 383-402). J.N. PÉRÉS présente la culture helléno-syriaque de l'Église jacobite des 7e - 8e s. comme un refuge contre la tentation de l'apologétique (p. 403-411). M. GUIORGADZÉ étudie l'influence littéraire de l'Apologie d'Aristide sur le Martyre d'Eustathe de Mtskheta (p. 413-421 ; l'A. apporte de nouveaux arguments en faveur de l'attribution de la Vie de Barlaam et loasaph à Euthyme l'Ibère [suggestion d'E. Peeters]). G. DORIVAL propose un exposé de synthèse où il montre quelle a été la part de regard critique et la part d'imprégnation des auteurs d'apologies face à la culture grecque (p. 423-465) ; la conclusion est que « chez les auteurs d'apologies, la critique de l'hellénisme, qui peut aller jusqu'au refus proclamé, est contrebalancée par l'omniprésence de la culture grecque » (p. 464). Enfin, dans la postface de l'ouvrage, J. DORÉ tire les conclusions qu'un théologien peut recueillir d'une fréquentation renouvelée des apologistes des premiers siècles.