Editions BEAUCHESNE

33.00 €

12. LOUIS VEUILLOT suivi de Témoignage d'Emile Poulat

12. LOUIS VEUILLOT suivi de Témoignage d\'Emile Poulat

Ajouter au panier

Date d'ajout : mercredi 23 décembre 2015

par Michel TODA

REVUE : LA NEF, mars 2003

Louis Veuillot (1813-1883), homme du peuple converti à 25 ans, a été l'une des plus remarquables plumes journalistiques du XIXe siècle. Durant quarante ans à la tête du journal l'Univers, il représentait un catholicisme contre-révolutionnaire et ultramontain et eut une immense influence sur l'Église de son temps.
Peu de jours avant que fut célébré en grande pompe, le 25 novembre 1913, en la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, le Centenaire de Louis Veuillot, un publiciste chrétien, Julien de Narfon, disait dans une conférence prononcée à l'École des Hautes Études Sociales : « Est-ce que l'œuvre de Louis Veuillot a vraiment été utile à l'Église catholique et aux âmes ? Très sincèrement je ne le crois pas  » Et, sous le titre de Scandaleuse apothéose, le même Julien de Narfon récidivait, le 8 décembre 1913, par un article publié au Journal de Genève. Porte-parole, à cette date, d'une opinion fort minoritaire parmi les catholiques français, Narfon (qui se voulait un excellent fidèle, « ni moderniste ni modernisant »), de toute évidence, serait aujourd'hui beaucoup plus largement approuvé et suivi. L'ensemble de la société, en effet, y compris les croyants, siège maintenant à la Plaine, pour user d'un vieux mot de notre topographie parlementaire, et ce qui a goût ou réputation d'intransigeance l'inquiète ou même lui répugne. D'où, à coup sûr, son éloignement pour un homme comme Veuillot.
Fils d'un ouvrier tonnelier originaire de la Bourgogne, qui ne savait pas lire et ne connaissait que son métier, le jeune Veuillot, au sortir de l'école mutuelle de Bercy, bourgade de la banlieue parisienne voisine des entrepôts destinés au commerce des vins, là où s'était embauché son père, entra à treize ans comme petit clerc dans une étude d'avoué.
Assoiffé de lectures
C'est donc chez Me Delavigne, frère du poète et auteur dramatique Casimir Delavigne, que l'enfant pauvre allait « faire ses universités », dans un milieu « passionné de journaux, de théâtre et de poésie ». Sans négliger son emploi, dû à une chance insigne, mais qui ne l'intéressait que par besoin de gagner son pain, aux moindres instants libres, et le soir et la nuit, il se rassasiait de lectures. Il se mit aussi au latin, avec l'aide d'un collègue de cette providentielle et singulière étude, qui lui donna de précieuses leçons, à l'histoire, et apprit à aimer les écrivains du XVIIe siècle, ses auteurs de prédilection. « C'est une sensation délicieuse, avouera-t-il, en 1866, dans les Odeurs de Paris, d'écouter une tragédie de Racine, après qu'on s'est trempé pendant quelques jours dans les œuvres modernes. Il semble que l'on se promène autour d'une belle et immense architecture sous la magnificence des grands arbres régulièrement plantés.»
Louis Veuillot avait presque dix-sept ans quand se produisit la révolution de 1830. Elle permit au saute-ruisseau d'avant-hier d'échapper à l'atelier de procédure. Poussé par un de ses amis de l'étude Delavigne, en septembre 1831, il fut envoyé à Rouen, pour tenir la chronique locale à l'Écho de la Seine-Inférieure, l'une de ces gazettes que les bourgeois orléanistes, « debordés aussitôt que vainqueurs », confiaient à qui ils trouvaient « pour défendre l'étrange ordre social qu'ils venaient d'établir ». Un an après, cette fois comme rédacteur en chef, il partit pour Périgueux, afin d'y reprendre en main le Mémorial de la Dordogne, de même couleur politique. De retour à Paris à l'automne de 1836, il s'occupa encore de journalisme. Cependant, à la période d'euphorie que lui procuraient des activités de presse plus grisantes qu'en province, succédèrent bientôt des pensées mélancoliques. Et le désir de fuir un monde vide, malpropre, occupé surtout de misérables intrigues. Finalement, au printemps de 1838, le voilà en Italie. À Rome, le 12 juin, à la suite de longs entretiens avec un éminent Jésuite français, le père Rozaven, dans la cellule duquel il pénétra « comme dans la piscine qui guérissait les lépreux et les paralytiques », s'étant confessé, il se releva chrétien.
Revenu en France, l'administration, grâce à Guizot, lui ouvrit ses portes. Il devait y être chargé notamment d'affaires touchant l'Algérie - où il séjourna, dans l'entourage du général Bugeaud, de février à août 184l. Pourtant, à ce moment déjà, il s'apprêtait à bifurquer de manière définitive. Attiré par « une maussade petite feuille de calotins », selon la dédaigneuse expression du phalanstérien Victor Considérant, qui portait ce titre : l'Univers, et qui, lancée le 3 novembre 1833, végétait obscurément, il lui avait offert un article, publié le 16 juin 1839. D'autres suivirent. Et, au mois de mars 1843, Veuillot, après s'être fait mettre en congé sans traitement du ministère de l'Intérieur, en fut nommé « rédacteur principal », en fait rédacteur en chef.
Avec un tel patron, dont la force consiste « dans l'équilibre du mouvement et des raisons, du pathos et de l'ethos, de l'action et de la dialectique », le ton va changer, les perspectives se déplacer, et s'estomper le souci d'« édifier », et cesser de « languir » ce qui d'abord importe : « le combat pour l'Église et pour la patrie ». Car Veuillot a contracté envers cette Église une dette infinie, et qui n'impose pas de minces devoirs. « L'Église, avertissait-il, m'a donné la lumière et la paix. Je lui dois ma raison et mon cœur. C'est par elle que je sais, que j'admire, que j'aime, que je vis. Lorsqu'on l'attaque, j'ai les mouvements d'un fils qui voit frapper sa mère… » Or, à ce moment précis où, définissant par ces paroles le caractère de son aspiration maîtresse et de son constant effort, il brandissait fièrement le drapeau de la presse religieuse, à quoi assistait-on ? Au réveil du voltairianisme. Fâchée par la campagne des catholiques contre le monopole universitaire, la libre pensée agitait l'épouvantail du « parti prêtre » et criait : Au jésuite ! Certes, Veuillot n'était guère d'humeur à ménager pareil adversaire. Menée avec détermination, la lutte emplit les dernières années du Gouvernement de Juillet. Elle allait aboutir, la révolution de 1848 aidant, à la loi du 15 mars 1850 sur la liberté de l'enseignement, dont beaucoup se réjouirent pour l'Église, mais que l'Univers, sourd à ce brouhaha, critiqua à l'égal d'un marché de dupes.
L'un des artisans de cette loi, Félix Dupanloup, le très actif et impérieux évêque d'Orléans, en conçut du dépit, et retracer l'histoire de ses rapports avec Veuillot, c'est ne parler que d'une succession de démêlés. « On ne peut pas comprendre, écrivait encore en 1869 à une amie le rédacteur de l'Univers, que l'évêque d'Orléans ayant été créé pour étaler sa queue et moi pour marcher dessus, nos perpétuels coups de poing rentrent dans l'ordre des choses… » De même, d'autres catholiques notoires, un Montalembert, un Falloux (qui donna son nom à la loi de 1850), ne furent pas moins exaspérés (seulement à partir de 1852 pour Montalembert) de ses orientations et du ton de sa polémique. À les en croire, il amassait contre l'Église, par ses positions outrées, des haines redoutables. Mais la riposte n'attendait pas. « Toute parole de foi irrite l'incrédulité, soulignait-il. M. de Montalembert a été traité de furieux, M. de Falloux d'inquisiteur ; les mandements de nos évêques excitent la colère du Siècle… A moins de se taire, quel moyen de ne pas irriter des gens que nous offensons en faisant le signe de la croix ? » Furieux, inquisiteur, lui aussi récoltait ces jolis qualificatifs, et ceux de « dévot furibond », d'« apologiste de halle et de carrefour », et combien de plus blessants peut-être qu'on veut ignorer. À qui lui reprochait de manier « la canne et le bâton devant l'arche », il avait répondu : « Bâtonniste devant l'arche, c'est mon métier, en effet. »
Avec le pape
Le pape, qui était Pie IX, ne semblait pas, au demeurant, lui en savoir mauvais gré. Même, il le protégeait, il l'encourageait, il le félicitait - sans entériner, cela va de soi, d'inévitables et regrettables excès de langage. Veuillot, lui, révérait et aimait Pie IX. Et, dans ces sentiments, il y avait de l'enthousiasme, de l'exaltation, presque de l'ivresse. En 1862, dans le Parfum de Rome, évoquant la personne du souverain pontife, le frappaient « cette expression de douceur, de bénignité, de patience, ces yeux noirs fins et francs, ce caractère de majesté paternelle que le pinceau ni la photographie ne parviennent à saisir et qu'on ne peut oublier ». Deux ans auparavant, c'est à Pie IX, en qui il saluait « la lumière de tout devoir, la règle indéfectible de toute force, l'intrépide gardien de toute vérité », que Veuillot avait, en pleine connaissance de cause, sacrifié l'existence de l'Univers, pour avoir osé y publier l'encyclique Nullis certe par laquelle le pape accusait Napoléon III de double jeu dans la Question italienne - (supprimé le 29 janvier 1860, l'Univers recevra, le 19 février 1867, l'autorisation de reparaître). Ainsi pouvait-il préciser, toujours dans le Parfum de Rome : « Si nous n'avons pas su, autant [que Pie IX] l'aurait désiré, garder le calme dans la polémique, et s'il nous est arrivé de manquer en cela, tantôt sans le vouloir, tantôt sous le coup de l'indignation, tantôt par nécessité, jamais nous n'avons pris une voie qu'il ait désapprouvée. »
En reparaissant, l'Univers resta donc le soldat de l'Église, hardi et batailleur, que chacun, en France, connaissait. Face à lui, il retrouvait Voltaire, mais renforcé (ou éclipsé) par d'Holbach et Helvétius. En cette fin du Second Empire, a remarqué Gustave Geffroy (dans l'Enfermé, importante biographie d'Auguste Blanqui qui qualifiait le surnaturel de guet-apens !), il y eut « un renouveau et un développement des idées du XVIIIe siècle, tout un mouvement qui reste marqué dans l'imprimé d'alors, depuis le livre du philosophe et du savant jusqu'à l'article du journaliste… On se disait volontiers athée, matérialiste, positiviste, et le républicain vaguement religiosâtre ou nettement catholique de 1848 devint une anomalie, une curiosité. » Les fastes de la Commune, en 1871, révélèrent d'ailleurs l'effrayante ampleur du phénomène. Veuillot, naturellement, fut ferme dans la tourmente de la guerre étrangère et de la guerre civile, mais, fort affecté déjà par le passage de la Ville Éternelle aux Piémontais, il ne se consola pas de voir écarter le prince chrétien (Henri V, comte de Chambord) qui portait, affirmait-il, les espérances de la patrie, et l'établissement de la IIIe République anticléricale le désola.
Au lendemain de sa mort, survenue le 7 avril 1883, après une interminable maladie qui lui ôta des mains sa « plume de fer rouge », Ernest Hello disait: « Le sens du mépris, qu'il avait si puissant, n'éteignait pas en lui le sens du respect. Il respectait, comme il méprisait, de toutes les forces de son âme. »


Donnez votre avis Retour
RECHERCHER DANS LE CATALOGUE BEAUCHESNE

aide


DICTIONNAIRE DE SPIRITUALITÉ
ÉDITION RELIÉE
DS

LE COMPLÉMENT PAPIER INDISPENSABLE DE :

DS
ÉDITION EN LIGNE




EN PRÉPARATION
LA RÉVOLUTION DE L’ÉCRIT. EFFETS ESTHÉTIQUES ET CULTURELS

FOLIES ET RIEN QUE FOLIES

Fascicule I
dans la même collection
Fascicule II Fascicule III Fascicule IVa Fascicule IVb

PENSÉE SYMPHONIQUE

LE POUVOIR AU FÉMININ

JEAN BAUDOIN (CA. 1584-1650) Le moraliste et l’expression emblématique

Écrits sur la religion


L'Education Musicale


SYNTHÈSE DOGMATIQUE

Partager et Faire savoir
Partager sur Facebook Partager sur Twitter Partager sur Google Buzz Partager sur Digg