REVUE : HISTOIRE GÉNÉRALE ET SPÉCIALE

Dans l'Église et la société syrienne, les moines ont joué un rôle déterminant. Ph. E. dresse un tableau coloré et nuancé de l'histoire du monachisme syrien dans ses caractères contrastés pendant la période des 4e-7e siècles. L'ouvrage s'efforce de mettre en lumière dans le contexte de l'évolution de l'Église syrienne la place originale des moines qui sont connus par leurs pratiques et souvent par leurs excès ascétiques. Ils vivaient dans une intense attente eschatologique, dans l'espoir fort de la restauration de la vie paradisiaque et de la vie angélique. C'est cette caractéristique qui fait l'originalité de la Syrie-Mésopotamie, plus encore que la diversité culturelle de la région. L'A. reprend à fond l'examen des nombreuses sources grecques et syriaques disponibles en traduction. Son idée principale est une structure ecclésiastique duale en Syrie. Il met en lumière la coexistence de deux modèles d'organisation du salut : l'Église institutionnelle et le monachisme. Le monde monastique constitue selon lui un contre-modèle. Le monachisme est fortement concurrentiel à l'égard de l'Église institutionnelle, centrée autour de l'évêque, des édifices culturels et même des autorités civiles. Par leur prestige dans la société, les moines peuvent imposer leur volonté aux autorités ecclésiastiques et civiles dans les querelles théologiques. L'Église institutionnelle, quant à elle, ne peut tolérer sans réagir l'importance que prennent les moines. Selon cette ligne principale, l'A. décrit en détail les différents phénomènes du monachisme en Syrie. Il date le déclin du premier type d'ascétisme (les Bnay Qyama) au début du 5e s., une période charnière, qui voit la disparition progressive des structures archaïques au profit du système clérical hiérarchique el le passage au monachisme classique. Entre le début du 5e et le 7e s., les Hnay Qyama cédent leur fonction et se réduisent à un statut clérical inférieur. Pour donner une idée de ce qu'était la société paléo-chrétienne en Syrie, l'A. analyse les groupes hérétiques, qui se réclament quelquefois des apôtres par les mêmes textes fondateurs (textes apocryphes) que les chrétiens « orthodoxes ». Parmi eux, les messaliens dont l'ascétisme dissident est le plus influent. Ils prétendent incarner la tradition ascétique syrienne. Leurs idées se manifestent en différents groupes monacaux en Syrie. Le chapitre sur l'engagement dans la vie monastique permet de comprendre les rapports qu'entretiennent société chrétienne et monachisme. L'A. analyse, moyennant des thèmes homilétiques des 5e et 6e s., l'attrait qu'exerce le monachisme. Il examine les différentes formes du recrutement des personnes, même des enfants, pour la vie monastique et il dessine les conflits qui peuvent en résulter pour une communauté religieuse. Sont aussi envisagés les segments de famille ou même les familles entières qui entrent au couvent avec des conséquences importantes pour les liens familiaux. Ces liens peuvent être déterminants pour l'engagement dans la vie ascétique. Une autre partie de cette œuvre substantielle traite à fond le système économique voire le financement du monachisme (travail manuel et intellectuel, aumône, bénéfices, offrandes) ainsi que la clientèle monastique qui assure les transactions spirituelles et matérielles entre les moines et le monde laïque. L'intégration des moines dans la société laïque est assurée par les services en matière de guérison, de médiation sociale, la destruction des sanctuaires païens, etc. L'imbrication entre populations et moines engendre néanmoins des risques spécifiques pour les membres de la communauté religieuse, une relation parfois fragile et instable. Ce qui accroît le rôle des moines, c'est aussi leur engagement dans l'évangélisation et la prédication de la population, dont s'occupe une autre partie du livre. La prédication permet aux moines d'exercer une influence importante, et de conforter leur rôle de conseillers spirituels des populations. Ce rôle est suspecté par les autorités religieuses et civiles. Par contre, les prédications monastiques peuvent servir de relais à l'action du clergé dans les campagnes ou dans les milieux populaires. L'A. présente des prêtres et évêques itinérants et d'autres modèles d'activité pastorale en Syrie. D'autres parties du livre démontrent les implications lorsqu'un moine reçoit l'ordination ou la mainmise sur l'épiscopat. C'est un livre fort savant et scrupuleusement documenté. L'A. sait illustrer un panorama du monde monastique avec ses propres conditions sociales et religieuses en se servant d'une documentation exhaustive des sources hagiographiques, historiques et homilétiques. Il parvient à démontrer que le monde monastique en Syrie entre les 4e et 7e s. étaient loin d’être uniforme.