REVUE : REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, 95,1

Dom M. nous fait bénéficier d'une enquête en un très vaste domaine : les marges du christianisme ne sont pas ignorées et plus de vingt siècles défilent puisque les premières pages sont consacrées à Cicéron et Sénèque et les dernières a Einstein. Une introduction bienvenue précise le sens des mots expérience et expérience spirituelle. On s'attendrait à ce qu'une conclusion couronne l’ouvrage. Il faut se contenter d'une brève réflexion page 325 à propos de Louis de Broglie. Pouvait-il en être autrement ? Il aurait été difficile de ramener à l'unité une telle abondance. Le livre est constitué essentiellement de citations, souvent amples, des divers auteurs présentés. Ainsi le lecteur peut se faire lui-même une idée de l'intérêt de chacun. De plus, après sa lecture, il lui demeure loisible de revenir à l'introduction et de mieux en apprécier les précisions et les distinctions. Celle-ci détaille : expérience humaine, expérience scientifique, expérience philosophique, expérience spirituelle. Il aurait été possible de nous épargner sur le rôle de l'expérience dans la vie humaine de nombreux textes brefs qui se répètent, de manière à pouvoir insister davantage sur l'expérience proprement spirituelle. Le nombre des auteurs cités ne laissait pas la possibilité d'une étude approfondie de chacun. De là, une certaine insatisfaction. De nombreux maîtres font allusion à l'expérience spirituelle et en disent la nécessité. C'est relativement banal. Plutôt que de continuer à enfoncer des portes ouvertes, on préférerait les franchir et pénétrer dans ce que fut leur propre expérience, de manière à découvrir ce qu'elle eut de singulier. En quelques cas heureusement, Dom M. a pris le temps de nous y guider : ses pages sur Marie de l'Incarnation, ursuline, sont spécialement éclairantes. Peut-être objectera-t-on que précisément l'expérience est ce qu'il y a de personnel et d'incommunicable. Il n'empêche qu'on peut distinguer des parentés, des filiations, des écoles, qui n'ont guère retenu l'attention de l'A. Chacun dit ce qu'il a vécu en recourant aux images et au vocabulaire de ses prédécesseurs. Il en résulte une continuité qui dessine une histoire. Mais Dom M. se plaît plutôt à associer les auteurs par deux, parfois trois, en faisant ressortir les différences autant que les similitudes. Ainsi les portraits sont davantage contrastés. J'aurais préféré que Malebranche fût situé à son époque plutôt que mis en parallèle avec Montaigne et que Descartes et Pascal eussent place à l'époque classique plutôt qu'à la Renaissance avant Luther. L'époque moderne est traitée rapidement : Claude Bernard et Pasteur sont associés en dépit de ce qui en fait les opposa. William James n'est pas même nommé, malgré l'écho que trouvèrent The varieties of religious experience. Rudolf Otto non plus. Dom M. a-t-il voulu éviter les nombreuses questions que le développement de la psychologie permet à qui se penche sur ceux et celles qu'on dit mystiques ? En tout cas, son livre n'a pas la prétention d'être un répertoire, ni de constituer une synthèse. Intentionnellement, il s'en tient à des spécimens. Et il rend grand service en mettant à notre disposition de très nombreux textes et des références auxquelles maint lecteur n'aurait jamais pensé.