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BB n°42 GENRE ET CHRISTIANISME. Plaidoyers pour une histoire croisée

BB n°42 GENRE ET CHRISTIANISME. Plaidoyers pour une histoire croisée

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Date d'ajout : dimanche 13 mars 2016

par Fr�d�ric GUGELOT

REVUE : ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS, 172, OCTOBRE 2015

L’ouvrage a pour ambition de démontrer ce qu’apporte la problématique du genre à l’histoire du christianisme contemporain (p. 10). La définition la plus reprise est celle de Joan Scott, où le genre est « un élément constitutif des relations sociales fondées sur les différences perçues entre les sexes », un système produisant des attendus sociaux et symboliques entre hommes et femmes. Le premier obstacle est qu’il n’est parfois pas facile de distinguer des discours et pratiques différents du reste de la société et ainsi de dégager l’apport spécifique des logiques religieuses ; en effet, « le schéma de pensée naturaliste et différentialiste pour penser le genre, dont on peine à démêler s’il provient d’un fonds culturel partagé avec le reste de la société française ou du catholicisme lui-même, est dominant durant la période d’étude » (p. 320). La totalité des textes porte sur le christianisme, et très majoritairement sur le seul catholicisme. Dès l’introduction, les auteurs rappellent que l’idée d’émancipation des femmes s’inscrit au départ dans le christianisme qui affirme un réel égalitarisme du destin des hommes et des femmes tant dans l’accès à une vocation, aux sacrements et aux cultes (p. 50). Le livre s’articule en six parties : historiographies, jeux de genre, identités féminines, masculinités à l’épreuve, jeunesses catholiques et genre(s) en débat.
Ces « plaidoyers pour une histoire croisée » du genre et du christianisme, où les deux champs d’études se nourrissent l’un de l’autre, apparaissent convaincants, même si les textes n’articulent pas de la même façon le croise- ment des deux approches. L’histoire religieuse a une solide tradition d’histoire des femmes et fut très tôt attentive au rapport des sexes. Mais les recherches dominantes prirent le prisme de la sociologie religieuse, de la démographie ou de l’histoire sociale ou politique, l’approche par le genre est la dernière étudiée (Sabine Rousseau). Claude Langlois distingue avec prudence théorie du genre et études de genre. Il insiste sur la fonction heuristique du déplacement de regard sur des terrains déjà labourés ou sur l’ouverture de nouveaux champs de recherche (p. 51). Il note l’apport du genre pour l’étude de l’origine du discours catholique sur la limitation des naissances au sein de la sexualité conjugale ou sur la possibilité d’une écriture féminine au sein du catholicisme autour de la figure de Thérèse de Lisieux. Celle-ci s’autorise d’une virtuosité spécifique pour justifier son aspiration littéraire.
L’historiographie religieuse insiste depuis longtemps sur l’« inégal partage sexuel des rôles religieux » (p. 12) même si la sphère religieuse a été parfois un espace d’expression, d’affirmation et même d’autonomie pour les femmes (p. 15). Le clergé, masculin, cumule les fonctions qui relèvent du politique, de l’intellectuel et du symbolique. De plus, au cœur de l’institution, rien ne doit remettre en cause la distinction Église enseignante/Église enseignée. Pourtant un réel processus de « féminisation » de la pratique, du personnel et de la piété s’est développé depuis la Révolution française (p. 21). Le succès des congrégations féminines au XIXe siècle s’explique aussi par l’espace d’autonomie et de responsabilité qu’elles offrent aux femmes et par leur finalité : être actives dans la société au sein d’une sociabilité perçue comme légitime. Dimorphisme sexuel et sphères séparées dominent longtemps le champ des interprétations. Les travaux sur l’engagement des femmes dans les œuvres de charité, l’action sociale et politique remettent en cause la netteté de ces séparations. Plusieurs textes mettent en avant la « pluralité des modèles catholiques » (p. 290). Ainsi l’Église ne donne pas le même modèle de comportement, ni la même piété ou les mêmes pratiques aux hommes et aux femmes (p. 247). Elle différencie les publics dans la littérature, sépare filles et garçons où le sportif est longtemps associé à l’idéal du soldat chrétien, alors que la sportive, plus tardive, s’inscrit dans la volonté de respecter la « nature » féminine et de limiter la mixité.
Sur deux siècles, le catholicisme préserve une représentation pérenne de la femme lar- gement associée au foyer et à la maternité (p.65), qui résonne avec l’accusation de Michelet : « La femme, c’est la maison : mais c’est tout autant l’église et le confessionnal. Cette sombre armoire de chêne où la femme à genoux [...] renvoie, plus ardente, l’étincelle fanatique, est le vrai foyer de la guerre civile » (p. 155). Mais la répartition des rôles sexuels obéit aussi aux contraintes juridiques et poli- tiques et à des logiques sociales partagées par d’autres et auxquelles des femmes peuvent pleinement adhérer. L’engagement majoritaire des femmes catholiques à droite se fonde en particulier sur le développement de l’action sociale et sur leur volonté de promouvoir un programme familial et maternel. Les arguments religieux sont premiers : dans la logique d’un catholicisme intransigeant, elles aspirent à une rechristianisation de la société. Même les femmes protestantes du journal La Femme (1879-1891), qui apparaissent plus réceptives aux idées féministes, promeuvent un discours d’émancipation au nom de valeurs religieuses, qui les distinguent à la fois des catholiques et des autres féministes.
L’ouvrage permet aussi de revenir sur certaines représentations en les nuançant. La résistance religieuse à la Révolution française montre des femmes au premier plan des émeutes religieuses et dans les réseaux de soutien aux prêtres réfractaires (p. 164). Cette surreprésentation des femmes, que les Lumières perçoivent comme naturellement dévotes et fanatiques, dissimule le fait que la défense de l’Église réfractaire est autant un fait d’hommes que de femmes. Les faibles condamnations judiciaires des femmes répartissent les tâches entre l’action légale (pétitions) aux hommes et l’illégale (l’émeute) aux femmes (p. 174). À cette occasion, elles acquièrent néanmoins des rôles nouveaux tant dans le culte clandestin que dans les bonnes œuvres (p. 177). Les clercs n’ont-ils pas alors été tentés de faire des femmes le pilier moral de la société, participant ainsi à la féminisation du catholicisme du XIXe siècle ? Ainsi à Lourdes, l’auteur affirme que le genre oriente les représentations des pathologies, mais aussi des guérisons largement féminines (8 femmes pour 1 homme, p. 118), peut-être plus déclarées parce que plus sensibles à une reconnaissance officielle. L’étude sur ce lieu montre la complexité, et donc la fécondité d’une autre approche. Lourdes se développe au moment même où le décrochage de la pratique masculine s’accentue et très nettement le pèlerinage s’y construit dans la logique des « sphères séparées », qui tient compte des vocations spécifiques des hommes et des femmes. Très tôt se développent des pèlerinages d’hommes, à l’exemple de celui de 1899, sous les auspices de Albert de Mun et Léon Harmel, qui per- mettent tout à la fois d’entretenir la séparation des sexes, mais aussi d’élaborer des pratiques de piété différenciées selon le genre et d’élaborer des pèlerinages militants à un moment difficile pour l’Église (p. 102-103). De même, la publicité de Lourdes montre bien qu’il existe un genre de l’apologétique, essentiellement masculin (p. 112) et que celui-ci influe sur les thèmes mis en avant : le rapport science/ religion, les controverses politiques. La proclamation publique de l’espérance rechristianisatrice revient aux hommes et l’attestation, jusque dans les corps, de la vérité et de l’efficacité religieuse aux femmes « la spécialisation des activités religieuses, dans un cadre où mixité et promiscuité des sexes, reste la caractéristique dominante, peut être considérée comme une conséquence du principe d’universalité proclamée et expérimentée à Lourdes » (p. 123). Ainsi un exemple missionnaire au Liban montre la place importante occupée par les religieuses grâce à leur proximité avec l’intimité des croyantes, mais l’autorité reste l’apanage des hommes qui valident les cheminements spirituels et les expériences religieuses (p. 133).
Les hommes furent plus que les femmes pour le catholicisme un véritable enjeu tant leur éloignement contraint l’institution à apporter des réponses neuves. Le genre apparaît alors comme une grille de lecture revisitée tant pour ce qui concerne le monastère que les pratiques corporelles dans les espaces religieux ou l’expérience de la dévotion. Au XIXe siècle, la vigueur du culte marial, le développement d’une piété autour de l’adoration d’un dieu d’amour, de sacrifice, accordant une grande place à l’émotion sont perçus comme une forme de féminisation de la foi. La piété masculine se fonde sur une contenance et une maîtrise de soi qui diffère profondément des formes de dévotion féminines plus extériorisées. La différence ne s’inscrit pas dans l’intensité mais dans des modalités d’expression propres. La direction de conscience d’un jeune homme par Alfred Baudrillart le démontre amplement. Ce jeune homme place l’obéissance à l’autorité cléricale au cœur de ses choix de vie, tant pour ses lectures que pour ses relations avec l’autre sexe, tel le choix de sa future conjointe. Néanmoins, la direction exercée est plus autoritaire envers les femmes, plus tournée aussi vers la dévotion, la pratique alors que la question sexuelle est au cœur de celle des hommes. L’Église demande aux hommes de respecter « une éthique de comportement, de remplir fidèlement ses devoirs et d’obéir aux prescriptions de l’Église » (p. 254), moins d’approfondir sa foi. L’histoire du genre rend toute sa gloire à l’homme croyant. Le prêtre y occupe évidemment une place toute particulière. La masculinité sacerdotale évolue profondément sur les deux siècles alors que domine parfois l’image du prêtre « efféminé », sexuellement suspect ou malade (p. 73). Au début du XIXe siècle, elle propose une masculinité alternative à la figure de la virilité triomphante, un contrôle de soi au moment où s’impose cette figure romantique d’engagement catholique masculin qu’est alors l’homme d’œuvres. La charité se masculinise et apparaît comme un moyen de reconquête des hommes après la tourmente révolutionnaire. Dans le même temps, au sein de l’action charitable, les femmes se consacrent plus aux familles et les hommes aux marginaux (p.68). Jusqu’en 1940, la renonciation au monde apparaît comme la voie même de la virtuosité. La promotion de l’Action catholique, l’émancipation de la spiritualité des laïcs conduisent les jeunes aspirants à la prêtrise à assumer autrement leur masculinité. Plus âgés, plus autonomes, plus hommes grâce une distanciation plus forte avec les mères et les prêtres, les nouveaux séminaristes s’inscrivent alors dans une spiritualité christo-centrée « qui fait de la condition humaine ordinaire la condition ascétique par excellence » (p. 270). De même, l’ascèse religieuse met plus au moins l’accent sur la virilité du moine selon les époques, rectifiant le « christianisme musculaire » à l’œuvre dans la valorisation du sport et de l’engagement par exemple dans les zouaves pontificaux. Ces représentations créent un nuancier vaste qui prouve qu’elles sont moins strictement genrées et plus évolutives que la différenciation pourrait le faire croire. Plusieurs textes insistent sur une nécessaire intersectionnalité où le religieux n’est qu’une catégorie supplémentaire mais pas centrale : « La place occupée par la religion et la masculinité dans les hiérarchies sociales, politiques et morales dépend de la manière dont elles interagissent avec d’autres catégories (telle que la classe, la race, etc.) et entre elles » (p. 94).
Dans l’encadrement de la jeunesse, le genre complète heureusement les travaux jusque-là réalisés. Garçons et filles se mêlent peu sur le terrain du sport et répondent à des normes très établies. Néanmoins tant la question de la compétition, puis celle de la mixité et donc de la sexualité ne cessent de hanter aumôniers, membres et parents. L’idée de sphères séparées domine largement les approches de l’institution. Ainsi le Rayon sportif féminin, vecteur d’initiative et de promotion, promu par les Sœurs de Saint-Vincent de Paul, montre que la mixité s’impose difficilement, mais inévitablement, surtout devant la concurrence du camp d’en face. Les débats sont incessants dans une tension entre les exigences sociales, celles de la jeunesse mutante, celles des parents, mais aussi au sein de l’institution du fait des conflits de pouvoirs, des pressions et des préjugés. Dix ans seront nécessaires pour que la mixité s’impose aux établissements privés catholiques à partir des années 1960 sous la pression des évolutions des institutions catholiques avec la loi Debré et l’identification entre égalité et mixité. Facteurs internes et externes se conjuguent. 8 % des classes pri- maires du privé sont mixtes en 1959-1960, la moitié en 1970-1971 (p. 357).
De même, l’édiction de la norme sur « la femme catholique » n’assure sa pérennité qu’en intégrant des éléments de modernité qui lui conserve sa pertinence sociale comme le montre très bien l’exemple de l’image de la jeune fille d’Action catholique au Mexique dans les années 1950 (p. 206) ; d’autant que parfois les injonctions peuvent entrer en concurrence (engagement versus « âme du foyer ») et que les différences générationnelles prennent le pas sur celles de genre (p. 224). Ainsi au sein de la jeunesse ouvrière chrétienne française des années 1950-1960, la presse militante livre le modèle du bon militant et de la bonne militante. La grande immobilité des cadres culturels n’empêche pas un glissement progressif de sens. Cette presse n’hésite pas à accorder une grande place à la question du « flirt » et aux rapports affectifs/sexuels entre garçons et filles. Alors que la JOC-F demeure attachée au modèle du militant masculin, sou- tenu par une compagne au foyer engagée dans la cité, elle entend proposer un dépassement de la relation de séduction pour favoriser la mixité, exalter la complémentarité et le partenariat entre les sexes. Néanmoins le foyer reste central, le cadre moral traditionnel chrétien pèse sur la sexualité et sur le mariage (p. 339). De plus, cette valorisation du couple de militants reste dominée par l’idéal d’émancipation ouvrière.
Le genre n’est pas seulement une grille de lecture. Il est aussi un acteur des questions religieuses. Du milieu des années 1970 au début des années 1990, l’Église constitue son socle doctrinal sur la question homosexuelle. Alors que s’éloignent les questions de régulation des naissances, le thème de la différence des sexes devient central dans les réflexions de l’Église à partir des années 1980. Rome livre une grille de lectures des questions d’éthique sexuelle fondée sur un usage thomiste du concept de nature : « est moralement licite [...] ce qui est conforme à la finalité de la fonction sexuelle » (p. 379). L’institution en déduit une double position : bienveillance à l’égard des homosexuels, sévérité à l’égard des comportements homosexuels. Un durcissement est perceptible face aux revendications homosexuelles d’égalité et d’unions. Les autorités catholiques s’opposent au Pacs puis au Mariage pour tous. Elles témoignent d’une position « intransigeante » (p. 402) même si des contestations internes existent. Des évolutions apparaissent. Ainsi l’opposition au Pacs est devenue moins sévère à l’aune du débat sur le Mariage pour tous. Les arguments anthropologiques et sociétaux à l’exemple de la condamnation de « l’ultra-individualisme » prennent le pas sur les arguments théologiques. L’Église déconfessionnalise son discours pour le rendre plus universel, donc plus audible, et ainsi élargir ses soutiens. Ce faisant, elle accentue la « sécularisation interne du christianisme » (p. 408) tant dans le domaine du genre et de la sexualité, elle ne parvient plus à influer seule sur les institutions sociales et les mentalités en énonçant les normes.
L’ouvrage est une réussite. Il démontre son propos, celui d’une nécessaire histoire croisée des faits religieux et du genre, du genre et de l’histoire religieuse, pour mieux cerner ce que l’adhésion à un système de croyances, et aux rites, qui lui sont associés, « fait » à l’individu et à son rapport au monde et aux autres.


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