Date d'ajout : dimanche 08 février 2015
par Paul VAN MELLE
REVUE : n° 272, janvier-février 2015
Enfin de grands livres
J'en ai fini donc avec les guerres que paraît-il il faudrait « commémorer », sinon « célébrer ». Je reste aussi adversaire de ces erreurs (car toute guerre d'agression en est une, quelles que soient les prétendues justifications invoquées) que des fiestas de victoires. Rien ne peut justifier une agression ni surtout la pardonner, sauf entente finale entre belligérants. Me voici donc bien à l'aise pour écrire le bien que je trouve, et un plaisir plus inattendu encore puisqu'il s'agit d'une poète, peintre et illustratrice, dès que j'aborde les nouvelles d'un gros volume comme Le Dit du corbeau et autres nouvelles d'une de mes écrivaines favorites, surtout pour sa pensée particulièrement aiguisée et plus qu'humaniste, cette Anne Mounic que je suis depuis longtemps déjà et qui, ici, se dévoile autrement que par ses poèmes et analyses critiques. En effet il s'agit de splendides réflexions, manifestement inspirées par ses innombrables lectures et rencontres. Y redécouvrir un Bruno Durocher par exemple et de nombreuses citations des amis et admirations de l'auteure m'entraîne à relire un tas de mes vieux bouquins, dont même des florilèges et/ou manuels m'expliquant pourquoi elle a titré sur un dit, donc un genre médiéval. Et surtout libre, comme les fabliaux et les chants (les chansons, c'est pour bien plus tard) avec peu de règles rigides comme celles du sonnet et de la ballade, deux siècles plus tard. Mounic avait déjà abordé la novela, et je me demande pourquoi elle a choisi le mot nouvelles, puisque ces textes comportent peu de dialogues et sont plus contes que nouvelles aussi proches, pour moi, de réflexions, de souvenirs, de pensée (au singulier, parce que l'unité demeure) dans un apparent désordre qu'il faut très vite abandonner pour se tourner vers le Socrate de Platon et les monologues de Shakespeare qui sont eux aussi platoniciens et socratiques. Il importe de rappeler que Mounic s'est spécialisée dans la traduction de poètes anglais. Qui eux aussi ont leurs traditions folkloriques et féeriques fortes. Le tableau en couverture, nous le connaissions déjà, mais je ne puis le détacher du « Nevermore » d'Edgar Poe. Quelques exemples : « l'Idéal n'est qu'un trou de mémoire profond, béant, la langue arrachée. » « Les soldats, quand ils mouraient, en gémissant 'Maman', ne choisissaient pas tant leur mère qu'une certaine aspiration à la tendresse ». « Vive, je suis la vie qui ne se connaît pas, vie sans nom, sans résonance, la vie tout impuissance. » Un personnage de la partie appelée L'origine s'exprime : « l'ermite au bord de l'eau a depuis longtemps renoncé à capturer le temps ; il s'est fait une raison, il attend les mots, les mots qui lui offrent le monde au bord des lèvres ». « L'Histoire va lentement, elle aussi, sauf quand elle détruit. Alors, tout va très vite. » « La voix comme les anges - ces êtres intermédiaires entre notre éternité d'absence et notre présence à l'instant. »