REVUE THOMISTE, 1974, 4

L'étude d'E. Nowak sur le chrétien devant la souffrance selon la pensée de Jean Chrysostome n'est pas seulement un effort de connaissance scientifique et selon les strictes méthodes historiques de la pensée d'un Père de l'Église, elle est comme un chapitre d'une immense enquête, toujours actuelle, de métaphysique et de morale, de théologie et d'apologétique. Le problème posé à l'esprit humain et à la foi chrétienne par le fait de la souffrance est, en effet, un problème permanent, dont les données ne varient guère : il s'est posé à saint Jean Chrysostome comme à l'auteur de la Genèse, au poète du Livre de Job comme au romancier de La Peste ; tel il se pose à chacun de nous. L'évêque de Constantinople a vu souffrir et il a souffert. Quand il traite de la souffrance, ce n'est pas pour jouer avec des concepts, c'est pour répondre à un scandale de l'esprit et du cœur de ceux qui l'entourent, croyants ou païens, et pour se répondre à lui-même.
Ce volume considère le problème de la souffrance chez Jean Chrysostome « sous trois aspects : philosophique, théologique et moral » (p. 6). Mais ces aspects distingués pour l'analyse sont, en fait, inextricablement mêlés. Le terme même de « philosophie » est ambigu et il embrasse toute la problématique théologique et morale. De plus, « dans la pensée de Chrysostome, la "philosophie" ne signifie pas la recherche spéculative de la science, c'est-à-dire la philosophie au sens platonicien ou péripatéticien (la théorie). Il identifie philosophie à l'art pratique de vivre ; elle est un effort vers la vertu et la perfection. Le christianisme est, d'après lui, la véritable philosophie, non pas tellement comme système de doctrines, mais plutôt comme "vie, conduite et ascèse" » (p. 71). Ceci n'est peut-être pas tout à fait exact. Témoin cette réflexion du saint Docteur : « Quand on a une profonde philosophie de la résurrection, comment craindre la mort ? » (cité p. 121). Et cette autre : « Ne nous parlez pas, disent-ils (les païens], d'un homme qui fait de la philosophie quand il n'éprouve aucune peine ; ce n'est rien de grand, rien d'admirable ; montrez-nous cette philosophie sous le coup même de la douleur et nous croirons à la résurrection » (cité p. 192).
Quoi qu'il en soit, l'A. recherche d'abord les causes de la souffrance selon saint Jean Chrysostome, puis il l'interroge sur ses fins. Les causes envisagées et discutées sont : « l'économie » divine et la Providence, l'intervention du démon, le péché et surtout les décisions mauvaises de la liberté humaine. Les fins de la souffrance sont diverses selon qu'il s'agit de la souffrance du pécheur ou de celle du juste. Les valeurs positives de la souffrance du juste sont trouvées dans l'acquisition de la gloire, l'accroissement des forces de l'homme, un enseignement, une stimulation, une action coercitive et purificatrice, le témoignage, le mérite, enfin l'union au Christ et la divine pédagogie.
Saint Jean Chrysostome ne fait pas lui-même ce classement; il est de son commentateur ; mais bien des citations justifient ces perspectives. Selon l'A., l'argumentation chrysostomienne est plus grecque que biblique - elle doit beaucoup à Epictète et au stoïcisme ambiant ; cependant la vue de foi est fondamentale et décisive.