REVUE : ESPRIT & VIE, août 2000

Les premiers moines d'Orient n'ont cessé d'insister sur l'importance de l'apartheia et de l'hesychia : ceux d'Occident ont pris pour devise le mot pax ; hesychos c'est être tranquille, paisible ; on le dit de quelque chose qui ne bouge pas, de quelqu'un ou de quelque chose qui reste calme : la nuit, la mer. Si, en grec, le mot désigne la tranquillité, le calme, le silence, la paix de l'âme, le contentement, la solitude, les moines savent d'expérience que cette attitude spirituelle suppose un triomphe sur les forces du désordre, les causes de trouble, les passions, l'agitation, et que sa source est en Dieu qui dispense la paix. Elle est le couronnement d'une vie et suppose de nombreuses vertus (forces) sans lesquelles elle ne pourrait se maintenir. La sagesse païenne le savait déjà et avait proposé à l'honnête homme divers systèmes pour dominer les passions et parvenir à un état de stabilité intérieure qui le laisse libre par rapport aux circonstances extérieures et aux tempêtes de l'existence.
L'homme moderne oublie souvent de régler les mouvements de son cœur. Il se laisse dominer par son émotivité ; les différentes formes de stress qui accompagnent toute vie, même normale, s'emparent de tout son être et il est incapable de les maîtriser. Les passions peuvent être fécondes, mais elles demandent à être gouvernées, sans quoi elles peuvent égarer l'esprit et paralyser l'action, Elles ne doivent pas être subies « passivement », car l'homme est fragile et se laisse facilement dominer.
En citant avec prédilection les maîtres spirituels et les directeurs de conscience du XVIIe siècle, tels saint François de Sales, saint Vincent de Paul, Pascal, Bossuet, ou d'autres moines connus ou plus inattendus, tels Guérin, Duguet, Mlle de la Vallière, Mme de Sévigné, Jean-Pierre Schaller s'attache au problème difficile, et vieux comme le monde, de la pacification du cœur. Son expérience des difficultés et des obstacles à la paix que présente l'existence dans le monde d'aujourd'hui, lui permet d'actualiser les leçons vieilles comme l'humanité et de faire de son enseignement un remède spécifique pour le mal contemporain.
Gérer nos émotions, l'écueil de l'impermanence, la comédie, le placebo, la compassion, la fin de l'exil sont autant d'étapes d'une réflexion et d'un discours de sagesse qui se développent par cercles concentriques, appuyés sur de nombreux exemples et de nombreuses expériences. Le cœur de l'homme est fragile et ses affections sont parasitées par ce que Pascal ne craignait pas de nommer de l'ordure.
« L'homme moderne doit donc composer avec ses ombres pour construire sa vie. Il aura un brin de compassion pour lui-même […], Dieu veut que nous ayons pitié de nous-même, nos peines ne nous appartiennent pas : elles sont dans son cœur », faisait dire Bernanos au curé de campagne.
« On a dit que la souffrance fait de chaque homme une île. Mais dans cette île habite le Christ à qui l'on peut s'ouvrir. Et le Seigneur permet à ses amis de n'être plus seuls, isolés et démunis, car il est un compagnon pour les passages ardus, qui fait avec nous le chemin » (p. 118).