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11. L'ART DES CONJECTURES DE NICOLAS DE CUES

11. L\'ART DES CONJECTURES DE NICOLAS DE CUES

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Date d'ajout : samedi 04 octobre 2014

par Joël BIARD

REVUE : Archives de Philosophie. 2014/3 - Tome 77

Nous avions ici-même rendu compte, l’an dernier, de deux traductions des Conjectures de Nicolas de Cues, dont celle proposée par Jocelyne Sfez. À propos de cette dernière, remarquant que la traductrice s’avançait fort peu dans l’étude doctrinale au cours de son introduction, nous avions signalé que cela devait être fait dans un autre ouvrage. Cette étude a été publiée l’année suivante. il s’agit d’un travail de plus de cinq cents pages, organisé pour l’essentiel en suivant le plan du volume commenté.
L’analyse est très minutieuse, entrant souvent dans le détail des chapitres, mais on ne perd jamais de vue les grandes lignes interprétatives, visant à valoriser la place de la théorie de la connaissance dans l’œuvre de Nicolas de Cues, et la place de ce dernier à l’aube de la philosophie moderne. La lecture qui est ici proposée manifeste une très grande maîtrise de cet ouvrage ainsi que de la totalité de l’œuvre de Nicolas de Cues, et une bonne connaissance des débats interprétatifs. L’auteur n’ignore pas tout ce que Nicolas de Cues doit à la patristique et à la philosophie médiévale et s’efforce de donner une idée de sa gigantesque culture, en s’appuyant sur l’étude de sa bibliothèque. Jocelyne Sfez est ainsi conduite à faire régulièrement référence aux auteurs médiévaux que Nicolas utilise. Elle insiste notamment sur l’importance du platonisme chartrain, sur le rôle décisif du pseudo-Denys, sur la reprise de l’art général de Raymond Lulle… Mais elle se propose surtout de souligner l’originalité de Nicolas de Cues et, au delà, d’accentuer la rupture avec « le Moyen Âge ».
Une thèse centrale de cette étude est que Les Conjectures marquent une étape nouvelle, une « bifurcation » dans la pensée de Nicolas de Cues. Dans le prolongement certes de La Docte ignorance, mais en infléchissant certaines thèses. il convient par conséquent de ne pas faire de La Docte ignorance le point de référence de l’ensemble de l’œuvre cusaine. Les Conjectures modifient notamment le statut de la coïncidence des opposés : celle-ci n’a plus pour domaine de validité la sphère divine, c’est l’unité absolue qu’est Dieu – lequel sera ultérieurement désigné comme non-autre –
qui est placé au-delà de cette coïncidence, au delà non seulement de la raison discursive, qui est soumise au principe de non-contradiction, mais encore de l’intelligence qui pose cette coïncidence. Cela transforme et le statut de la connaissance et la place des mathématiques, qui se trouvent privilégiées dans cet exposé général des arts et des sciences. Ce sont en effet les mathématiques qui permettent de s’approcher au plus près de cette coïncidence : « Les Conjectures ont […] fondé la prééminence des mathématiques dans le savoir humain » (p. 292). La connaissance apparaît ainsi irréductiblement conjecturale, sans que ce qualificatif soit dépréciatif. La connaissance est multiplication de points de vue partiels et approchés, elle n’est plus fondée sur le rapport noétique de l’abstraction mais sur le développement de multiples symbolismes, dans une épistémologie où la certitude des mathématiques est complétée,
sinon corrigée, par le modèle d’arts conjecturaux tels que la médecine.
En raison de l’objet propre de l’ouvrage commenté, ce sont les aspects gnoséologiques qui sont au premier plan. Faut-il en conclure que, de manière générale, la philosophie de Nicolas de Cues serait fondamentalement, du moins à partir de l’écriture des Conjectures, centrée sur une « théorie de la connaissance » ? C’est ce que semble penser l’auteur, qui s’en explique en se démarquant de Kurt Flasch (p. 387).
Le lecteur jugera par lui-même. On notera cependant que le commentaire est constamment conduit à rendre compte d’aspects théologico-métaphysiques qu’on ne saurait tenir pour secondaires. Les régions mentales, représentées dans la double pyramide de la figure P qui est tenue pour paradigmatique (voir traduction p. 36), sont autant, et peut-être d’abord, des régions de l’univers. Et si l’usage d’un certain platonisme, en particulier celui du pseudo-Denys, est à juste titre souligné, cela interdit de dissocier la conception de l’esprit d’une vision de l’être et de l’un – serait-ce
au-delà de leur opposition.
Jocelyne Sfez voit dans l’œuvre de Nicolas de Cues « une révolution gnoséologique, si ce n’est épistémologique, aboutissant à l’émergence de la science moderne ».
Malgré les précautions de l’introduction, on pourra quand même s’interroger sur la manière de qualifier cette modernité : « La métaphysique de l’un, élaborée à partir de l’analyse de l’ignorance humaine, conduit ainsi à une compréhension de soi de l’esprit humain et à la constitution d’une philosophie de l’esprit » (p. 413). il s’agit
de souligner que c’est par la création de symbolismes que l’esprit humain se fait image du dieu créateur, comprend et saisit tout en lui, et retrouve en lui la totalité du monde. Tout cela est incontestable et richement argumenté. néanmoins ce retour en soi pour y trouver le vrai, serait-il développé dans un contexte nouveau, serait-il porteur d’attitudes neuves, et sans être aucunement réductible à des « sources », ne doit-il pas être davantage compris par comparaison avec Augustin (lequel, pour être cité, n’a peut-être pas ici la place qu’on attendrait) et aux divers néo-platonismes (qui eux sont justement présents) que pris dans une interprétation néo-kantienne qui tirerait la mens du côté d’une philosophie du sujet constituant ?
Quoi qu’il en soit, en combinant une analyse détaillée, une mise en perspective bien informée, et une certaine cohérence interprétative, cet ouvrage devrait marquer durablement les études sur Nicolas de Cues.


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