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LA MORT DU DEVIN, L'EMERGENCE DU DEMIURGE. Essai sur la contingence, la viabilité et l'inertie des systèmes

LA MORT DU DEVIN, L\'EMERGENCE DU DEMIURGE. Essai sur la contingence, la viabilité et l\'inertie des systèmes

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Date d'ajout : vendredi 21 octobre 2011

par Daniel JUSTENS

TANGENTE N° 138 janvier février 2011

Daniel Justens (Propos recueillis par)

Jean-Pierre Aubin devin ou démiurge?
Le mathématicien Jean-Pierre Aubin vient de publier un livre de 900 pages consacré à l'émergence et au changement des systèmes sociaux et culturels. Il livre à la rédaction de Tangente les réflexions et la philosophie qu'il mûrit depuis plus de vingt ans.

Tangente : Le livre que vous signez compte 900 pages. Représente-t-il la somme exhaustive de vos réflexions pendant votre carrière de chercheur ?
Jean-Pierre Aubin : Ce livre traduit en langage usuel les résultats que j'ai obtenus en théorie mathématique de la viabilité depuis plus de trente ans, en commençant par ses motivations issues des sciences du vivant que des « gourous » d'autres disciplines ont éclairées de réflexions pertinentes.

Pour qui avez-vous écrit ce livre ?
Je l'ai écrit pour me faire plaisir. Il s'agit de la rédaction d'un carnet de notes que j'ai souhaité partager. Avec des personnes curieuses de savoir ce que pense un mathématicien des sciences du vivant, et comment il tente de valoriser ces mathématiques auprès des sciences de l'environnement. Je peux citer l'exemple de la minimisation de la congestion du trafic routier, ou de la gestion des « droits à polluer ». Ce n'est pas un livre linéaire ou de vulgarisation, mais une suite de divulgations.

Pour expliciter votre propos, vous créez plusieurs néologismes. Vous avez également précisé la signification que vous donniez à une série de termes usuels.
La plupart des termes que j'utilise étant polysémiques, il était nécessaire d'en préciser l'acception. Les régulons que j'introduis sont des variables dont on ne connaît pas le pilote (le devin), mais qui évoluent d'une autre façon, sous l'action d'un démiurge que je suppose myope, paresseux et conservateur, parfois explorateur et opportuniste. Mais je mourrai sans savoir s'il existe vraiment. Le devin est celui qui pense avoir une information lui permettant de gérer l'évolution des états d'un système ; le démiurge est celui qui œuvre à temps à cette transformation.

Comment agit le démiurge ?
J'émets l'hypothèse que les régulons évoluent selon le « principe d'inertie » : le démiurge conserve les régulons constants et ne les change que si la viabilité est en jeu. Des exemples de régulons socioculturels sont les idéologies et religions (dont le scientisme), les lois, tous les « trucs » auxquels on croit.
Par exemple, dans le cadre financier, le démiurge est l'entité (non précisée) qui fixe les prix du marché, la « main invisible » d'Adam Smith. Le devin est l'acheteur bien réel, qui croit pouvoir déterminer ce prix et son évolution, et qui décide de procéder ou non à l'achat. En matière de génétique, comme l'évolution procède par mutations au niveau de notre patrimoine génétique, le démiurge est le principe qui est à la base de ces mutations. Et le devin est celui qui pense pouvoir donner une finalité à cette évolution.

Venons-en à votre modèle mathématique en théorie de la viabilité. Vous partez de descriptions de domaines de la vie économique et sociale avant de théoriser. Généralement, on procède de manière inverse. Qu'est-ce qui a motivé votre choix ?
Déjà, je n'aime pas le mot « modèle », je préfère celui de « métaphore ». Ensuite, l'une des raisons est pédagogique : passer du simple au techniquement compliqué. Une autre encore est inductive : offrir à chacun un point de départ dans sa spécialité pour étudier leurs problèmes en se posant les questions de viabilité, de contingence, d'incertitude tychastique [lorsque les perturbations n 'obéissent plus à des régularités statistiques, comme les événements extrêmes, mais sont seulement soumis à des bornes qui peuvent dépendre de l'état dans lequel se trouve le système], et d'inertie avant d'en proposer une modeste métaphore mathématique. Pour l'instant, on ne peut parler de modèle. Pour les spécialistes de l'environnement, les concepts de viabilité, de contingence, de kairos, de principe d'inertie sont parlants. Mais les mathématiciens économistes parlent d' équilibre, de fonctions d'utilité, d'optimisation ! Pour ma part, je remplace les processus stochastiques par des processus tychastiques, hommage à la déesse Tyché dont le grand plaisir était de perturber le cours des événements pour rendre compte de la nature de certains acteurs de changements autres que les régulons et totalement imprévisibles.

Les « régulons » évoluent à des moments particuliers, les kairos. Pouvez-vous l'illustrer dans une optique darwinienne ?
La viabilité est darwinienne, l'inclusion différentielle décrite le « foisonnement » des évolutions (d'ailleurs, les mutations ne sont responsables que d'une infinie partie de ce foisonnement, contrairement à la vulgate [idéologie à l'usage du plus grand nombre]) et les évolutions « lourdes », rendant compte de la notion d' « équilibre ponctué » (que Darwin introduit lui-même). Ce qui manque chez Darwin, de façon explicite, c'est la notion de dynamique incertaine (les équations différentielles venaient d'apparaître) et celle de rétroaction des contraintes sur la dynamique pour en réduire l'incertitude. C'est l'aspect « instructiviste » injustement attribué à Lamarck. Le hasard est produit par une inclusion différentielle (en fait, par le « système évolutionnaire » qu'elle engendre), et la nécessité (la non-liberté, selon Leibniz) par les contraintes. Ce fut mon point de départ, un beau matin de 1974. Ce que je savais de l'histoire des sciences m'a conduit à la loi des hérésies parfaites 1.

Vous venez de parler d'inclusions différentielles. Ce n'est pas une notion courante, même pour un mathématicien…
Les systèmes évoluent. Cette évolution a une vitesse, une dérivée. Lorsque l'on décrit l'évolution d'un système au moyen d'une équation différentielle, on se situe la plupart du temps dans un cadre « déterministe » qui associe à tout vecteur sa vitesse par le truchement d'une fonction. Je fais l'hypothèse que cette vitesse de l'évolution peut être choisie dans un « paquet de vitesses ». « Déterministe» n'est pas le bon adjectif, puisqu'une équation peut avoir plusieurs évolutions partant d'un point donné. « Non déterministe » n'est pas plus adéquat, car on connaît des inclusions différentielles produisant à partir de chaque état une et une seule évolution. En fait, équations et inclusions différentielles sont des « systèmes révolutionnaires » associant à chaque état un ensemble d'évolutions. Un système évolutionnaire est déterministe si cet ensemble est réduit à une évolution unique. Cette économie de codage (f= m ) est due à des miracles : les théorèmes.


1 « [La loi des hérésies parfaites] énonce que l'intensité de la lutte contre l'hérésie est inversement proportionnelle à la déviance qui la sépare du dogme. L'enthousiasme des nouveaux prosélytes pour transformer une ancienne hérésie en nouveau dogme est proportionnel à la violence qu'ils pratiquaient pour la persécuter avant de la renier. » (page 271)


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