ESPRIT & VIE n° 239 • Septembre 2011

Cet ouvrage est, fait suffisamment rare pour être signalé, le fruit d'une collaboration éditoriale franco-roumaine. Il reprend les interventions prononcées à l'automne 2008 lors d'un colloque international tenu à l'Université de Constantza en Roumanie. Sur les treize, sept sont en français, trois en anglais, trois en italien. Comme toujours dans ce genre d'ouvrages, l'intérêt de chaque contribution est variable, de même d'ailleurs que leur longueur. Celle sur l'œcuménisme de la prière chez Louis Massignon (p. 33-71) semble n'avoir qu'un rapport éloigné avec le sujet général.

Le jésuite Dominique Gonnet fournit un apport intéressant en discernant avec précision la « portée œcuménique des "Sources chrétiennes" » (P. 17-32). Alors qu'il est prématuré bien sûr de parler déjà d'œcuménisme, le jeune pasteur baptiste roumain Marius David Cruceru montre ce que saint Augustin a pensé des groupes chrétiens alors détachés de la Grande Église (p. 73-109). Revenant sur le sujet de sa thèse en théologie, le professeur de l'Institut Saint-Serge Michel Stavrou démontre comment la pneumatologie du per Filium de Nicéphore Blemmydès au XIIIe siècle, qui apparaît comme une synthèse originale de la doctrine des Pères grecs, pourrait faire avancer le dialogue œcuménique entre orthodoxes et catholiques (p. 111-146). Le P. Angelo Berardino, professeur à l'Augustianum à Rome, recherche les origines du dogme de l’Immaculée Conception dans la plus antique Tradition chrétienne (p. 193-220). La directrice littéraire des éditions Migne, Marie-Hélène Congourdeau, analyse dans une brève intervention l'influence des Pères latins sur l'Église d'Orient, en particulier entre 1204 et 1261, quand « Constantinople et une bonne partie des territoires de l'Empire sont occupés par les Latins, à la suite de la quatrième Croisade" (p. 221-236).

Enfin, le maître d'œuvre de cette compilation, Cristian Badilita, qui a enseigné le grec ancien à l'Université de Timisoara, tente, à la suite d'Henri de Lubac dans son Surnaturel, de laver Jean Cassien de tout soupçon de semi-pélagianisme, ce qui lui colla longtemps à la peau en Occident et n'a d'ailleurs pas toujours complètement disparu (P. 237-262) ; notre auteur conclut alors que : « La tradition d'Orient [ ... ] se reconnaît parfaitement dans les enseignements de Cassien sur le rapport entre la grâce et le libre-arbitre et n'a aucune difficulté à reconnaître leur orthodoxie, tout comme la sainteté du moine scythe" (p. 262).

Le lecteur de ce livre a remarqué au fil de tous ces chapitres que plusieurs théologiens français du XXe siècle y sont souvent cités, voire analysés, comme, par exemple, Louis Bouyer, dont Ysabel de Andia a étudié avec acribie les développements sur le concept de Sagesse si présent chez les Pères d'Orient (P. 159-191). Le même lecteur ne s'étonne alors pas que cet ouvrage se termine par trois petites monographies consacrées à l'un de ces théologiens. La plus détaillée est consacrée à Yves Congar, sous la plume de Monique Alexandre (p. 283-339) : après quelques longueurs biographiques dont elle aurait pu nous dispenser, elle détaille les différentes influences qui ont montré à Congar l'importance, et même la nécessité, de la patristique dans la tâche œcuménique : le catholique Moehler, d'abord; ainsi, « Congar, à la lecture de l'Unité dans l'Église, a pu voir comment la "voix des Pères" [ ... ] peut soutenir une ecclésiologie tendue vers l'unité" (p. 311), le mouvement slavophile, ensuite (Khomiakov, etc.), en particulier dans La Tradition et les Traditions (1961-1963), l'auteur orthodoxe Myrrha Lot-Borodine (1882­1957), enfin, sur laquelle il s'appuie déjà dans Chrétiens désunis (1937) pour définir, de manière féconde mais parfois un peu trop schématique, deux typologies spirituelles et théologiques, orientale et occidentale, en partant « d'une distinction qui lui est chère entre platonisme oriental et aristotélisme latin» (p. 329); alors, «le terme est pour l'Orient déification-similitude, pour l'Occident béatitude-opération [ ... ]. Une double conception de l'homme correspond à cette double conception du terme. D'un côté, une anthropologie conçue de manière ontologique, une conception essentiellement religieuse et mystique de la nature humaine comme théophore. De l'autre, une anthropologie pensée du point de vue de l'opération, une anthropologie morale» (p. 330). Une telle dichotomie irriguera toute l'œuvre ultérieure de Congar, en passant par Chrétiens en dialogue (1964), jusqu'aux derniers grands ouvrages comme Je crois en l'Esprit Saint (1979-80), Diversités et Communion (1982) et La Parole et le Souffle (1983).

Enfin, deux jeunes auteurs, qui ont chacun déjà consacré un épais volume à leurs sujets respectifs, s'intéressent, plus brièvement, à deux autres théologiens contemporains: Davide Zordan décrit bien l'influence sur l'oratorien Louis Bouyer (1913-2004) de l'intérêt que le cardinal Newman a toujours porté à la patristique (P. 263-282) et Olga Lossky 1'« engagement œcuménique à l'école des Pères » de la théologienne orthodoxe Elisabeth Behr-Sigel (1907-2005), qui fut la compagne d'études à l'Institut de théologie protestante de Paris de Bouyer avant de devenir tous les deux pour quelques années pasteurs luthériens (mais ceci est une autre histoire ... ).