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BAP n°62 FICHTE ET LA FRANCE. Tome I Fichte et la philosophie française : nouvelles approches

BAP n°62 FICHTE ET LA FRANCE. Tome I Fichte et la philosophie française : nouvelles approches

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Date d'ajout : mardi 22 décembre 2015

par REVUE PHILOSOPHIQUE DE LOUVAIN, f�vrier 1998

La pensée française ne s'est jamais vraiment arrimée au puissant vaisseau de la doctrine fichtéenne. Ainsi que l'exprime avec une autre image M. Philonenko : « le fichtéanisme n'a pas "pris" en France ; c'est comme une sauce qui, malgré la qualité des ingrédients, ne prend pas » (pp. 11-12). Il est temps, suggèrent les auteurs des diverses contributions que réunit cet ouvrage collectif, de faire le bilan des rares mais importantes rencontres entre les deux traditions, et d'instaurer les conditions d'un dialogue renouvelé, Ce premier ouvrage, d'une projet qui en prévoit trois, cherche précisément à marquer les lieux de contact effectifs (les grandes thèses françaises traditionnelles sur Fichte) et possibles (domaine de la philosophie comparée). Il faut louer les efforts de M. Radrizzani, sous l'impulsion remarquable, et la direction visiblement efficace de qui cette entreprise est réalisée, pour son intention dialogale, toujours fructueuse en philosophie.
Le présent ouvrage offre des entrées de haut niveau dans le détail desquelles nous ne pénétrerons pas. Qu'il nous suffise, pour quelques-unes d'entre elles, de les signaler, et de renvoyer le lecteur à leur étude approfondie : R. Lauth, le grand fichtéen allemand, nous propose une riche réflexion « prospective » sur la conception cartésienne et fichtéenne de la fondation du savoir, ou, pour le dire plus justement, une lecture et un jugement de Descartes à partir de Fichte (pp. 35-62) ; M. Philonenko nous présente une étude comparative sur Fichte et Rousseau (pp. 63-82) ; M. Bourgeois analyse les rapports du penseur allemand avec la Révolution française (pp. 83-106) ; M. Perrinjaquet rend visible une certaine communauté de vues entre Fichte et Proudhon sur la propriété privée (pp. 141-182) ; le P. Tilliette, dans une étude très érudite, nous montre Lequier lecteur de Fiche (pp. 183-200) ; M. Vieillard-Baron explore les traces du « Fichte » de X. Léon chez Bergson et dresse un tableau synoptique des doctrines des deux grands penseurs (pp. 201- 221) ; M. Rockmore veut trouver des rapports entre Sartre et le philosophe allemand (pp. 221-246), tandis que M. von Manz établit des liens entre Fichte et Lévinas (pp. 247-270).
Deux contributions nous ont toutefois semblé particulièrement importantes.
Le premier article de M. Philonenko (Fichte en France, pp. 11-34) fait ainsi un historique tout à fait bienvenu de la réception de Fichte. Il dévoile tout d'abord les « racines bien ancrées » du désintérêt relatif de la pensée française pour Fichte : c'est Cousin qui, plaçant le philosophe allemand sous l'étiquette de l' « idéalisme subjectif », est responsable en grande partie d'une tradition de lecture biaisée, laquelle fait de Fichte le « premier moment » de la triade idéaliste - autant dire : une phase notable mais dépassée, « sursumée », de la pensée allemande. Avec les travaux de X. Léon, note ensuite l'A., nous sommes en présence d'un premier travail sérieux d'investigation sur Fichte. Bien que n'étant pas de haute tenue spéculative, l'œuvre de Léon a constitué une étape importante dans l'exposition affinée des textes fichtéens. Cependant, comme y insiste l'A., rien n'a changé au niveau de l'interprétation : X. Léon a poursuivi son analyse de part en part sous la règle herméneutique imposée par Hegel et Cousin, selon laquelle Fichte serait un « idéaliste subjectif » ou « absolu ». Avec la thèse « structuraliste » de M. Guéroult, nous apprend l'A., nous sommes en présence d'un travail à la fois très remarquable, et excessivement problématique : Guéroult a bien signalé l'architectonique à cinq moments de la dialectique fichtéenne, et exploré cette structure de fond en comble ; mais M. Philonenko conteste avec force le lien établi par cet auteur entre l'agencement, pour ainsi dire, pentagonal et le contenu même du discours fichtéen. Une telle liaison contraint, en tant qu'elle isole une forme inamovible dans l'œuvre de Fichte, à voir les évolutions et contradictions successives de ce penseur dont le discours apparaît dans ce cas très « mobile ». C'est pourquoi elle reste embarrassée dans les rets de l'interprétation classique déjà citée : Fichte irait « de contradiction en contradiction, s'élevant de la raison au sens kantien jusqu'au Logos (qu'il est incapable de pénétrer comme le fit Hegel). Structure : Fichte procède par la synthèse quintuple. Résultat : celui qu'avait entrevu déjà Victor Cousin, dans le domaine de la science, Fichte aboutit bien au nihilisme en renfermant tout dans le moi fini en général » (p. 20), et ne pourra passer de la science à la praxis que par un « coup de baguette magique » impossible (p. 21). Pour l'A., ces structures sont au contraire purement rhétoriques, et aucunement « ontologiquement directement signifiantes » (p. 28). « Enfin ce fut le tour de M. Philonenko » (p. 25). L'A. de l'article parlant de lui-même situe sa thèse bien connue sur La liberté humaine dans la philosophie de Fichte comme une révolution dans les études fichtéennes françaises : pour la première fois, et visiblement avec quelque succès si l'on considère des travaux récents se plaçant dans le sillage de cet ouvrage, Fichte était sorti de la gangue dans laquelle l'interprétation l'avait enfermé. En pointant d'abord le fait que la légendaire « intuition intellectuelle » tant de fois évoquée par les commentateurs ne se trouve nullement au principe de la Doctrine de la science, puis en lui substituant « l'intersubjectivité couronnée par l'idée du devoir » (p. 27), l'A. repoussait le spectre du Moi absolu. Il faisait ainsi voir la dimension profondément sociale de la pensée fichtéenne, qui ne pose plus le problème du « pont » entre théorie et pratique habituellement signalé chez le penseur allemand. Dans le présent article, l'A. se défend dans ce contexte face aux « coups de canons », dont il juge qu'ils font long feu, de X. Tilliette (p. 27) contre cette interprétation par l'intersubjectivité. L'avenir dira sans doute si l'A. a raison contre Tilliette ou s'il faut se ranger à l'avis du jésuite français - en ce domaine comme en beaucoup d'autres déjà.
Un autre texte ayant retenu notre attention est celui de Ives Radrizzani lui-même, qui nous expose quelques-uns des arguments dont il fera apparemment la matière d'un ouvrage à venir, consacré à une mise en parallèle de Fichte et de Maine de Biran. Voilà sans doute l'article le plus précieux de ce collectif, dans la mesure où la comparaison est ici particulièrement féconde. L'option de M. Radrizzani est clairement de manifester une effective ressemblance d'intentions entre le spéculatif allemand et le métaphysicien français. Peut-être ne serait-il pas déplacé de mettre en relief également l'abîme qui sépare le bruyant auteur de la Wissenschaftslehre du pusillanime lauréat de l'Académie de Berlin, notamment si l'on considère les dernières « conversions » du penseur solitaire de Grateloup… mais enfin, il faut bien commencer le travail de mise en contraste par l'appariement des thèses, dans le sens ouvert par l'A. d'une manière très claire. M. Radrizzani commence par fermer la voie qu'ouvrirait l 'hypothèse d'un rapprochement historique de Fichte et de Biran. Las ! : l'inventeur de la morale sensitive ne connaît de Fichte que les résumés donnés par Degérando dans son Histoire comparée des systèmes de philosophie - soit rien que de très sommaire et approximatif. A partir de ce qu'il en apprend, de Biran s'oppose à Fichte en tant que ce dernier lui paraît manquer le « fait primitif du sens intime » avec son principe à la fois abstrait, absolu et producteur placé au principe de la déduction spéculative. Le résultat de l'enquête historique est donc pauvre, et même négatif, au point que l'A. en arrive à se demander comment Cousin a pu appeler de Biran un « Fichte français », si l'on considère l'objection assez fondamentale que le disciple de Condillac et de Rousseau fait à l' « idéalisme subjectif ». La confrontation systématique des deux penseurs est bien plus enrichissante. Fondé sur l'interprétation, déjà rappelée, de M. Philonenko, l'A. veut nous mener à croire que l'accusation de logicisme, lancée par de Biran à Fichte à la suite de ses sources, ne tient pas : « le résultat le plus remarquable du Fondement de la Doctrine de la Science est la démonstration de l'incapacité de la théorie à fonder un savoir effectif et la démonstration de la nécessité pour la théorie de s'appuyer sur la pratique » (p. 130-131). Ainsi donc, Fichte révèle « l'incapacité de la logique à fonder un savoir effectif tant qu'elle ne s'appuie pas sur un fait » (pp. 151-152), au contraire de ce que Degérando laisse penser à de Biran. En réalité, le penseur français et le philosophe allemand articulent tous deux leur doctrine à l'expérience intérieure du fait. « Fichte comme Maine de Biran pensent avoir découvert, l'un sous le titre d'idéalisme transcendantal, l'autre sous celui de psychologie synthétique, la seule position capable de prendre en compte les deux éléments de la dualité primitive biranienne, l'un dans le "fait primitif de sens intime", l'autre dans le "fait surgissant originairement dans notre esprit" » (pp. 134-135). Du point de vue du fichtéen, Maine de Biran peut tout à fait être nommé un « philosophe transcendantal » (p. 138). Quoi qu'il en soit de la pertinence réelle de cette conclusion, l'A. accomplit de toute manière convenablement à notre sens son dessein, qui est de faire apparaître au moins l'intérêt d'une confrontation du penseur de l'action et du philosophe de l'effort.
A propos de philosophie de l'action, il reste étonnant à notre regard que certaines des rencontres proposées soient assez marginales (Fichte/Sartre, Fichte/Lequier, Fichte/Proudhon… ), et que n'ait pas été soulevé le problème essentiel d'une mise en rapport de Fichte et de Blondel. Le lien historique serait certainement difficile à montrer : mais quel intérêt revêtirait sans doute une mise en perspective systématique des deux doctrines, à l'heure surtout où quelques-uns voudraient fonder une réelle pratique sociale sur des principes acquis chez Fichte, où donc il devient urgent de confronter ce modèle rationaliste avec un paradigme spiritualiste peut-être plus modéré et plus transposable sur le plan de la liberté humaine individuelle !


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