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05- LA CONDAMNATION DE LAMENNAIS

05- LA CONDAMNATION DE LAMENNAIS

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Date d'ajout : mardi 09 mai 2017

par Pierre CROZON

BULLETIN DIOCÉSAIN QUIMPER-LÉON, décembre 1982, 21

Après la totalité de la "Correspondance de Lamennais" (A. Colin, 9 volumes, 1971-1981), Louis Le Guillou publie ici - cette fois avec la collaboration de son frère - le dossier de condamnation. Cela évidemment avec la permission formelle du Vatican qui a autorisé le Père Le Guillou à consulter et à copier (pour l'a première fois en 1964) les 251 documents réunis à la Secrétairerie d'État. Ce volume présente 159 de ces documents (26 se trouvent dans la "Correspondance" générale). Il est inutile de souligner l'importance d'une telle publication.
***
Le 15 novembre 1831, "L'Avenir" était suspendu et Lamennais, Montalembert et Lacordaire annonçaient leur voyage à Rome, pour y aller consulter le Pape sur les doctrines soutenues par le journal, doctrines qu'ils savaient contestées et menacées de condamnation.
Aussitôt Rome prend ses renseignements sur ces voyageurs qui se sont mis en route. Et ainsi écrivent l'archevêque de Paris, l'Internonce Garibaldi : « L'Abbé de Lamennais ... un homme doué d'un singulier talent... il a pour lui tout un parti, où le jeune clergé est en bon nombre mais, sans aucun doute, l'Épiscopat, et les Ecclésiastiques d'un certain âge et d'une certaine maturité lui sont contraires » (p. 43). Le voyage vers Rome est suivi. Divers correspondants s'expriment. Metternich et son représentant à Rome s'intéressent de près à cette démarche auprès du Pape et signalent le danger de cette entreprise.
Grégoire XVI s'adresse à diverses personnes qui connaissent Lamennais et sollicite leur avis sur ses doctrines et aussi sur la manière de procéder à son égard. Et voilà la réponse de Mgr Lambruschini, Nonce en France : le journal "L'Avenir" diffuse les principes révolutionnaires masqués sous le vernis de la religion. Il mérite le blâme pour ses diverses positions : la souveraineté du peuple, la séparation totale de l'Église et de l'État, la renonciation aux traitements publics pour le clergé, la liberté de la presse, des cultes, etc. ... Cette démarche à Rome tend à compromettre le Saint-Siège. Interviennent ensuite l'abbé Baraldi, de Modène, le Père Orlon, le Père Ventura (Général des Théatins, ami de Lamennais), le Jésuite breton Rozaven (l'adversaire le plus sévère de son compatriote). Les uns et les autres exposent les doctrines en cause et donnent leur avis: Baraldl : il faudrait "lui faire bon accueil, reconnaître qu'il a raison sur plusieurs points ..."; Ventura : Lamennais a défendu la religion et l'autorité du Pape. Sa démarche est édifiante quant à son but. Il faut éviter que sous l'influence de toutes sortes d'intrigues il soit humilié. Il faut le diriger dans le sens du bien de l'Église : il est une chance pour elle.
Mais les événements vont se précipiter. Arrivé à Rome, le 30 décembre, Lamennais adresse au Pape, le 3 février, un mémoire. (Texte en ce volume, "pièce justificative" n° 3, pp. 541-592). Au sujet de ce texte, le Cardinal Lambruschini intervient : Rome doit exprimer son mécontentement pour ces idées révolutionnaires et il faut que le Saint-Office entreprenne un examen de toutes les doctrines exprimées. Ce qui exigera du temps ... Le Cardinal Pacca, Doyen du Collège des Cardinaux, écrit en ce sens à Lamennais lui-même, fin février. Lambruschini précise la situation : l'épiscopat français est dans l'incapacité de condamner Lamennais ; une commission du Saint-Office va donc examiner les diverses pièces du dossier et répondre à la question concernant l'attitude du Pape : le silence encore, une simple désapprobation, un jugement doctrinal, une mise à l'Index, une encyclique ?
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Lamennais et ses deux compagnons sont reçus par Grégoire XVI le 13 mars. Audience décevante: aucune question n'y est évoquée.
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Cependant la "machine à condamner" est en marche. Metternich veut éliminer celui qu'il considère comme "l'ennemi public n° 1". Il fait intercepter les lettres de Lamennais, les communique au Pape. Dès le 29 février, Mgr d'Astros, archevêque de Toulouse, qui sera en France le chef de file des adversaires de Lamennais, intervient auprès du Cardinal Grand Pénitencier. Il indique que lui-même et des évêques sont en train d'examiner les écrits de Lamennais... Grégoire XVI l'encourage à poursuivre ... et d'Astros envoie à Rome, le 15 juillet, 56 propositions censurées ...
Entre temps, l'examen des doctrines de Lamennais est en cours, tandis que lui-même a quitté Rome le 1er juillet. Les réponses aux questions posées sont rédigées dans la deuxième quinzaine de juillet et voici les longs rapports du Père d'Orioli (Que le Pape publie une encyclique, sans nommer Lamennais. Ce sera pour le moment une "condamnation indirecte"), du Père Rozaven (Qu'un jugement doctrinal soit porté, dans une encyclique où il soit dit que ce sont les doctrines de "L'Avenir" qui sont condamnées, que ce journal soit mis à l'Index ... ), de Mgr Frezza (Il faut parler, mais qu'il n'y ait pas de condamnation formelle par voie de jugement doctrinal... car ce serait délicat et difficile ; seulement une encyclique, sans citer le nom de Lamennais), de Mgr Soglia (oui à un jugement doctrinal avec justifications à l'appui, une condamnation formelle... mais cela exigera beaucoup de temps ; alors, une encyclique où Lamennais ne sera pas mentionné), du Maître Général des Dominicains (?) (ne pas entrer en discussion avec Lamennais en donnant un jugement doctrinal, publier une encyclique sur les questions en contestation, sans citer Lamennais).
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L'Encyclique "Mirari vos" est publiée le 15 août 1832 (Texte en ce volume, pp. 645-664). Le 10 septembre, Lamennais averti par le Cardinal Pacca que c'est de lui qu'il s'agit dans cette Lettre, annonce sa soumission : suspension de "L'Avenir" et dissolution de l'Agence pour la défense de la liberté religieuse.
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Mgr d'Astros avait poursuivi son effort pour la censure des 56 propositions extraites de l'œuvre de Lamennais. C'est ce qu'on appellera "la censure de Toulouse" (Texte en ce volume, pièce justificative n° 4, pp. 593-626). Le 15 juillet il en avait adressé le texte à Rome, puis le 17 à tous les évêques de France.
Le 3 novembre, l'archevêque revient à la charge auprès de Rome : la déclaration de Lamennais est-elle une rétractation de ses doctrines ? Le moyen le plus sûr pour remédier au mal ne serait-il pas que le Pape confirme la censure des évêques français ?
En réponse à cet appel, le Pape provoque une réunion de la "Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires". Elle se tient en sa présence le 28 février 1833. Elle comporte un très long rapport de Mgr Frezza, Secrétaire de cette Congrégation, sur l'ensemble de l'œuvre de Lamennais et sur "L'Avenir", l'influence de ces idées en divers pays, l'historique des interventions précédentes, l'encyclique du Pape, la soumission de Lamennais, l'intervention des évêques de France qui demandent à nouveau le jugement du Saint-Père... Alors que faire ? Confirmer la censure des évêques ? mais l'adhésion de tout l'épiscopat n'est pas nette. (A la date du 28 janvier, 50 évêques ont donné leur adhésion à la censure [dont l'évêque de Quimper ...] ; d'autres évêques n'ont pas répondu ... tel évêque a exprimé ses réticences ... ) ... Et il faudrait procéder à une longue étude ... ; Avant de condamner, il faudrait entendre l'auteur lui-même ... ; juger des propositions extraites de ci, de là, n'est pas normal..., comment répondre à l'archevêque de Toulouse ? L'encyclique n'est-elle pas déjà une réponse ?
En conclusion, il fut admis qu'une lettre à Mgr d'Astros suffirait [Louis Le Guillou écrit : « II me semble évident, à la lecture de ces documents, que Grégoire XVI n'avait aucune envie, contrairement à ce qui a été toujours affirmé, de condamner Lamennais et de donner systématiquement raison à ses adversaires. Avec beaucoup de doigté, avec infiniment de prudence, il tentait de sortir au mieux d'une situation délicate : pourquoi envenimer des rapports avec un « génie » qui, pour lors, se tait ? Comment faire pour ne pas ulcérer un archevêque à qui on ne donne pas les réponses ou plutôt les condamnations qu'il souhaite ? » (p. 327).].
Ce dont l'archevêque ne fut pas satisfait...
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La bataille va reprendre de plus belle. Beaucoup se demandent si la soumission de Lamennais a été sincère... Sa correspondance et celle de ses amis est surveillée, des lettres sont transmises au Pape... De Belgique et de France arrivent des dénonciations de l'influence néfaste de ses idées.
Dans cette atmosphère empoisonnée, Lamennais lui-même croit de son devoir d'adresser une lettre au Pape, le 4 août 1833. Affirmation de soumission à nouveau.
Grégoire XVI répond par une lettre du 5 octobre, adressée à l'évêque de Rennes. Celui-ci est chargé d'obtenir de Lamennais une soumission totale à l'encyclique « Mirari vos »... Mais celui-ci, qui quittait à ce moment la Bretagne pour Paris, annonce qu'il fera directement une réponse ...
Il écrit au Pape le 5 novembre 1833. Distinguant le spirituel et le temporel, il termine ainsi : « Si dans l'ordre religieux, le chrétien ne sait qu'écouter et obéir, il demeure, à l'égard de la puissance spirituelle, entièrement libre de ses opinions, de ses paroles et de ses actes, dans l'ordre purement temporel ». Cette lettre, rendue publique, suscite soupçons et interprétations malveillantes. Le 28 novembre, Grégoire XVI écrit à l'évêque de Rennes ; il dit son amertume et pourtant encore sa confiance...
L'archevêque de Paris s'occupe d'obtenir de Lamennais une nouvelle lettre au Pape. Il le reçoit et celui-ci rédige un texte, jugé insuffisant, écrit un second, puis un troisième...
Mais le 10 décembre, Lamennais reçoit du Cardinal Pacca, sur ordre du Pape, une lettre, datée du 28 novembre, lui demandant une déclaration "simple, absolue et illimitée". Il y répond immédiatement par une affirmation de soumission absolue, qui tient en quatre lignes : « Je soussigné, m'engage à suivre uniquement et absolument, dans le sens même des paroles contenues au Bref du Souverain Pontife Grégoire XVI en date du 5 octobre 1833, la doctrine exposée dans la lettre Encyclique du même Souverain Pontife, et à ne rien écrire ni approuver qui lui soit contraire ».
Ainsi, fin 1833, tout semble achevé. Le 28 décembre, le Pape écrit sa satisfaction à l'archevêque de Paris, à l'évêque de Rennes, à Lamennais...
***
Mais l''archevêque presse alors Lamennais de remercier Grégoire XVI, lui propose un modèle... Une nouvelle lettre ! Lamennais refuse et le Pape en est averti.
Le 30 avril 1834 « Paroles d'un croyant » paraît (sans nom d'auteur).
Lamennais écrit à l'archevêque de Paris que c'est là un ouvrage non de religion mais de politique : il n'a pu supporter l'oppression, le despotisme ...
Le 11 juin, le Cardinal Lambruschini établit un rapport au Pape sur ce livre, demandant la condamnation de « cette œuvre infernale... , une Apocalypse nouvelle inspirée par Satan... (des) paroles sanguinaires... un enseignement subversif de tout principe de l'ordre social, de toute hiérarchie ... »
Le 7 juillet, est publiée l'Encyclique « Singulari nos », condamnant cet ouvrage « peu considérable par son volume, mais immense par sa perversité » (Texte en ce volume, pp. 729-736).
* * *

Le Dossier s'achève sur une postface, due au Père M. J. Le Guillou, frère de Louis Le Guillou (pp. 737-754). Il souligne combien Félicité de Lamennais a eu le sens des conditions nouvelles de la vie du monde et donc des exigences nouvelles pour l'Église. Il pense que le voyage de Lamennais à Rome, annoncé urbi et orbi, a été une initiative malencontreuse tendant à compromettre le Saint-Siège. « II a manqué à Lamennais le sens des délais et de la patience. Il est cependant regrettable que les mentalités aient été à ce point figées qu'elles n'aient pu qu'aboutir à une crise » (p. 750).


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