Editions BEAUCHESNE

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12- MADAME GUYON (1648-1717), UN NOUVEAU VISAGE

12- MADAME GUYON (1648-1717), UN NOUVEAU VISAGE

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Date d'ajout : mardi 16 mai 2017

par G.-M. O.

ESPRIT ET VIE , janvier 1980

Sujet difficile, livre difficile, style difficile également; on se souvient du livre de Françoise Mallet-Joris sur Jeanne Guyon (1978) qui relevait davantage de la littérature, peut-être même du roman historique, que de l'étude de la spiritualité. Celui-ci au contraire, veut être à la fois une étude biographique et une analyse du phénomène mystique.
Les mystiques étranges n'ont pas manqué au cours du XVIIe siècle ; Madame Guyon n'est pas la première; il suffit de nommer Marie des Vallées, Marie Rousseau, Armelle Nicolas, pour ne pas mentionner Jeanne des Anges, ou, plus authentique que celle-ci, Catherine de Saint-Augustin. Il est certain que Madame Guyon n'a pas eu de chance, survenant sur la scène après la condamnation de Molinos. Elle n'a pas rencontré sur son chemin, un saint Jean Eudes comme Marie des Vallée, un M. Olier comme Marie Rousseau, un P. Ragueneau comme Catherine de Saint-Augustin·, elle a trouvé sut sa route un esprit très arrêté et peu disposé à écouter vraiment, Bossuet. Elle a rencontré surtout Madame de Maintenon, résolue et décidée après son échec auprès de Madame de Maisonfort. Aussi la perspective adoptée par l'A. : masculin contre féminin ne revêt-elle pas une grande signification. On ne peut baser un livre là-dessus ; c'est une majeure trop fragile : « En ce siècle où la femme était muette… » dit l'auteur (p. 92) ; est-ce évident ? Les servantes de Molière sont particulièrement « fortes en gueule »; Jeanne de Matel n'est certes pas une modèle de mutisme, et il suffit d'ouvrir Bremond pour se convaincre aussitôt du contraire ; on a dû renoncer à déchiffrer les Mémoires de Marie Rousseau : ils sont trop longs, et la graphie est décourageante ; il faudra pourtant le faire un jour. Bossuet lui-même n'était pas si méprisant pour la demoiselle de Metz et les Mères de Luynes ; derrière son attitude il doit y avoir autre chose, probablement plus important et plus profond.
L'A. ne semble pas s'être assez gardée d'une tentation fréquente chez les spécialistes d'un sujet, d'une personne, qui est celle du manichéisme ; tous les opposants ont plus ou moins tort, ce sont des persécuteurs, voir des « affreux » ; il est plus éclairant de passer d'un acteur à l'autre et de tâcher de percevoir sa perspective propre (autrement que par la voie d'une psychanalyse hasardeuse), de chercher à comprendre les raisons sérieuses (même les raisons surnaturelles) de leur opposition. On ne peut traiter Bossuet comme une sorte de petit garçon affolé à l'idée qu'il pourrait perdre son autorité doctrinale, Dom Le Masson comme un autocrate jaloux de l'influence que Madame Guyon pourrait avoir eu sur les Chartreusines, etc…
Au lieu d'un ouvrage d'histoire de la spiritualité, on a constamment l'impression de se trouver en face d'une thèse, construite avant l'enquête ; elle est exprimée d'ailleurs en conclusion ; c'est une sorte d'opposition entre l'Église hiérarchique et l'Église spirituelle, le magistère et la motion de l'Esprit : « En son temps, Mme Guyon, parlant d'un "dedans" de l'existence, signifiait un écart entre les doctrines et pratiques religieuses fixées dans la sauvegarde d'un "dehors". D'où son caractère subversif » (p. 277).
Il me semble que le livre de Marie-Rosario Adriazola sur Marie de l'Incarnation rend un autre son, celui de la cohérence du dedans et du dehors au lieu du conflit ; une perspective moins hégélienne, moins dialectique, mais sans doute plus exacte.
Une clé ne se trouvait-elle pas à la page 138-139 : « Il (Bossuet), écrit Madame Guyon, revenait toujours à me vouloir prouver que tous les chrétiens, avec la foi commune, sans intérieur, peuvent arriver à la déification ». Laissons tomber le « sans intérieur » qui est de trop et ne semble pas correspondre à la pensée de Bossuet ; mais la déification objective est bien la doctrine du Nouveau Testament, de saint Paul, de saint Jean, des Pères grecs, de la tradition de l'Église. Que beaucoup de chrétiens ne soient pas logiques avec elle et la trahissent, rien de plus exact. Madame Guyon parlait en termes d'expérience, de conscience de cette déification qu'elle réservait à une élite. Les écrits de Madame Guyon contiennent de très belles pages ; mais d'autres laissent perplexes.
Rien de plus révélateur à ce sujet que les hésitations de M. Tronson ; le problème n'est pas tant celui de la mystique en général, que celui de l'expérience propre de Madame Guyon ; et cela n'apparaît pas très clairement dans le livre, même si la réaction anti-mystique qui a suivi a été trop radicale, comme le prévoyaient avec appréhension Dom Claude Martin. Dom Lamy, sans parler de Fénelon. Il est également significatif de voir Bossuet se réclamer de Marie de l'Incarnation, la « Thérèse de la Nouvelle-France » ; il n'était pas à priori antimystique.
« Exiger de ce langage (mystique) qu'il soit conforme au discours établi, c'est se condamner à répéter des problématiques anciennes. Les mystiques témoignent ainsi d'une venue à la parole qui est constitutive de l'expérience spirituelle » (p. 140). Sans doute ! Mais l'Église a toujours revendiqué un charisme de discernement ; son application est délicate, il y a eu des erreurs commises ; dans le cas de madame Guyon, le pouvoir séculier est intervenu, et les procédés ont été brutaux, mais le vrai problème est ailleurs. Il me semble que l'ouvrage de Marie-Louise Gondai, malgré la richesse de son information et ses nombreuses qualités, n'apporte pas toute la lumière que l'histoire de la spiritualité est en droit d'attendre sur la question. C'est une contribution importante, mais on désirerait autre chose, sans doute de plus irénique.


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