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11. DIEU AVEC L'ÊTRE. De Parménide à Saint Thomas. Essai d'ontologie théologale

11. DIEU AVEC L\'ÊTRE. De Parménide à Saint Thomas. Essai d\'ontologie théologale

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Date d'ajout : mardi 21 février 2017

par C. THEOBALD

REVUE : RECHERCHES DE SCIENCE RELIGIEUSE

Jean Greisch a pris l'heureuse initiative de rassembler cinq études du regretté Père Dominique DUBARLE qui couvrent le champ entier de l'ontologie ancienne De Parménide à Saint Thomas. En les présentant, nous avons le sentiment d'acquitter une dette envers ce maître à penser et cet homme de foi.
Récapitulant les grandes étapes de la pensée ontologique en Occident, les cinq chapitres de l'ouvrage ne constituent pas pour autant une simple rétrospective mais dégagent « des décisions, des choix fondamentaux, dont toute pensée ultérieure héritera » (6). Dès lors nul étonnement si le poème de Parménide (ch. 1) constitue le point de départ obligé de la traversée. Retenons déjà la perspective « épistémologique » du P. Dubarle. Il lit la doctrine du poème comme une toute première ébauche d'une doctrine du savoir qui veut comprendre le statut même du discours ontologique. Ce qui s'est « noué », peut-être définitivement, avec la doctrine parménidienne sera continuellement remis en chantier, sous des modalités très diverses, tout au long de l'histoire de la philosophie occidentale. Nous sommes conviés aux grands carrefours de la pensée qui représentent autant des reprises que des transformations de la décision initiale: la dialectique chez Platon (ch. I) et l'analogie chez Aristote (ch. II), l'ontologie théologale de saint Augustin (ch. IV) et l'ontologie du mystère chrétien chez saint Thomas d'Aquin (ch. V).
N'ayant rien de polémique, cette relecture de la tradition occidentale se situe cependant au-delà de l'alternative bien connue d'une métaphysique de l'Exode, qui voudrait identifier Dieu et l'être, et d'une théologie, héritière de la thèse heideggérienne de l'oubli de l'Être dans la métaphysique occidentale, qui se croirait du coup obligée de mettre Dieu à l'abri de l'être. Le titre Dieu avec l'Être pourrait bien signaler un retour en-deçà de la clôture onto-théologique, mais, lié au sous-titre Essai d'ontologie théologale (cf. aussi 168), il indique plutôt une approche « ontologique » de la question de Dieu qui est passée par le crible de l'épistémologie contemporaine.
Quelques pages lumineuses (242-258) à la fin du chapitre IV (Essai sur l'ontologie théologale de saint Augustin) sont parmi celles qui peuvent ouvrir au lecteur de très larges horizons. En y insistant nous voudrions suggérer ce que nous considérons comme la perspective originale du P. Dubarle. Certes, il nous propose une lecture diachronique de l'ontologie occidentale ; mais la clef de son interprétation se trouve dans son analyse synchronique de « l'action génératrice d'ontologie » (248) et de l'intégration de celle-ci dans une « topique » capable d'expliquer l'association de la disposition religieuse et des dispositions communes de la vie mentale et culturelle de l'humanité (253), et d'y situer par le fait même les fusions naïves (philosophie chrétienne) et les dissociations néfastes (tradition heideggérienne) entre l'ontologie et la foi en Dieu, y compris leurs relectures globales de la métaphysique occidentale.
Analysant l'association augustinienne entre l'ontologie et le nom de Dieu (248-250) comme « le produit d'un travail humain de la pensée » (250), D. montre le jeu complexe entre une préparation mentale par une certaine formation néoplatonicienne, une lecture de l'Écriture, organisée autour du nom divin de l'Exode « décadence » comme « authenticité détruite » (B 1), présente le christianisme comme expression ultime d'une culture de décadence (B Il) pour situer, dans ce cadre, la relation de faiblesse entre l'homme et Dieu visée ultimement par la critique de Nietzsche (B III). La partie C oppose à la « décadence » la « volonté de puissance » comme catégorie de l'authenticité (C 1) formant le cadre « ontologique » d'une pensée de l'homme et de Dieu qui part de leur commune force (C Il). Avec la partie D, l'étude de B. atteint son aboutissement quand il reprend le double traitement nietzschéen, critique et positif, de la relation entre l'homme et Dieu au profit d'une théologie chrétienne (D 11), A la base d'une telle relecture il y a la double conviction que le concept du christianisme implique effectivement « l'authenticité de Dieu parmi les hommes et celle de l'homme en Dieu » (D 1) et que cette authenticité est le seul point de départ valable d'un dialogue avec les perspectives nietzschéennes de l'athéisme et avec l'athéisme tout court (D III).
Venons-en tout de suite au point essentiel où B. entend compléter les lectures théologiques de ses prédécesseurs. Partant du « perspectivisme » à la fois ontologique et épistémologique de Nietzsche qui voit dans la connaissance et le langage des formes réalistes de la « volonté de puissance » qu'il inscrit, de façon critique, dans le multiperspectivisme du monde, l'A. reconstruit ce qu'il appelle sa « métaphysique relationnelle de la volonté de puissance » (269) qui, ayant renoncé définitivement au dualisme des arrière-mondes, comprend les êtres comme des « quanta de puissance » dont l'être consiste en la somme de leurs relations actuelles de puissance. Dieu n'habite pas dans le « monde vrai de l'au-delà » mais se définit, dans le cadre de cette métaphysique tout autre, comme « universalité » et « ponctualité » : comme « état maximal » et « puissance la plus haute » ; il est la somme de toutes les relations de puissance actuelles et possibles tout en se réalisant comme singularité ou comme « point » (265-269).
Nous ne contestons pas la présence d'un concept positif de Dieu dans l'œuvre tardive de Nietzsche que l'A. a le mérite de mettre en relief et qu'il faut effectivement comprendre dans le cadre d'une ontologie dont il est difficile de mesurer la nouveauté radicale ; mais nous nous interrogeons sur l'utilisation de concepts comme « personne  », « relation » et « authenticité » pour interpréter ces rares textes philosophico-théologiques et sur le risque, parfois couru par B., d'un glissement Sémantique quand il passe du champ nietzschéen à celui de la théologie chrétienne. Il nous semble tout à fait étonnant que l'excursus sur le concept de personne chez Max Müller (226-231 et 302 s, n. 6) ne provoque aucun débat entre ces deux traditions simplement juxtaposées par l'A. Détails ? mais qui n'en jettent pas moins une petite ombre sur le projet global de l'A. Il garde, à notre avis, toute sa valeur, mais à condition de ne pas interroger seulement le christianisme sur sa capacité d'intégrer le questionnement de Nietzsche mais d'entreprendre aussi un débat approfondi sur les présupposés du perspectivisme épistémologique et ontologique du philosophe (cf. plus loin notre recension de l'Essai et le corps d'Yves Ledure) ; tâche ingrate qui aurait demandé peut-être un « labeur du concept » rendu difficile par l'état fragmentaire de l'œuvre tardive de Nietzsche.
Après ces monographies historiques, voici trois ouvrages qui proposent, chacun à sa façon, une perspective d'ensemble visant à se substituer à la vision et de l'Évangile de Saint Jean, qui conduit à l'invention décisive de la « différence ontique », et enfin le transfert des discours platoniciens ou néo-platoniciens touchant l'Idée suprême ou l'Un en un discours théologique au sujet de Dieu et de son être. L'analyse épistémologique de ce processus paradigmatique (250-252) insiste sur la capacité de la foi religieuse comme puissance intellectuelle et culturelle d'induire un développement effectif de la raison et de l'acquis régulier de sa rationalité.
L'ontologie théologale de saint Augustin suppose donc, au regard de l'épistémologue, « l'enjambement délibéré, conscient, de ce qui, pour notre culture contemporaine, est un 'grand vilain fossé' » (244). La rudesse de ce diagnostic de la crise n'empêche pas le P. Dubarle de rester à l'école de saint Augustin (252), mais au prix d'une compréhension (248) de l'association théologale et ontologique qu'elle produit, étant donné qu'une telle interprétation suppose que l'interprète ait déjà pris ses distances par rapport à une tradition qui l'habite toujours.
Enracinée dans une conviction religieuse, l'identification de Dieu et de l'être est libre, par principe, et cesse de valoir quand la pensée et la doctrine de l'être se sont dépouillées de toute énergie théologale. « Le concept ontologique n'est pas théologique par constitution et construction. Il peut le devenir par affectation. » Voilà, le principe fondamental de l'épistémologie dubarlienne (253 et 257). Il explique, selon l'A., le refus de « la déduction onto-théologique » (253) qui, pour respecter intégralement la liberté de la conviction religieuse et incroyante, s'accomplit souvent en rejet de toute élaboration ontologique, trop compromise par l'association analysée plus haut.
Il faut alors, pour éviter de fausses alternatives, élaborer une « topique raisonnée de la disposition religieuse et des dispositions communes de la vie mentale et culturelle » (253-256) qui devrait être, dans l'esprit du P. Dubarle, une fondation onto-épistémologique des Droits de l'homme en matière de convictions religieuses (256). Retournant une fois encore à la matrice parménidienne, il distingue avec le poème de Parménide entre l'éclair de la compréhension ontique du verbe « es t» dans le « discours fidèle » (l'inte/lect) et ce qui se révèle, du même coup, comme opinion, susceptible de devenir objet, non pas d'une épistèmé définitive, mais d'une mathésis toujours provisoire, qui consente à raisonner en liant le terme « est » au vécu psycho-mental ou culturel quotidien et commun, voire savant. Ce choix parménidien, nullement évident, est devenu celui de la raison occidentale qui rencontre aujourd'hui le fait des divisions individuelles et collectives de l'opinion en matière de convictions, notamment religieuses.
Ce fait incontournable nécessite, selon le P. Dubarle, une double transformation intellectuelle. La position initiale de la raison entre l'intellect et l'opinion exige de la rationalité européenne qu'elle cesse de se faire illusion à elle-même, et de méconnaître la diversité de ses modes en excluant de sa sphère le genre particulier de l'opinion qu'est la conviction religieuse. Celle-ci doit accepter, elle, de se situer dans l'espace de l'opinion générale comme un lieu parmi d'autres et de se reconnaître soumise à la raison, sur le même plan que d'autres lieux «particuliers» d'investissement et d'accomplissement de l'énergie humaine (255). Une fois reconnue la double liberté d'élaborer des schématismes ontologiques, figuratifs de l'intelligibilité humaine, et d'identifier tel ou tel élément comme le « est » infini au Dieu de la foi théologale, cette répartition des terrains permet leur « enjambement » dans une ontologie théologale qui utilise l'ontologie comme « instrument légitime au service de la pensée des objets de la conviction religieuse » (256-258).
Nous retrouvons, dans la démarche intellectuelle du P. Dubarle, cet esprit large et œcuménique qui situe le christianisme dans des mouvements culturels et philosophiques plus globaux. Ce qui caractérise cependant plus précisément la pensée du dominicain est peut-être sa conscience très nette du statut irrémédiablement particulier des convictions religieuses de l'humanité et son effort pour les légitimer comme telles. L'envers de son refus de tout concordisme est ce qui donne à sa pensée une si belle tonalité confessante. Même si on peut faire des réserves légitimes par rapport à l'association, justifiée par l'A. dans les limites qu'il indique, entre Dieu et l'être, il nous semble désormais difficile de retourner en-deçà de son analyse épistémologique ou généalogique de cette identification; et nous sommes encore loin d'avoir raisonné réellement ce qu'il appelle le déchirement des convictions ultimes de l'humanité.
Signalons pour finir que la bibliographie du P. Dubarle, à la fin de ce volume, est une première version moins complète de celle qu'a publiée la Revue de l'Institut catholique de Paris.


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