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16- MONSEIGNEUR D'HULST ET LA SCIENCE CHRÉTIENNE. Portrait d'un intellectuel

16- MONSEIGNEUR D\'HULST ET LA SCIENCE CHRÉTIENNE. Portrait d\'un intellectuel

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Date d'ajout : jeudi 05 novembre 2015

par Louis-Pierre SARDELLA

La célébration des centenaires a ceci de bon qu'elle permet, grâce aux colloques et aux livres qui 'accompagnent, d'avoir un regard renouvelé sur des personnalités parfois un peu oubliées. Tel est le cas de Mgr d'Hulst (La Vie de Mgr d'HU/SI, 2 vol., Paris 1912-1914, écrite par Mgr Baudrillart, n'est pas remplacée). Le livre de Fr. Beretta - à la fois instrument de travail (139 documents - principalement des lettres écrites entre 1864 et 1896 - suivis d'une « bibliographie intellectuelle » qui recense par ordre chronologique les principales publications, et quelques textes inédits, du prélat) et mise en perspective de l'engagement intellectuel d'un prêtre dans la France et dans l'Église catholique à la fin du XIXe siècle (une longue introduction situe les documents dans leur contexte historique et théologique) - présente un aspect central de l'action du recteur de l'Institut catholique de Paris : son apostolat au service de la « science chrétienne ».
Né à Paris en 1841, Maurice Le Sage d'Hauteroche d'Hulst appartient à une famille de la haute noblesse française liée à la famille royale d'Orléans. Après de brillantes études secondaires il entre en 1859 au séminaire Saint-Sulpice. Envoyé à Rome en 1863 il en revient docteur en théologie et en droit canon. Après quelques années de ministère paroissial il est nommé vicaire général et se voit confier l'organisation de l'université libre de Paris créée en application de la loi de 1875. Dès lors sa vie est principalement consacrée à cette institution qui devient Institut catholique de Paris en 1880 et dont il est le premier recteur de 1881 à sa mon en 1896. Cela ne l'empêche pas d'être, entre autre, organisateur des premiers Congrès scientifiques des catholiques, prédicateur à Notre-Dame, député du Finistère. Ces différentes activités s'alimentent à une même certitude : l'Église ne conservera la direction des cœurs et des volontés que si elle se rend capable de conserver celle des esprits.
C'est ce qui nous est donné à lire dans la centaine de lettres adressées à une quarantaine de correspondants différents et dans quelques notes préparatoires à des articles ou des rappons de Mgr d'Hulst (à cela s'ajoute une vingtaine de lettres reçues par Mgr d'Hulst ou échangées entre ses correspondants) rassemblées dans la partie documentaire du livre. Il faut commencer par saluer le très important travail de dépouillement d'archives réalisé par Fr. Beretta qui met ain.si à la disposition des chercheurs une documentation difficile à rassembler (archives dispersées dans de nombreux dépôts tant en France qu'à l'étranger : la liste en est donnée p. 486-487).
Ces documents s'échelonnent de façon très inégale sur l'ensemble de la période considérée (un sur cinq date des années 1892-1893 - années de la candidature à la députation et surtout de l'article sur la question biblique - et l'on arrive à plus d'un sur trois si l'on rajoute ceux des années 1886-1887 - années de préparation du premier Congrès des scientifiques catholiques) et sauf à penser que cette disparité reflète l'état des sources - mais Fr. Beretta ne l'indique pas - il convient d'y voir le résultat de sa volonté « d'illustrer l'engagement intellectuel » de Mgr d'Hulst en privilégiant « la problématique de la 'science chrétienne' ». On n'échappe au sentiment qu'un certain arbitraire a présidé au choix des textes retenus d'autant plus que Fr. Beretta multiplie en notes des extraits de nombreuses autres lettres qui auraient tout aussi bien pu figurer dans le corpus. La dimension « instrument de travail » de l'ouvrage s'en trouve ainsi un peu limitée.
Ceci étant les documents retenus sont généralement d'un grand intérêt qu'ils concernent le cercle des relations avec les intimes, celui des relations officielles, celui, assez spécifique, des relations avec la presse.
Dans le cercle des intimes j'évoquerais un personnage sur lequel Fr. Laplanche vient récemment d'appeler l'attention (Fr. Laplanche, La Bible en France, entre mythe et critique. XVIe-XIXe siècle, Paris 1994) : M. Hogan professeur à Saint-Sulpice de 1852 à 1884 et dont l'influence sur un certain nombre de ses élèves - dont Mgr d'Hulst - se trouve ici confirmée. D'abord pour les avoir initiés à la pensée de Newman et les avoir mis en relation directe avec lui (Doc. 33), ensuite pour leur avoir appris à ne pas se satisfaire trop vite de l'argument d'autorité. Les lettres ici publiées, en particulier celle du 7 mai 1893 (Doc. III), montrent à la fois l'absolue confiance de Mgr d'Hulst envers son ancien professeur (il ne lui cache pas son hostilité à la politique du Pape et ses doutes quant à son libéralisme) et l'importance qu'il lui accorde pour influer sur le cours des événements (Mgr d'Hulst demande à M. Hogan d'intervenir auprès du cardinal Gibbons ou de Mgr Ireland pour qu'ils tâchent de convaincre Léon XIII de ne pas prononcer de condamnation dans la question biblique).
En ce qui concerne les relations officielles, lettres et documents montrent l'énergie que le recteur a dû déployer pour convaincre ses interlocuteurs -tant à Paris qu'à Rome - de la nécessité de promouvoir une « science chrétienne » c'est à dire une science élaborée en milieu chrétien. C'était à ses yeux le seul moyen de réduire au silence ceux qui pensaient qu'il était impossible à un chrétien d'être aussi un savant authentique. Ainsi regrette-t-il que ses professeurs les plus compétents manifestent quelque réticence à l'égard de cette visée apologétique. En 1885 il s'étonne auprès de l'abbé Duchesne de ce que ses recherches ne lui aient « jamais fourni matière à quelqu'épisode apologétique » et il tente de le convaincre « d'écrire de temps en temps une page réconfortante pour la foi » (Doc. 46). Mais ces hommes - ce sera la cas plus tard pour Loisy (Mgr Mignot ne cessait de lui demander d'écrire des notes théologiques en commentaire de ses écrits historiques) - mesuraient mieux que le recteur le handicap qu'ils avaient surmonté pour se faire accepter de leurs collègues universitaires et ils ne pouvaient risquer leur légitimité de savants en donnant l'impression qu'ils la mettaient au service de la théologie.
Mgr d'Hulst n'était d'ailleurs pas insensible à cet argument. C'est ce que révèlent entre autre ses interventions auprès des directeurs de revues ou de journaux. Qu'il prenne la défense de certains de ses professeurs ou qu'il réponde à des polémiques qui l'atteignent directement, il ne cesse de revendiquer l'autonomie du chercheur dans son domaine propre (« On peut être bon géologue et bon chrétien et ne pas se croire obligé d'avoir une opinion sur une question controversée de théologie », Doc. 31) et la liberté du théologien dans les questions ouvertes.
L'introduction à ces documents porte le sous-titre du livre : « Portrait d'un intellectuel ». Après avoir retracé rapidement la formation de Mgr d'Hulst qui puise dans la tradition familiale sa fidélité en matière politique à la droite monarchiste libérale et auprès de certains de ses maîtres de Saint-Sulpice son ouverture d'esprit en matière de théologie où il a fait sienne très tôt la doctrine de « l'hypothèse », Fr. Seretta concentre son analyse sur la période 1881-1896 et s'attache à dégager la cohérence de l'action du recteur dans ses différents apostolats. Il la trouve dans l'adhésion totale du prélat au catholicisme libéral mise au service d'une conviction forte : la nécessité d'un lieu de débats intellectuels de haut niveau dans l'Église de France.
Ce principe posé, Fr. Seretta le suit dans les différents combats menés par Mgr d'Hulst autour de la promotion de la « science chrétienne ». Ceci nous vaut une excellente mise au point sur la place des sciences « au cœur de la guerre pour le pouvoir et pour la direction intellectuelle de la société que se livrent le 'cléricalisme' et la 'laïcité' » dans la France du XIXe siècle. Mgr d'Hulst appartient à la génération qui faisait ses études au début des années 1860 quand paraissent la traduction de L'origine des espèces de Darwin (1862) et La Vie de Jésus de Renan (1863). Ces deux livres ont créé un véritable traumatisme dans le monde catholique qui se pensait à l'abri des positions défendues par la « science catholique » analysée avec précision par Fr. Seretta (p. 84 sq.). Mgr d'Hulst convaincu en revanche qu'il ne peut y avoir de contradiction entre des vérités scientifiques assurées et la foi, plaide pour la nécessaire adaptation de la théologie aux progrès des sciences. C'est l'objectif qu'il assigne à la faculté des sciences de l'Institut catholiques comme aux congrès scientifiques des catholiques : fournir aux théologiens les outils scientifiques indispensables au renouvellement de la théologie.
La connaissance précise du contexte historique et théologique ainsi que l'évidente sympathie à l'égard de Mgr d'Hulst permettent à Fr. Seretta de comprendre et de faire comprendre la complexité du personnage. On peut toutefois se demander s'il n'adopte pas trop facilement les positions du prélat. Ainsi par exemple sur le fait que celui-ci n'ait pas été promu à l'épiscopat. Dire que c'est parce qu'il ne cachait pas « sa volonté de défendre la liberté de l'Église » (p. 40), c'est ne présenter qu'un aspect du problème ct sous-estimer les prises de positions politiques du prélat. J.-O. Boudon a bien montré (J.-O. Boudon, Les évêques concordataires. 1802-1905, Paris 1996) que le gouvernement entendait trouver des candidats sinon républicains du moins ayant faits un pas en direction de la République. Les évêques nommés après 1879 n'en ont pas moins défendu la liberté de l'Église, même si ce n'est pas comme l'entendait Mgr d'Hulst : les critiques qu'il formule contre un épiscopat « aux ordres » sont classiques de la part des ultramontains (Voir à ce sujet : A. Gough, Paris et Rome. Les catholiques français et le Pape au XIXe siècle, Paris 1996).
Une attitude voisine amène Fr. Beretta à privilégier le point de vue de Mgr d'Hulst dans l'affaire Loisy et à minimiser la divergence des deux hommes sur la question de l'inspiration. Que Loisy, au soir de sa vie, estime avoir été trop sévère pour le recteur, ne saurait être une justification a posteriori de l'attitude de Mgr d'Hulst pour qui, quelle que douloureuse qu'ait pu être la décision de se séparer de Loisy, la sauvegarde de la faculté de théologie passait avant le maintien de l'exégète dont l'article de novembre 1893 était bien plus qu'une rupture de l'accord par lequel il aurait accepté d'être cantonné dans l'enseignement des langues. C'était une fin de non recevoir très nette à l'approche théologique qu'avait tenté Mgr d'Hulst : « Il ne s'agit plus de savoir si la Bible contient des erreurs, mais bien de savoir ce que la Bible contient de vérité » (A. Loisy, La question biblique et l'inspiration des Écritures, in Études bibliques, Paris 1903, 146). Une telle revendication d'autonomie allait au delà des limites que Mgr d'Hulst assignait à la science chrétienne.
Ceci m'amène à m'interroger sur le terme d'intellectuel utilisé par Fr. Beretta à propos de Mgr d'Hulst. Il s'en explique en combinant une définition de J. Le Goff : exercer le « métier de penser et d'enseigner » et la notion d'engagement puisée chez P. Ory et J.F. Sirinelli (P. Ory et J.-F. Sirinelli, Les intellectuels en France de l'affaire Dreyfus à nos jours, Paris 1992). De ce double point de vue Mgr d'Hulst est incontestablement un intellectuel. Mais peut-on négliger le fait que ce mot acquiert en France, à la fin du XIXe siècle, une signification particulière ? Héritier du philosophe du XVIIIe siècle, l'intellectuel est une figure du combat des Lumières contre l'obscurantisme de l'Église. Comme le note avec humour E. Fouilloux, le mot « appartient de fondation à la tribu d'en face » (Intellectuels chrétiens et esprit des années 20. Actes du colloque de l'Institut catholique de Paris, septembre 1993, sous la dir. de P. Colin, Paris 1997,7). Il me semble donc difficile de l'utiliser sans précaution pour des catholiques et a fortiori pour des clercs des années 1890.
En effet ce qui définit en ce sens l'intellectuel c'est d'une part une légitimité reconnue dans un champ du savoir et d'autre pan l'utilisation de l'autorité ainsi acquise pour contribuer à une nouvelle formulation des valeurs qui fondent le pacte social. Dans cette perspective l'intellectuel catholique pourrait se définir par une compétence scientifique acquise en dehors de l'Église et par la contribution personnelle apportée au renouvellement de la pensée chrétienne.
De ce point de vue on ne peut pas enrôler Mgr d'Hulst dans le groupe des intellectuels. Dans une large mesure, en effet, sa conception de la « science chrétienne » n'a pas permis de lever la contradiction qui se manifestait de plus en plus entre la revendication d'autonomie qu'elle impliquait et la nécessité, dans le contexte de l'époque, de réserver au seul théologien le droit de formuler la pensée chrétienne ; de ce fait il me semble qu'elle allait à l'encontre des tentatives d'émergence dans l'Église de la fonction d'intellectuel dont la crise moderniste manifestera la force et signera la défaite.
On le voit, par son contenu et les problèmes qu'il pose, le livre de Fr. Beretta est une contribution très importante à la connaissance du catholicisme français de la fin du XIXe siècle.


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