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3- FILLES DE JUSTICE. Du Bon Pasteur à l’Éducation surveillée (XIXe-XXe siècle)

3- FILLES DE JUSTICE. Du Bon Pasteur à l’Éducation surveillée (XIXe-XXe siècle)

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Date d'ajout : samedi 28 mai 2011

par Sandrine ROLL

HISTOIRE DE L’ÉDUCATION N° 127 juillet-septembre 2010


Les «filles de Justice » sont aussi méconnues aujourd'hui qu'elles ont fait couler d'encre, attiré les regards et inquiété les autorités aux XIXe et XXe siècles. La longue recherche de Françoise Tétard et Claire Dumas vient mettre un terme à cette méconnaissance en nous offrant un éclairage sur la prise en charge de ces filles. C'est une histoire difficile à faire que les deux auteurs, l'une historienne, l'autre éducatrice, ont entreprise. Le livre fera date.
Qui sont ces mineures pour lesquelles les juges estiment que l'éducation doit se faire derrière des murs ? Que leur reproche-t-on ? Comme l'expliquent les auteurs, souvent pas grand-chose : elles étaient des « criminelles du fantasme », qu'on enfermait parce qu'elles « avaient été violées ou qu'elles auraient pu l'être, parce qu'elles étaient aguicheuses et qu'elles auraient pu mal tourner, parce qu'elles avaient déjà mal tourné et auraient pu en contaminer d'autres, parce qu'elles étaient filles-mères ou qu'elles auraient pu l'être» (p. 18). L'enfermement est alors vu comme la seule solution pour les rééduquer et leur éviter de « pervertir la société ». Et quels meilleurs lieux pour cela que les couvents, protégés par leur haute enceinte, leurs portes monumentales et closes ? Les sœurs, d'ailleurs, ne sont-elles pas des « spécialistes de l'àme » ?
Le livre de Françoise Tétard et Claire Dumas permet de franchir les lourdes portes de l'un de ces couvents, le Bon-Pasteur de Bourges, dans lequel les filles étaient rééduquées. Au fil de la lecture, on ressent le poids que la clôture a fait peser sur la vie de la population du Bon-Pasteur. Cette pesanteur est signifiée par le choix de la photographie de couverture, qui présente une jeune fille dont le corps est appuyé contre une immense porte. La photographie est cadrée de telle sorte qu'elle souligne l'univers hermétiquement clos auquel cette fille est confrontée – ou va l'être. Le quotidien dans les maisons pénitentiaires est également rendu par un dossier de photographies prises entre 1920 et 1977. On voit bien Ici, comme tout au long du livre, le quasi-monopole que les congrégations ont exercé pendant pratiquement toute la période sur les tâches de rééducation. Malgré la laïcisation de l'État, il faut attendre le milieu des années 1960 pour que de nouvelles politiques d'éducation soient mises en place.
Aussi l'objectif des auteurs est-il de comprendre comment le passage s'est effectué d'une institution à une autre, d'une politique à une autre. Françoise Tétard et Claire Dumas ont fait le choix de s'intéresser tout particulièrement au Bon-Pasteur pour montrer « le passage d'une éducation dite "correctionnelle" à une éducation dite "surveillée" »,dans cet espace clos où, tout doucement, les portes ont commencé à s'ouvrir. Si leur analyse s'est portée sur cet établissement, c'est, en partie, en raison de ses archives peut-être un peu plus « parlantes » que d'autres, mais aussi et surtout en raison du caractère singulier de cet endroit qui, de statut privé jusqu'en 1968, est passé au public en devenant un internat professionnel d'éducation surveillée (IPES).
La première partie, s'appuyant sur des sources secondaires. retrace l'histoire de la maison du Bon-Pasteur. Cette synthèse permet au lecteur de comprendre le rôle joué par deux congrégations de femmes, celle de Notre-Dame de Charité du Refuge, puis celle de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur d'Angers, dans la naissance de cette institution de filles. Le rôle d'une religieuse très entreprenante, Mère Marie-Euphrasie Pelletier, s'avère essentiel pour comprendre les missions d'accueil et de moralisation des pénitentes de la congrégation, ainsi que l'expansion de celle-ci. Les initiatives et audaces de cette religieuse sont récompensées puisqu'en 1835 Rome accepte la création de la congrégation. L'État a aussi joué sa part dans cette expansion en s'intéressant peu aux filles dans ses politiques pénitentiaires. Sous prétexte que ce sont généralement des actes immoraux – souvent d'ordre sexuel – qu'on leur reproche, la solution retenue presque à chaque fois est de les confier aux religieuses. Cette pratique est entérinée par la loi du 5 août 1850, qui recommande aux juges de placer de préférence les enfants dans les établissements privés. La congrégation se dote alors d'une institution capable d'accueillir les filles qui dérangent.
La deuxième partie retrace les raisons de l'installation des sœurs à Bourges, ville industrielle et haut lieu traditionnel du monachisme féminin, et présente les difficultés rencontrées par la congrégation, Les entraves sont nombreuses, mais les sœurs persévérantes. Elles ne se laissent décourager ni par les difficultés financières ni par la méfiance des Berrichons, que la clôture intrigue. Aussi obtiennent-elles en 1857 une autorisation légale pour exercer leur mission correctionnelle pour les mineures, fonction qu'elles exerçaient déjà depuis 1840. Le Bon-Pasteur remplit son rôle de prison dans un espace peuplé de femmes de situations et d'âges divers jusqu'en 1883, date à laquelle le préfet fait fermer le quartier correctionnel. À partir de ce moment, de nouvelles difficultés commencent. Le troisième chapitre montre comment la IIIe République cherche alors à élaborer un établissement d'éducation correctionnelle modèle et lance de nombreuses enquêtes qui font éclater des scandales, comme celui de Nancy, qui nuit durablement à la réputation de la congrégation.
Suite à la Seconde Guerre mondiale, se développe une réflexion sur le métier d'éducateur et l'intérêt de renfermement des enfants, qui aboutit à la signature de l'ordonnance du 2 février 1945 insistant sur la nécessité de nouvelles formes d'éducation. L'éducation surveillée, qui voit alors le jour, est l'objet de la quatrième partie. Les sœurs s'adaptent aux nouvelles exigences en renégociant leurs habilitations, en suivant des formations et en recourant à un personnel laïc pour certaines activités. Le Bon-Pasteur se modernise donc, surtout sous l'action de sœur Marie-Louise Giraud, qui essaie de le sortir de son isolement. Mais ses efforts sont vains : en 1968, elle doit laisser la place à une nouvelle équipe, laïque.
La cinquième partie décrit le projet pédagogique de la nouvelle directrice, Renée Prétot, qui tient « à mettre en œuvre ses idées d'ouverture sur le monde » (p. 326) et à opérer une « rupture radicale » avec la période des sœurs. Quoi de mieux, alors, qu'une équipe mixte ? Qu'un bâtiment ouvert sur la ville? Qu'une pédagogie qui réponde « aux besoins évolutifs de chaque fille » (p. 331)?
Autre apport important du livre, celui que renferme la sixième partie, où sont retracées les « tranches de vies » de seize personnes qui ont fréquenté le Bon-Pasteur. Ces témoignages, qui émanent en majorité du personnel, et aussi de trois anciennes élèves, offrent un véritable corpus, que les auteurs se contentent de donner à découvrir à leur lecteur. C'est un parti pris assumé, qui offre la possibilité de « voyager d'un récit à un autre, au gré [des] envies », mais une analyse fine de ces « tranches de vie » aurait permis d'approcher au plus près les difficultés de la vie quotidienne pour les adolescentes placées : les rapports amicaux et/ou violents entre les filles et avec les encadrants, les révoltes face à la société, les questions proprement liées aux problèmes de l'adolescence. Mais, témoins d'un autre monde, celui des Institutions de placement pour les filles dans les années 1960, ces mémoires offrent un regard intéressant sur les projets éducatifs destinés aux mineurs en danger ou jugés dangereux. On peut voir ces récits comme un précieux matériau de réflexion pour notre époque, où il reste encore beaucoup à faire et penser pour améliorer les conditions d'éducation des Jeunes dans les établissements scolaires et Judiciaires.
Si cette étude est d'une grande qualité, on aurait toutefois aimé en savoir un peu plus sur les « filles de Justice », les actes qu'elles avalent commis et leur vie au Bon Pasteur, notamment avant 1968. Mais comme le rappellent les auteurs en citant Michelle Perrot, les archives restent souvent silencieuses quand il s'agit des femmes. Aussi cet ouvrage ouvre-t-il des perspectives de recherches nouvelles autour des thèmes de la rééducation des filles et de la dualité du privé et du public.


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