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PLOTIN ET LACAN. LA QUESTION DU SUJET

PLOTIN ET LACAN. LA QUESTION DU SUJET

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Date d'ajout : mardi 18 novembre 2008

par G?ard MASSE

NERVURE N°7 tome XXI octobre 2008

Gérard Massé : Qui est Plotin ?

Serge Tribolet : Plotin est un philosophe grec du troisième siècle après JC, « un Grec uniquement inspiré par les Grecs » selon l'expression de Bergson. Souvent présenté comme un néoplatonicien, il est en fait un penseur original dont le système philosophique se réfère non seulement à Platon, mais aussi à Aristote, aux Stoïciens et aux autres philosophes grecs. Sa pensée est une pensée grecque qui n'est pas influencée par la pensée chrétienne, en ce sens il est probablement le dernier des grands philosophes grecs.

G.M. : Le titre du livre indique un questionnement sur le sujet. De quel sujet s'agit-il ?

S.T. : Lorsque Lacan s'adressait aux philosophes — on trouve le texte dans les Écrits —, il leur parlait d'un sujet différent de celui qui intéresse la philosophie depuis des siècles. Je viens vous parler, disait-il en substance d'un « sujet dans le sujet » c'est-à-dire un autre sujet, un sujet insaisissable, un sujet inconnu des philosophes. Malgré cet avertissement, je pense que nous trouvons chez Plotin quelque chose qui non seulement s'apparente au concept de « sujet » lacanien, mais aussi qui nous éclaire sur ce concept et sur sa portée éthique. Lacan pour lire Plotin ou Plotin pour entendre Lacan !

G.M. : Le concept de sujet chez Plotin est-il l'équivalent du moi de la théorie psychanalytique ?

S.T. : Non. Il en est même radicalement opposé. Il s'agit avant tout de savoir qui pense ? Que veut dire penser ? La philosophie antique, en particulier la philosophie de Plotin, dispose des éléments conceptuels pertinents pour établir les conditions de la pensée et répondre à la question : « qui pense lorsque l'on dit je pense ? ». Ce quelque chose qui nous fait dire « je » n'a rien à voir avec une instance psychologique comme le Moi ou l'Ego. L'œuvre de Plotin témoigne d'un monde où la place de l'homme diffère de notre conception moderne de l'ego, d'un monde où la subjectivité n'est pas envisagée à l’aune du cogito. Aujourd'hui ce rapport entre l'homme grec et son monde serait difficile à concevoir, à entendre où à visualiser sans mettre de côté les catégories de la psychologie moderne, sans revenir à une subjectivité dégagée du cogito cartésien, sans revenir à une autre subjectivité qui ferait appel à un autre sujet — un sujet non psychologique.
C’est là tout l'enjeu de ce rapprochement entre Plotin et la théorie de l'inconscient. J'ai abordé ce rapprochement en termes· d'« extériorité d'un savoir ». Un savoir extérieur à notre conscience. L'expression « extériorité du penser » est formulée par Plotin. Son système philosophique constitue une métaphysique de l'extériorité car il se fonde sur l'autonomie de la pensée par rapport à la conscience.

G.M. : Ce n'est pas le sujet qui pense ?

S.T. : Non, la pensée est extérieure au sujet qui pense ! Cette conception plotinienne de la pensée est étrangère aux conceptions modernes, psychologiques ou phénoménologiques, qui répondent au schéma d'une intériorité dont la clef de voûte est le Moi. En posant l'existence d'une pensée hors de toute conscience et en faisant de la conscience un épiphénomène de la pensée, le système plotinien se distingue d'une part d'un matérialisme, lequel conçoit la conscience comme un épiphénomène de la matière et non un épiphénomène de la pensée, d'autre part de la théorie freudienne, laquelle n'est pas construite dans une perspective métaphysique. Freud puis Lacan ont suffisamment insisté sur le fait que la psychanalyse n'a ni les mêmes buts, ni les mêmes logiques que celles d'un système philosophique.

G.M. : Le lien entre Plotin et Lacan n'avait jamais été étudié auparavant ?

S.T. : Au-delà du rapprochement théorique entre le sujet chez Plotin et le sujet chez Lacan, il m'a semblé que nous pouvions aussi mettre en évidence un certain nombre de similitudes entre les deux œuvres et leurs auteurs. Par exemple, chacun a mené son élaboration théorique en référence à un texte, celui de Platon pour l'un et celui de Freud pour l'autre; cette référence principale ne prive pas leur réflexion de nombreuses autres sources philosophiques et littéraires. Si l’enseignement de Plotin correspond à une dénonciation de l'interprétation gnostique de Platon, d'une façon analogue le « retour à Freud » qui oriente toute l'œuvre de Lacan correspond à la dénonciation d'une dérive « psychologisante» de la psychanalyse. L'œuvre de Plotin et celle de Lacan nous sont transmises sous la forme de transcription d'un enseignement oral. Le corpus lacanien est constitué pour une part principale par la publication de son séminaire ; quant aux traités de Plotin, ils sont constitués par ses cours dispensés depuis 244 — année de son arrivée à Rome —, mais dont il commence la rédaction dix ans après. Probablement en raison du caractère de transcription d'un cours oral, les nombreuses références (citations, allusions, évocations) ne sont que très rarement jointes à leurs sources, aussi bien dans le texte de Plotin que dans celui de Lacan. Le style particulier des deux auteurs peut rendre la lecture difficile : dans La vie de Plotin, Porphyre évoque le style habituel de son maître, style qui peut donner l'impression d'être fautif. Concernant Lacan, le reproche d'un style hermétique a été souvent formulé. Lui-même motive à plusieurs reprises dans son enseignement la nécessité d'un tel style. Une autre caractéristique rapproche les deux œuvres, elles se fondent sur une pratique : avec Plotin, les exercices qui doivent conduire à la contemplation de l'Un, l'expérience extatique ; avec Lacan, la pratique psychanalytique.
Pour la psychanalyse, l'Inconscient est un savoir. Pour Plotin l'expression « là-bas » désigne le lieu d'un savoir qui ne s'acquiert pas par les raisonnements, un savoir qui échappe à toute compréhension, un savoir intemporel, un savoir qui ne se désagrège pas en souvenirs.

G.M. : Le livre est écrit suivant l'impératif d'un « retour aux Grecs ». Pourquoi ?

S.T. : Le retour aux Grecs signifie le retour à une pensée qui non seulement fonde la nôtre mais aussi une pensée qui tient en elle notre devenir. Cette pensée de l'origine, celle qui pose les grandes questions philosophiques, est la pensée grecque. À la manière des vestiges de l'architecture grecque qui gardent éternellement un aspect juvénile, la pensée grecque est une pensée éternellement originelle. Elle constitue une source inépuisable de réflexion et de découvertes sur l'être, notre être. Elle questionne sur l’essence même de l’être. Qu'est-ce que être? Qu'est-ce que être homme ? Qui sommes-nous, nous autres humains ? Je tiens comme axiome fondamental, cette remarque de Gilbert Romeyer Dherbey auteur de La parole archaïque (P.U.F. 1999), professeur émérite à la Sorbonne qui m'a fait l'honneur de diriger ma thèse de philosophie en 2007 : « si nous ne connaissons pas les langues anciennes, notre inconscient, lui, les connaît ». La parole grecque est dite archaïque « dans le sens où elle est parole de l'archè, du commencement fondateur qui, bien que parfois latent dans les ténèbres de l'oubli, ne cesse de nous parler et de penser en nous, même si nous n’y pensons pas » C’est en rompant les attaches avec la pensée grecque, c'est-à-dire avec sa langue, que notre monde entre dans son déclin. Dans le champ de la psychiatrie, je dis qu'une certaine défaite de cette discipline comme celle de la psychologie contemporaine est liée à cette même cause, d'avoir rompu les liens avec la pensée grecque. La lecture de Freud et celle de Lacan nous incitent à ce nécessaire retour aux Grecs.

G.M. : Quel lien entre la philosophie grecque et la réflexion psychiatrique ?

S.T. : Ma pratique psychiatrique et ma recherche sur la folie m'ont conduit à soutenir la thèse d'une extériorité de la pensée. L'expression « extériorité de la pensée » désigne un au-delà de la pensée, inaccessible à la pensée elle-même. La psychiatrie nous offre une véritable clinique de l'extériorité. Cette dernière peut se manifester par de nombreux symptômes en particulier dans le registre psychotique. Dans l’expérience de la folie — l'expérience psychotique — la pensée est véritablement perçue comme extérieure. Cette thèse de l’extériorité de la pensée trouve son fondement philosophique à partir d'une lecture critique de Descartes. La pensée pour les Grecs n'est en rien comparable à une « conscience » au sens de la psychologie moderne c'est-à-dire une intériorité dont les rapports avec le monde extérieur sont dépendants du Je. Si avec Descartes tout ce que nous pouvons connaître, nous le connaissons par le moyen de la pensée consciente, avec les Grecs la pensée n'est pas cette certitude à partir de laquelle les choses m'apparaissent dans un rapport de sujet pensant à objet pensé. L'homme grec fait corps avec le monde, il s'inscrit entièrement dans l'objectivité du monde. Sa subjectivité n'est pas fondée sur la dualité sujet/objet. L'intériorité de l'homme grec n'a de sens que dans son rapport à l'extérieur, elle n'est pas un repli sur soi mais une condition d'ouverture sur le monde.

G.M. : Est-ce que pour Plotin le langage tient une place aussi importante que dans la théorie lacanienne ?

S.T. : Pour Plotin la conscience est présentée comme un affaiblissement de la pensée. Pour expliquer cet affaiblissement de la pensée Plotin fait intervenir la fonction langagière qu'il décrit comme une fonction de réceptacle de la pensée. La réflexion n'est possible que par le rôle de « mise en images » de la pensée par le langage. Le langage introduit ainsi une division entre la pensée indicible et la perception de la pensée. Par cette division, le langage nous sépare de la pensée, nous laissant le champ de la conscience dans lequel notre âme peut se complaire.

G.M. : Quel est l'enjeu du rapprochement Plotin-Lacan ?

S.T. : On voit dans la philosophie de Plotin une division au cœur même de l'individu. Dès lors, l'individu n'est plus indivis, son moi divisé ne peut plus être· rattaché à une conscience. C’est précisément là que se situe l'enjeu ! C’est là que se joue un enjeu éthique. L'enjeu éthique auquel répond le concept de sujet chez Plotin, comme chez Lacan, consiste à rejeter toute accusation de déterminisme. Il serait injuste de dire que la théorie de l’inconscient implique une impossibilité de choisir sa propre destinée en prétextant que le savoir qui nous constitue ne nous est pas accessible. Il serait aussi injuste de dire que la philosophie plotinienne donne à l'individu un rôle passif en prétextant que le principe de l'antériorité de l'Un implique que tout dérive de lui et que chaque chose n'est que le produit de l'émanation. Dans les deux cas, ce serait faire fi du sujet. Pour la psychanalyse, le savoir constitutif de l'inconscient est un savoir hors de notre connaissance, inaccessible à notre conscience réflexive, il agit à notre insu, mais son acte appartient au sujet. Position éthique par excellence : le sujet est impliqué dans son destin. « De notre position de sujet, dit Lacan, nous sommes toujours responsables.


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