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TH n°114 L'HISTORIOGRAPHIE DE L'ÉGLISE DES PREMIERS SIÈCLES

TH n°114 L\'HISTORIOGRAPHIE DE L\'ÉGLISE DES PREMIERS SIÈCLES

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Date d'ajout : vendredi 08 janvier 2016

par Dominique C�T�

REVUE : LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN

Du 11 au 13 septembre 2000, Bernard Pouderon, de l'Université de Tours, Yves-Marie Duval et Michel Quesnel, de l'Institut catholique de Paris, ont dirigé les travaux du IIe colloque international d'Études Patristiques. L'ouvrage, dont nous faisons ici le compte rendu, rassemble les actes de ce colloque. Comme le note Michel Quesnel, dans la préface, les diverses études du recueil (36 au total) trouvent leur unité autour d'une discipline, « à savoir l'historiographie ; une époque, les débuts du premier millénaire ; un milieu, le monde chrétien antique, toutes origines et toutes tendances mêlées » (p. XIV).
La première partie regroupe des études sur la « mémoire des origines et l'historiographie ». De Luc à Eusèbe, les auteurs chrétiens des premiers siècles ont ordonné la mémoire des origines selon les catégories de l'historiographie grecque contemporaine. Voilà l'idée maîtresse que développent les textes de cette section. Les contributions de M. Quesnel et S.C. Mimouni se signalent par l'intérêt qu'elles portent à l'œuvre de Luc. Dans son étude intitulée « Luc, historien de Jésus et de Paul », M. QUESNEL fait valoir qu'il est juste, dans un sens, de dire que Luc a été le « premier historien chrétien » (p. 57), puisque son écriture a manifestement suivi le modèle de certains historiens grecs. C'est le cas pour les parallélismes qu'il établit entre les figures de Jésus et du Baptiste, entre celles de Jésus et de Paul, entre celles également de Pierre et de Paul, à la manière des Vies parallèles de Plutarque (p. 59). S.C. MIMOUNI (« Les représentations historiographiques du christianisme au 1er siècle »), pour sa part, bien qu'il défende la valeur historique des Actes des Apôtres, ne considère toutefois pas Luc comme un historien « au sens moderne du terme, mais plutôt un historiographe, voire un mémorialiste » (p. 85). Le caractère historien de Luc devrait se comprendre, propose-t-il, à la lumière du traité Comment il faut écrire l'histoire de Lucien de Samosate, rédigé entre 166 et 168 (p. 85 à 88). François PASCHOUD, de manière plus générale, aborde avec humour et originalité la question délicate de la fiction en historiographie, alors qu'Enrico NORELLI, « La mémoire des origines chrétiennes : Papias et Hégésippe chez Eusèbe », Gilles DORIVAL, « L'argument de la réussite historique du christianisme », et François BLANCHETIÈRE, « De l'importance de l'an 135 dans l'évolution respective de la synagogue et du christianisme », complètent cette partie du recueil.
La deuxième partie, avec des textes d'Éric Junod, Hervé Inglebert, Charles Kannengiesser, Günther Christian Hansen, Marie-Anne Vannier et Patrick Laurence, s'intéresse au fait que l'historiographie chrétienne, par l'attention qu'elle accorde aux phénomènes de l'hérésie et du monachisme, s'est trouvée à pratiquer une « histoire militante ». Hervé INGLEBERT, par exemple, estime que l'hérésiologie, bien que redevable dans sa structure à la « doxographie philosophique grecque », constitue une « manière historienne d'écrire l'histoire chrétienne » (p. III). Cette histoire militante, par l'utilisation du « critère hérésiologique comme moyen de définir une histoire universelle » (p. 124), serait, selon lui, la « première histoire chrétienne » (p. 123). Patrick LAURENCE, dans l'étude qu'il consacre à la Vie de sainte Mélanie, montre bien comment l'historiographie chrétienne, qui devient ici hagiographie, dépasse ses modèles grecs (roman et biographie) pour mieux subordonner les faits à une finalité, celle de la foi chrétienne (p. 171).
La troisième partie du recueil présente l'œuvre d'Eusèbe de Césarée et de ses continuateurs.
D. GONNET, « L'acte de citer dans l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe » et D. MENDELS, « The Sources of the Ecclesiastical History of Eusebius : The Case of Josephus », insistent sur l'originalité de l'entreprise d'Eusèbe. À la différence d'un Suétone ou d'un Polybe, Eusèbe ne se contente pas de produire un récit des événements, il innove résolument par l'utilisation systématique de documents (p. 181) qu'il recopie directement pour constituer la trame de son histoire. Selon D. Gonnet, Eusèbe inaugure, jusqu'à un certain point, « une manière contemporaine de pratiquer l'histoire » (p. 181). D. Mendels abonde dans le même sens et ajoute que la « technique » d'écriture d'Eusèbe s'apparente à celle d'un journaliste moderne (p. 195). L'historien de Césarée ne compose pas, en effet, sa séquence d'événements, comme l'ont fait Thucydide ou même Flavius Josèphe, en suivant uniquement un ordre chronologique. Eusèbe pratique une histoire « compartimentée », c'est-à-dire, qui s'attache à certains thèmes : les martyrs, les Juifs, les hérésies, qui constituent autant de « media channels », selon l'expression de D. Mendels (p. 196-197). L'Histoire ecclésiastique aurait été écrite pour faire la promotion du christianisme, à la manière d'un « efficient medium », ce qui fait dire à Mendels qu'Eusèbe pratique une « media historiography » (p. 195). L'article de Françoise THÉLAMON analyse les grands thèmes de l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe et le travail tout en continuité de son traducteur, Rufin d'Aquilée. Pier Franco BEATRICE décrit ensuite l'itinéraire de l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe en Occident: sa réception par Jérôme et Rufin, son utilisation par Augustin et son intégration à l'Histoire tripartite de Cassiodore. Georges TUGENE conclut cette section sur Eusèbe et ses continuateurs en attirant notre attention sur l'intéressante confusion qui existe dans l'Historia ecclesiastica gentis Anglorum de Bède le Vénérable, entre l'histoire nationale, celle des Angles, et l'histoire ecclésiastique, celle des martyrs et des évêques.
Les contributions de la quatrième partie portent sur les historiens ecclésiastiques grecs du Ve siècle. Michel FÉDOU prend l'exemple de la controverse origéniste du IVe siècle pour montrer comment l'historien Socrate, dans son jugement sévère sur Théophile d'Alexandrie et son parti pris pour la position origéniste (p. 274 et 277), interprète parfois les faits à la manière d'un théologien. Un théologien, note Fédou, dont la conception de l'histoire ecclésiastique se fonde sur un pessimisme radical : l'histoire de l'Église trouve sa matière dans cela même qui est source de division et violence (p. 276-277). Pierre MARAVAL éclaire d'ailleurs cette conception de l'histoire ecclésiastique d'un autre jour, avec un article qui met en évidence l'importance de la culture grecque chez Socrate. Selon cet auteur, Socrate n'aurait pas mérité le titre de scholasticos parce qu'il avait été juriste, mais parce qu'il était issu des écoles et qu'il avait pris part à la paideia (p. 281-282). Maraval relève ainsi dans l'œuvre de Socrate de nombreux signes d'une « appréciation positive» de la culture grecque (p. 282). Non seulement est-elle utile à l'argumentation contre les païens, mais la paideia sert aussi, chez Socrate, de critère pour juger la valeur d'un chrétien et de sa doctrine. Nestorius et Aèce se voient, par exemple, stigmatisés pour leur absence de culture ou leur culture mal assimilée (p. 282-283). Un seul texte dans cette section concerne l'Histoire ecclésiastique de Sozomène, celui de Guy SABBAH. L'auteur, par ailleurs éditeur des livres XXIX-XXXI d'Ammien Marcellin dans la Collection des Universités de France, souligne l'originalité de Sozomène dans son traitement de la politique religieuse des Valentiniens (p. 293). La thèse que défend Sozomène, au livre VI de son Histoire ecclésiastique, repose, suivant Sabbah, sur l'opposition entre la politique religieuse de Valentinien en Occident, et celle de son frère Valens en Orient (p. 295). Les trois contributions suivantes sont consacrées à Théodoret, évêque de Cyr. Jean BOUFFARTIGUE, dans le cadre d'un projet qui vise essentiellement à offrir au public une traduction française de l'Histoire ecclésiastique, pose le problème du texte de Théodoret et des documents qu'il y cite. Jean-Noël GUINOT évalue la place de l'histoire dans l'œuvre exégétique de Théodoret, par exemple dans son Commentaire sur Daniel et Annick MARTIN analyse la version que nous donne l'évêque de Cyr des origines de l'arianisme. Les études de Martin WALLRAFF et Luce PIERI examinent respectivement le traitement accordé par les historiens ecclésiastiques à des événements comme le conflit de Jean Chrysostome avec la cour et les travaux entrepris sur le Golgotha par Constantin et sa mère Hélène.
La cinquième partie porte sur le genre particulier de la chronique, tel que l'ont pratiqué des auteurs latins de la fin du IV_ siècle, par exemple Jérôme et Sulpice, et d'autres plus tardifs du VIe siècle, comme Marcellin. Yves-Marie DUVAL et Benoit JEANJEAN passent en revue l'œuvre de Jérôme pour bien établir le rôle qu'y joue l'histoire ecclésiastique. On sait que Jérôme a bel et bien eu l'intention d'écrire une histoire de l'Église, qui aurait notamment insisté sur la décadence de l'institution depuis la fin des persécutions (p. 381), mais qu'il s'est contenté, pour ainsi dire, de traduire la Chronique d'Eusèbe de Césarée et de composer sa propre Chronique des « événements marquants pour les années 326 à 378» (p. 409). Il faut dire que B. Jeanjean se penche plus précisément sur la « mutation de la matière historique» à travers l'œuvre hiéronymienne, alors que Yves-Marie Duval aborde la question de manière plus générale, Un texte, aux accents presque polémiques, de Stéphane RAITI sur les sources de la Chronique pour les années 357 à 364 complète l'étude du genre de la chronique chez Jérôme, du moins dans le cadre limité du recueil. Dominique BERTRAND nous propose ensuite une contribution des plus intéressantes sur l'originalité de Sulpice Sévère et de sa Chronique. Il y a en effet, remarque D. Bertrand, une originalité certaine à rédiger une chronique aussi peu eusébienne par sa minceur et son refus de l'interprétation allégorique des événements « selon les théophanies du Verbe préparant l'Incarnation » (p. 458). L'orientation que Sulpice donne à sa Chronique, où les références au Christ se limitent au strict minimum, est on ne peut plus « humanisante, moralisante et psychologisante », à la manière d'un Salluste, le modèle littéraire de Sulpice (p. 466). Le texte de Bertrand LANÇON, « La contribution à l'histoire de l'Église de la Chronique de Marcellin d'llIyricum » clôt cette section intitulée Chronique et Histoire.
Les auteurs de la sixième partie du recueil - nettement plus brève que les précédentes retracent les emplois parfois subtils de l'historiographie chez des auteurs qui ne manifestent, à prime abord, qu'une préoccupation secondaire de l'Histoire. Marie-Ange CALVET-SÉBASTI démontre habilement comment Grégoire de Nazianze, en écrivant sa propre histoire, procure tout de même des « documents de valeur » aux historiens (p. 496). Emmanuel SOLER, pour sa part, nous montre un Jean Chrysostome qui émaille ses homélies de références à l'histoire de l'Église d'Antioche au IVe siècle pour mieux établir l'autorité et la légitimité de l'Église chrétienne sur Antioche « face à ses ennemis de l'extérieur: les Grecs et les Juifs» (p. 509). Alain LE BOULLUEC, finalement, fait voir avec quel doigté l'empereur Justinien sait jouer de l'historiographie (recours aux archives, critique de l'authenticité) pour fonder ses conceptions théologiques et juridiques (p. 529).
La dernière section de l'ouvrage, qui ne fait que 26 pages, porte sur les traditions historiographiques de l'Église éthiopienne. Il n'y a évidemment pas dans la littérature éthiopienne l'équivalent d'un Eusèbe de Césarée qui permettrait à l'historien de saisir directement la conception que l'Église d'Éthiopie avait de ses origines. C'est pourquoi Jacques-Noël PÉRÉS cherche dans la liturgie, « par essence conservatrice » (p. 531), les traces d'une activité historienne, d'une « réécriture de l'histoire » (p. 538). C'est pourquoi aussi, Gianfrancesco LUSINI, « L'Église axoumite et ses traditions historiographiques », ne peut qu'émettre l'hypothèse que les auteurs de la littérature éthiopienne du Moyen Âge disposaient de sources plus anciennes (IVe-VIIe), et se contente d'un maigre butin composé, par exemple, d'un fragment de texte ajouté à un manuscrit du XVIIIe siècle (p. 556-557).
Soulignons, en conclusion, la qualité d'ensemble de l'ouvrage qui tient non seulement à l'intérêt que peuvent susciter les diverses études qu'il réunit mais aussi à la direction compétente qu'assurent ici Bemard Pouderon et Yves-Marie Duval.


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