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05. LE MODERNISME

05. LE MODERNISME

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Date d'ajout : mardi 21 mars 2017

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REVUE : REVUE THOMISTE, 1980, 4

La faculté de philosophie de l'Institut catholique de Paris consacre un recueil d'études au modernisme, présenté par celui qui fut longtemps son doyen, le P. Dominique Dubarle, O. P. Six contributions d'inégale étendue s'attachent soit à l'ensemble, sous un aspect déterminé, soit à tel auteur, en fait à Éd. Le Roy (J. Houssaye et S. Breton) et à M. Blondel (X. Tilliette et J. Greisch). Les vues d'ensemble sont de Pierre Colin : « Le kantisme dans la crise moderniste » (p. 9-81) et de D. Dubarle : « Modernisme et expérience religieuse » (p. 181-270). Le dessein n'est évidemment pas de présenter une synthèse. Les six auteurs ne parlent pas au nom d'une philosophie qui leur serait commune : si ce genre de philosophie a existé à l'Institut catholique, elle est éclatée et a fait place au pluralisme et à un libéralisme de bon ton. Mais ce n'est pas ce genre de convergence qu'il faut chercher. C'est déjà beaucoup que chacune des études soit de qualité et, si elle laisse plus à penser qu'elle ne se soucie de conclure, c'est que le projet n'était pas de rassembler des réponses, mais de regrouper des réflexions.
P. Colin a pris pour fil conducteur le « kantisme dans la crise moderniste » (p. 9-81). C'est un excellent point de vue. Il est évident que si le modernisme intéresse d'abord l'histoire religieuse et la théologie, il a mis en jeu des données et posé des problèmes essentiellement philosophiques. Aussi intéresse-t-il inévitablement au moins l'histoire de la philosophie. Après quelques réflexions sur la « préhistoire blondélienne » (l, p. 13-18), P. C. aborde de front - en philosophe - l'encyclique Pascendi (II, p. 19-30). Il sera conduit à examiner des questions doctrinales précises : celles de l'agnosticisme (III, p. 30-42), de l'immanence religieuse (IV, p. 42-54), histoire et foi (V, p. 55-63), le statut du dogme (VI, p. 63-81). Mais sur tout cela l'éclairage importe beaucoup et il vient des premières prises de position. L'A. montre que, si l'encyclique arrive à bâtir un « système moderniste », c'est par opposition à un « système doctrinal », de structure thomiste, ou dite telle. J'ajouterais volontiers qu'on ne se pose qu'en s'opposant et qu'en s'opposant on se durcit comme on provoque un durcissement adverse. Dès lors trop de forces vives, au lieu de se consacrer à l'exposé et à l'élucidation sereine, se dépensent - bien vainement, comme toujours - à dénicher les malentendus, à souligner les incompréhensions, à s'indigner des méconnaissances. Celles-ci ont été grandes de part et d'autre. Bien des défenseurs de l'encyclique, sinon de ses rédacteurs, ne connaissaient pas mieux Kant que leurs adversaires ne connaissaient saint Thomas. Je pense cependant que Sentroul, par exemple, était beaucoup mieux entré dans la pensée de Kant que Laberthonnière dans celle de saint Thomas. Quoi qu'il en soit, le kantisme indéniable d'une « philosophie religieuse » alors très présente était celui d'Auguste Sabatier, sur qui P. C. a raison d'insister. Cette « philosophie » a fourni des cibles à l'encyclique, dont les assertions apparaissent aujourd'hui finalement mieux appuyées qu'il n'a paru à l'époque dans le camp de ceux qu'elle atteignait, parce qu'elle faisait un système de ce qui n'était dès lors et comme tel professé par personne. Serait-il incongru, en ce temps d'intenses recherches sur le modernisme, de souhaiter que de bons chercheurs s'attachent à publier une édition critique, en même temps qu'historique, de l'encyclique Pascendi et que toute facilité leur en soit donnée ? Après soixante-douze ans, tous les acteurs sont morts ; événements et documents ne relèvent plus que de l'histoire, et il serait bien nécessaire que toute la lumière soit faite sur les préparations, les sources et les objectifs d'un texte majeur, dont les conséquences ont été si grandes pour plus d'un demi-siècle et qui, en ses assertions doctrinales, dont il importerait précisément d'évaluer la portée, ne saurait être périmé.
Entrer avec J. Houssaye et S. Breton dans la discussion des idées de Le Roy, avec X. Tilliette et J. Greisch de celles de Blondel, nous entraînerait trop loin. Nous nous en tiendrons, pour ce volume, à la seconde étude d'ensemble, d'ailleurs la plus considérable, celle de D. Dubarle : « Modernisme et expérience religieuse, Réflexions sur un cas de traitement théologique » (p. 181-270). Comprenons que c'est en philosophe et en se plaçant sur le terrain de l'épistémologie que l'A. va parler de problèmes auxquels sont de leur côté confrontés les théologiens, ceux de l'expérience religieuse. Connaissance de Dieu ? Expérience des « choses divines » ? Que de débats sur ces questions, aussi présentes aux préoccupations de nos jours qu'elles l'ont été au début du siècle. L'A., je le disais de l'ensemble, se préoccupe moins de conclure que de pousser sa réflexion et d'introduire des discernements. C'est le bénéfice - ou la rançon ? - d'une longue pratique de l'histoire de la philosophie, qu'elle introduit une distance entre la pensée qu'on expose et la pensée personnelle, qui s'oblige à la discrétion et bien souvent refuse de se livrer. C'est du moins l'occasion pour le P. Dubarle de rappeler longuement l'œuvre d'un thomiste dont on ne dit plus guère de bien mais dont le rôle fut loin d'être négligeable, le P. Ambroise Gardeil. Outre qu'il fut à la source de ce qui est devenu l'École du Saulchoir, dont on sait assez quel rôle elle a joué. [En un petit livre célèbre, parce qu'il avait en son temps attiré la foudre, le Père M.-D. Chenu l'avait justement fait ressortir : Une École de théologie, Le Saulchoir, Le Saulchoir, 1937.], A. Gardeil, dans ses écrits, s'est précisément attaché au statut épistémologique tant de ce qu'il appelle l'apologétique que de la théologie et enfin même de l'expérience mystique. Le P. Dubarle rappelle chacun de ces grands ouvrages : La Crédibilité et l'apologétique ; Le Donné révélé et la théologie ; La Structure de l'âme et l'expérience mystique. [La Crédibilité et l'apologétique a été publié en 1908 ; la deuxième édition, profondément transformée, est de 1912 ; Le Donné révélé et la théologie a paru en 1910 : le P. M.-D. Chenu en a donné une réédition en 1932, après la mort du P. Gardeil (1931) ; La Structure de l'âme et l'expérience mystique, 2 vol., a paru en 1927 ; le livre a été complété par une série d' « Examens de conscience » dans la Revue Thomiste, au cours des années suivantes.] Quoi qu'il en soit du jugement à porter sur eux, - et, sur un tel ensemble, il est forcément multiple et nuancé, - c'est rendre un hommage mérité à ce qui fut un immense effort. Peut-être eût-il convenu de souligner davantage le changement qui, sous l'influence de Sertillanges, a fait de la seconde édition de la Crédibilité un ouvrage fort différent de celui de la première édition : beaucoup plus attentive au sujet personnel, cette nouvelle rédaction conduisait l'auteur a rencontrer de plus près les problèmes de l'expérience ; il les approfondira plus tard. Je pense, pour ma part, que le plus périssable d'une œuvre d'ailleurs puissante, est ce qu'elle a voulu avoir de systématique : pour la théologie, d'avoir pris Melchior Cano pour un prophète - hélas! - et, pour la Structure de l'âme, de s'être lancé dans une aventureuse construction, à bien des égards contestable. Il n'en reste pas moins que le thomisme doit au P. Gardeil, avec un élan certain, quelques approfondissements décisifs.
Le P. Dubarle, de son côté, est visiblement trop sensible aux apories de la philosophie moderne et de la critique de la connaissance pour faire siennes les vues du P. Gardeil ; trop nuancé pour que son jugement soit facile à saisir; tout au plus soupçonnera-t-on, dans l'intervalle qui demeure entre les tâtonnements du problème critique et la ferveur de l'adhésion chrétienne, un brin de fidéisme. Mais on s'instruit beaucoup à la subtile démarche d'une intelligence si consciente de tous les obstacles et de tous les pièges. Je dirai pourtant un étonnement : cette enquête sur la notion d'expérience religieuse, y compris chez les thomistes, que le P. Gardeil représente d'ailleurs avantageusement, ne tient pas compte - ou n'ai-je pas su voir ? - de ce qui est à mes yeux le plus important et que le P. Gardeil est loin d'avoir méconnu, suivant en cela et explicitant Jean de Saint-Thomas, l'expérience amoureuse, en un sommet de la connaissance par connaturalité. Cette analyse, qu'il a faite et approfondie à propos du don de sagesse, d'une connaissance dont le moyen propre est l'amour et qui devient expérimentale, me paraît beaucoup plus solide que les analogies recherchées dans la connaissance de l'âme par elle-même. Il avait même fort bien noté depuis longtemps (par exemple dans le mémorable article « Dons du Saint-Esprit », Dictionnaire de théologie catholique) que cette connaissance par connaturalité, sous une forme plus commune, caractérise déjà la foi même - habitus infus de l'intelligence comme mue par la volonté aimante, - amorce en elle de ce que développeront les dons du Saint-Esprit. C'était déjà, bien avant le cas suprême de l'expérience mystique en ses formes pures, accueillir la possibilité et admettre l'existence en toute vie chrétienne vécue avec quelque ferveur, d'une « expérience religieuse » irréductible. Ne disons pas, au sens fort, « expérience de Dieu » ! mais déjà connaissance affective et vitale d'un commerce avec Dieu. Il y avait là, j'en suis convaincu, en deçà des précisions techniques propres au vocabulaire de l'École et qui ne sont indispensables que pour elle, en deçà aussi de tous les raffinements philosophiques sur la portée des concepts et sur le problème critique, de quoi rejoindre en toute « orthodoxie » bien des postulations de la « recherche moderniste ». L'enquête, d'ailleurs si instructive, du P. Dubarle s'est trop limitée, me semble-t-il, à une perspective strictement intellectuelle ; elle aurait gagné à considérer l'apport, dans l'expérience chrétienne, de la connaissance affective en son originalité.
Allons plus loin, mais en débordant encore davantage le cadre que s'était fixé le P. Dubarle et en poursuivant librement la réflexion sur le modernisme et la connaissance religieuse. Un principe bien connu d'Aristote est devenu chez saint Thomas un aphorisme de grande importance dans la morale des vertus : Qualis est unusquisque, talis finis videtur ei [Saint THOMAS, In Eth. Nic. III, lect. 13 (n° 516, éd. Marietti). A chacun la fin apparaît selon ce que sont ses dispositions affectives. Cela montre la nécessité de développer des habitus vertueux qui connaturalisent l'affection à la fin bonne et d'écarter les dispositions passionnelles changeantes ou plus encore les habitus mauvais, parce que la connaissance pratique en est pervertie. Tout l'immense domaine de la vie humaine morale est ainsi ouvert à un type original d'expérience affective, dont dépend la droiture du jugement prudentiel. De cette vie fait partie intégrante le domaine religieux, celui des rapports avec Dieu, de la prière, du culte et de l'adoration. Une véritable connaturalisation s'y développe aux biens qui font l'homme religieux ; ici aussi, cette « expérience » est source d'une connaissance instinctive, celle même qu'invoque saint Thomas quand, à propos de la chasteté, il oppose à la connaissance raisonnée du moraliste, la connaissance vécue, incomparablement plus sûre, même si elle n'est pas conceptuellement utilisable pour le discours, qu'a le chaste, celui qui vit chastement, qui en a l'instinct et, en ce sens, l'expérience obscure. Tout cela prend évidemment beaucoup plus de relief quand, au cœur de cette vie morale, l'imprégnant et la transfigurant, sera donnée la foi chrétienne et avec elle l'espérance et la charité. C'est de la nature divine (II Pet. l, 4) que cette grâce, reçue par et en Jésus-Christ, nous rend participants, c'est à elle qu'elle « connaturalise » le chrétien : nouvelle et incommensurable expérience, non moins obscure, mais qui donne un sens des choses divines. Ne disons pas encore au sens fort : « expérience de Dieu », mais oui de la vie avec Dieu et, en quelque sorte, des « mœurs divines ».
Cette connaissance affective serait-elle limitée au domaine seulement pratique ? Il est vrai que là se trouve son point de jaillissement, mais rien n'empêche de penser qu'elle puisse jouer un rôle beaucoup plus large, qui pourra être fort important, même au niveau le plus spéculatif de la pensée, non pas sans doute celui de la science comme telle, mais en tout cas certainement celui de la sagesse. Elle y sera comme l'humus d'une recherche qui ne tend à rien de moins que la contemplation, s'il est vrai que celle-ci est l'acte propre de la sagesse et que son regard ne peut exister que par et dans l'amour. Je parle, bien entendu, avant tout de la contemplation des saints et donc de la sagesse du Saint-Esprit, qui ne manque à aucun de ceux qui ont la charité, mais à laquelle si peu se préoccupent de procurer toutes les préparations que demanderait son épanouissement. Comment ne pas regretter que des disciples de saint Thomas n'aient pas alors compris ce qui se jouait et fait l'effort de rejoindre ce qui se cherchait et se disait certes autrement dans la philosophie de Blondel et de Laberthonnière ? Cette question nous conduit le plus directement possible au livre de Claude Tresmontant sur la Crise moderniste.


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