Editions BEAUCHESNE

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02. LE MYTHE ET LE SYMBOLE

02. LE MYTHE ET LE SYMBOLE

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Date d'ajout : mardi 18 juillet 2017

par FRANÇOIS-DOMINIQUE BOESFLUG

REVUE : REVUE THOMISTE 1, 1980

Animée par un groupe d'enseignants de la Faculté de philosophie de l'Institut catholique de Paris, la collection « Philosophie  » en est maintenant à son quatrième volume. Le second a été « consacré au mythe et au symbole comme ressources humaines d'une connaissance de Dieu et des choses divines » (p. 5).
Le sujet est immense. On nous avertit (p. 6) qu'il ne sera pas épuisé : cela allait sans dire. Comment est-il abordé, par qui, dans quelle perspective ? Les AA. sont rompus à l'analyse philosophique. Mais cela n'implique pas un traitement exclusivement philosophique. Car il est bien précisé que l'effort entrepris est de réfléchir à l'intérieur même de la tension existant entre le regard critique et l'acte de foi. Telle est du moins l'ambition déclarée dans la présentation. Cet objectif, tous les AA. ne l'atteindront pas. Certaines contributions relèveront en effet de l'histoire de la philosophie stricto sensu, et de ses problèmes spécifiques. D'autres, à l'inverse, excelleront à accomplir ce « trajet allant de la philosophie à la philosophie, mais passant, pour ainsi dire, au voisinage vivant, énergique, de l'acte croyant... » (p. 5) : on devinera aisément lesquels, à lire les résumés qui suivent.
J. Trouillard (Les fondements du mythe chez Proclos, p. 11-37) dégage le statut fait au mythe par Platon et les néo-platoniciens, ainsi que la raison d'être du foisonnement des symboles dans la manifestation de l'Un. Puisque l'origine universelle est au delà de toute connaissance, les symboles sont requis. Ils constituent un ensemble de signes qui, éveillés par la pratique théurgique, permet au fidèle purification, conversion et union à Dieu. Dans le système de Proclos, le mythe est donc beaucoup plus qu'un procédé d'exposition ou qu'un moyen de contemplation : il est, en mystique comme en métaphysique, voie unitive. Encore faut-il qu'il soit consciemment vécu comme tel, ce qui suppose l'essor de la raison. D'où la conclusion : « Raison et mythe existent l'un par l'autre. Ils ne peuvent ni s'exclure ni coïncider. La raison apporte la rigueur et la distance, le mythe la richesse et la communion. L'âme vit de leur jonction et de leur conflit » (p. 37).
C'est aussi la question des rapports de la raison et du mythe qui retient l'attention du P. Tilliette, en des pages pleines d'admiration pour l'auteur de la Philosophie de la mythologie (Schelling : la mythologie expliquée par elle-même, p. 39-53). Le titre indique qu'il s'agit de la fameuse règle de la tautégorie. L'A. montre qu'elle ne vaut que rétrospectivement, c'est-à-dire une fois qu'est achevé le procès mythologique tout au long duquel la conscience, envoûtée, ne saurait encore se souvenir du mythe comme de son objet propre (cf. p. 46 s.).
Le climat change lorsqu'on en vient à une œuvre philosophique comme celle de Kant, laquelle ne trahit pas la fascination d'un Schelling pour l'univers mythique, tant s'en faut. Du symbole non plus, il n'est pour ainsi dire pas question chez Kant. Mais est-ce bien sûr ? F. Marty (Symbole et discours théologique chez Kant, le travail d'une pensée, p. 55-92) nous livre les résultats d'une enquête minutieuse, menée à partir de l'hypothèse inverse : le symbole serait un lieu où travaille la pensée de Kant. Résultats non négligeables : il s'avère que la question du symbole fait partie de la doctrine du schématisme, et que la notion s'est petit à petit imposée au philosophe de Kœnigsberg dès lors qu'il s'est proposé de penser non point seulement le dieu du déisme, qui n'est qu'un vide de pensée (cf. p. 80), mais celui du théisme, Dieu vivant dont l'idée ne peut pas se permettre d'être vide. C'est ici que le symbole est indispensable et conquiert sa place dans le langage théologique : « Toute notre connaissance de Dieu n'est que symbolique » (p. 86). L'ordre de la pensée ne peut se passer du contact avec l'ordre de l'expérience, et celui-ci reconduit à la considération des religions historiques (cf. p. 87) parmi lesquelles le christianisme jouit d'un rang privilégié (cf. p. 90). Voilà un exposé fort bien mené, jetant un jour neuf sur un projet trop souvent éludé. Sauf erreur, une telle mise au point n'a pas son équivalent.
La présence de la réflexion kantienne est encore perceptible dans l'exposé de B.-D. Yon (Le symbole et la Croix, p. 125-153) : mais c'est sous le haut patronage de Hegel que ces pages sont situées, qui cherchent à analyser dans toute son ampleur autant que dans sa structure le processus symbolique qui sous-tend et adjoint les unes aux autres les figures et les chaînes symboliques par quoi se dévoile le sens de l'être. Le symbole apparaît comme moment gnoséologique, et le lieu de cristallisation d'une puissance à l'œuvre : témoin la dynamogenèse d'un symbole particulier, celui de l'arbre (cf. p. 142 ss), qui culmine dans le symbole de la Croix, figure de la conjonction parfaite entre les antagonistes (cf. p. 146 s.).
Les deux précédents articles ont en commun d'être difficiles d'accès pour des lecteurs qui ne sont pas familiers avec les pensées de Kant et de Hegel. Par contre, en voici deux autres nettement plus abordables par le commun des mortels. J. Greisch (Versions du mythe, p. 93-124) s'interroge en philosophe sur la nouvelle situation épistémologique qui est faite au mythe avec l'œuvre d'un Lévi-Strauss (cf. la finale de L'Homme nu) : la version philosophique du mythe y est délogée de ses droits et prétentions, et disqualifiée au profit d'une version exclusivement mythologique. Selon Lévi-Strauss, l'interprétation structurale d'un mythe est sa version absolue (cf. p. 107), et il est impossible de transposer le mythe dans un langage qui lui est extrinsèque (cf. p. 110). Au philosophe, voilà qui pose un cas de conscience. A cette « impossibilité », il opposera à juste titre non une revendication abstraite, mais le fait indéniable que la traduction ad extra du mythe a effectivement lieu, dans le poème, et surtout dans le phénomène de l'appropriation par lequel, faisant mien le mythe, je reconnais aussi lui appartenir depuis toujours (cf. p. 113). Mais cela implique l'inscription du mythe, son passage de l'oral à l'écrit et son insertion dans une tradition, dans une liturgie, dans une culture. Le travail de J.-R. Marello (Symbole et réalité, Réflexion sur une distinction ambiguë, p. 155-167) dénonce justement la trop hâtive assimilation entre symbole et culture. Avec beaucoup de clarté et de pénétration, il montre à propos du symbolisme dit naturel que toute interprétation naît d'une tension entre réalité et valeur, entre phénomène physique et sens et oscille perpétuellement entre deux bornes, le parti-pris naturaliste et le parti-pris idéaliste. Non qu'elle soit purement objectiviste et arbitraire : mais il semble que « l'herméneutique des symboles est postérieure à la façon dont le sujet se constitue devant soi-même sujet «  (p. 163). Une telle hypothèse n'est-elle pas encore foncièrement idéaliste ? Et quand l'A. déclare : « II est donc impossible de donner à l'activité symbolique un statut épistémologique reconnu de tous » (p. 162), faut-il tenir cette situation pour constitutive et définitive, ou pour provisoire ? Le pluralisme des interprétations, une fois exposé, demanderait à être pensé.
Pour finir, deux contributions de taille. Celle de S. Breton (Mythe et Imaginaire, 169-199) se compose de deux parties. Dans la première, l'A. tente une nouvelle approche de l'imagination reproductrice (ou figurative) en s'aidant des commentaires de saint Thomas au De sensu et sensato et au De memoria et reminiscentia d'Aristote. De toutes les applications qui en pourraient être tirées, seules sont retenues celles qui concernent le discours et le rite chrétiens : c'est à quoi s'applique la seconde partie. L'équilibre subtil des cinq sens, les pouvoirs respectifs de l'imagination et de la mémoire, font l'objet d'une double série de considérations denses, suggestives, parfois ardues, les premières résumant « les fortes doctrines » des anciens, les secondes montrant comment elles éclairent le donné chrétien. Pages qui incitent à la méditation et résistent au résumé ... Comment l'A. arrive-t-il à concilier entre elles certaines affirmations contrastées relevant pour les unes de l'ontothéologie, et pour les autres du réalisme ontologique de l'Incarnation, c'est la question qui demeure. Peut-on affirmer sans hésitation que la vue réalise au maximum la condition du spirituel (cf. p. 173), que le toucher est par excellence le sens du fondamental (cf. p. 172) sans acculer la révélation chrétienne à choisir entre le spirituel (lequel ?) et le fondamental (lequel encore ?) ? Est-il bien certain que l'ouïe y déloge le toucher de ses prérogatives (cf. p. 182), alors que la théologie sacramentaire abonde en métaphores tactiles (cf. p. 187) ? A trop souligner (pourquoi ?) la dimension d'absence, on rend irréalisable une « théologie de l'enracinement » (cf. p. 186). Que l'A. veuille accepter ces questions comme un hommage ...
Enfin la parole revient au P. Dubarle (Pratique du symbole et connaissance de Dieu, p. 201-248). D'une certaine manière, il répond aux questions que l'exposé précédent faisait naître : la symbolique religieuse ne vivrait ni ne fonctionnerait si, à côté de sa dimension sociale, n'existait pour elle une dimension proprement théologale. Son paradoxe pourrait se formuler ainsi : Dieu, personne ne l'a jamais vu, et pourtant nous en avons une connaissance par contact (cf. 205-206) : d'où l'entrée en scène de l'imagination et le recours à une pratique du symbolisme (cf. p. 208). Mais la prétention du symbole à être réellement médiateur, et à offrir un « substitut de perception » (p. 210), est-elle légitime ? Un essai de théorie de la symbolique théologale (cf. p. 209 ss) va se saisir de cette question. D'une manière générale, le symbole est médiateur en ce qu'il est à cheval entre l'ordre de la représentation et l'ordre ontologique : il ne donne pas seulement à connaître, il fait participer (cf. p. 214). D'où la notion d'ordre symbolique (cf. p. 215). En situation religieuse, maintenant, l'A. estime qu'il faut distinguer entre le symbole religieux et le symbole théologal qui représente, et lui seul, la prise de conscience d'un contact vivant avec la réalité divine (cf. p. 216) : référence bien réelle, qui donne au symbole théologal son statut « projectif » (p. 217) de visée qui, prolongée à l'infini, touche bel et bien son objet (cf. p. 221-222), en un « contact » dont on se demande si l'A. ne le ramène pas insensiblement (!) à une sorte de vue, ou d'anticipation de vision, faute, peut-être, de corriger sa notion de « divin » par une christologie adéquate (cf. v.g. p. 223). Toujours est-il que du symbole théologal, il reste à esquisser la grammaire et la dialectique (cf. p. 225 s.). Pour ce qui est de sa grammaire, et par différence d'avec la métaphore que permet l'image et de l'analogie qu'engage le concept, l'entité symbolique sera dite anaphorique (cf. p. 228), en ce sens que son mouvement et son énergie portent efficacement jusqu'à l'actualité du divin, et ce dans une relative conscience de ce transport (mais pourquoi ajouter, p. 227 : « nonobstant les densités affectives dont la symbolique peut bien se charger ? ». Quant à la dialectique, le symbole doit être reconnu d'une vérité contingente, liée à l'accès au monothéisme (cf. p. 231) et soumise à la rencontre imprévisible d'un double bon vouloir, celui de Dieu, d'abord, et celui de l'homme (cf. p. 233). En conséquence, l'anaphore symbolique n'aura de validité théologale que dans la mesure où elle remplira deux conditions : d'être d'institution divine quant à son origine, et d'être investie par la foi effective de l'homme quant à sa pratique (cf. p. 235). En un dernier paragraphe, l'A. examine les rapports entre le symbole théologal et le corps. Critiquant les vues de G. Durand de manière aussi discrète que radicale, il souligne « toute la liberté dont l'ordre symbolique peut disposer en vue de sa propre réalisation » (p. 240). « A la limite ... il ne reste plus [ ... ] que l'ordre pur de la conscience humaine à la globalité indéfinie de l'univers empirique. [ ... ] Par devant la conscience pure la globalité empirique de l'univers n'est plus que pur élément, matériau général d'un possible ordre symbolique » (p. 240). Ce rappel n'est certes pas un « truisme » (p. 241) au moment où abonde une littérature symbolisante qui entend généralement lier l'activité symbolique à des matériaux psychiques fort contraignants ... Mais l'A. ne s'en tient pas là. Il entend encore montrer que le corps peut être à bon droit appelé archisymbole en raison de cet autre objet de la vie mentale qu'est le corps propre, et, de manière singulière, que le Christ peut être désigné comme archi-symbole théologal (cf. p. 247) : en lui s'achève l'anaphore symbolique, dans la mesure où le corps est pour-la-vie.

De cette présentation à la fois trop brève en regard de la richesse du volume à recenser et trop longue pour la patience du lecteur, pourra surgir une question par laquelle on nous permettra de terminer. D'une très remarquable hauteur de vue, cette réflexion menée en commun conserve néanmoins une sorte de tache aveugle, ou presque (cf. p. 229). Ce n'est pas tant le style souvent rébarbatif que nous voulons incriminer : car la pensée rigoureuse, nous n'en disconvenons point, a ses exigences. Mais c'est l'incertitude où le lecteur est laissé au sujet des raisons qui ont conduit cette équipe de chercheurs, et avec eux, aujourd'hui, tant d'autres, à retenir comme actuelle et urgente la question du mythe et du symbole. Est-il injuste de dire que maints exposés éveillent l'impression d'une conversion certes convaincue mais tout de même un peu hâtive à ce genre de préoccupation pour lequel, à tout le moins, une pratique et une familiarité sont requises ? De philosophes de métier, on peut attendre, semble-t-il, qu'ils pensent en philosophes cette manière d'incitation qu'ils enregistrent (de quelle provenance ?) et qui les pousse vers tel ou tel sujet de réflexion (au bénéfice de qui ?). Nul doute qu'un vaste mouvement de retour au symbole se dessine : que signifie-t-il ? On aurait aimé un du double point de vue de l'évolution culturelle et de la situation ecclésiale, les AA. de ce recueil tentent de s'en expliquer un peu.


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