REVUE : ESPRIT & VIE, 23, juin 1996

La Faculté de Philosophie de l'Institut catholique de Paris continue de patronner la publication, à intervalles réguliers, chez Beauchesne, Collection « Philosophie », de volumes consacrés à des questions philosophiques d'actualité ou à tel ou tel type de pensée.
Dans ce n° 16 de la collection, elle propose un ensemble d'études portant sur la pensée de Paul Ricœur. Le volume répond à une attente. Car si P. Ricœur est bien connu, son œuvre par contre est souvent mal connue. On ne sait très exactement où la situer : est-ce une œuvre morale ? Est-ce une œuvre métaphysique ? Est-ce une œuvre critique ? Ce volume peut apporter une réponse, sous la forme d'une somme d'approche.
Le sous-titre « L'herméneutique à l'école de la phénoménologie » voudrait tout de même cerner le problème et ramener l'analyse à l'essentiel : la préoccupation herméneutique chère à Ricœur.
Le volume - à travers 17 - communications fait valoir les préoccupations majeures de l'auteur, au premier rang desquelles on peut donc situer l'herméneutique, c'est-à-dire l'art de l'interprétation : interprétation des textes, mais aussi des interprétations des développements rationnels, voire des situations. Les premières études font état des recherches de R. sur les interprétations que les consciences peuvent se donner les unes des autres. La pratique de l'éthique domaine privilégié sur lequel se porte l'attention de R. - exige une pratique de l'herméneutique, d'une herméneutique serrée, permettant de cerner les intentions (59), d'appréhender les altérités dans toute leur authenticité (73). Toutes les descriptions peuvent profiter de la pratique de l’herméneutique, qu'il s'agisse de littérature ou de science.
L'interrogation théologique peut aussi gagner, plus que toute autre peut-être, à se soumettre aux rigueurs de l’herméneutique. Les approches herméneutiques que fait Ricœur de la Foi chrétienne (protestante, en son cas) viennent enrichir l'appréhension du donné révélé (139). Dans le cadre de ce volume qui lui est consacré, Ricœur lui-même fournit une analyse personnelle, inédite, du discours religieux (159-179). On peut y cueillir cette jolie formule : « La Bible, un texte polyphonique » (170). On constate que l'application des règles de l’herméneutique à la pensée religieuse permet d'approcher du Mystère qu'elle détient… tout en le respectant.
Plus loin, les analyses portent - de façon plus technique - sur l'intérêt qu'il y a à appliquer les rigueurs de la méthode phénoménologique (d'inspiration husserlienne) à la pratique de l'herméneutique (184). Des études comparées de la pensée de Ricœur avec celle de Heidegger, puis de Levinas permettent d'enrichir l'analyse. Il apparaît que les apports de l'auteur se trouvent plus chargés d'humanité que ceux des partenaires auxquels on le compare, surtout en ce qui concerne l'éthique, et aussi l'esthétique.
La pensée de Ricœur ne s'enferme pas dans un système. Il reste qu'elle manifeste sa fécondité, en ce sens que sa pratique permet un enrichissement des approches que l'on peut faire des mondes de l’humain, de la vie morale, de la pratique du savoir.