Editions BEAUCHESNE

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TH n°128 LES POLÉMIQUES RELIGIEUSES DU Ier AU IVè SIÈCLE DE NOTRE ÈRE.

TH n°128 LES POLÉMIQUES RELIGIEUSES DU Ier AU IVè SIÈCLE DE NOTRE ÈRE.

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Date d'ajout : mardi 04 février 2020

par Xavier BATLLO

REVUE THOMISTE 119 (2019)

Les qualités scientifiques de Bernard Pouderon sont unanimement reconnues et c'est donc à juste titre qu'est dédié à l'ancien professeur de l'Université François-Rabelais de Tours un recueil de belle tenue, consa­cré aux polémiques religieuses du 1er au IVe siècle de notre ère. Cet ouvrage, qui s'inscrit dans une collection déjà riche des contributions du professeur émérite, est centré sur une période qui a été au cœur de ses recherches, ce qui explique sans doute le terminus ad quem choisi. La matière étudiée, assurément très vaste, est abordée sous quatre angles différents: après une première partie intitulée « Débats sur les ori­gines », les trois parties suivantes étudient respectivement les polémiques avec les juifs, les païens, puis entre chrétiens, distinction juifs, païens, chrétiens qu'il sera possible de retrouver un peu plus bas dans ce bulletin. Chacune de ces parties suit un ordre chronologique plutôt in­formel et la plupart des contributions restent relativement brèves; cela permet un aperçu à la fois concis et généralement fiable d'une question précise, même s'il peut apparaître, ici ou là, une certaine rapidité dans la rédaction, causée peut-être par les « délais brefs » impartis aux auteurs (cf. Préface, p. 14). Des résumés bilingues (français/anglais) des diffé­rents articles sont rassemblés en fin d'ouvrage (p. 437-450); malheureu­sement, il n'y a aucun index. Rendre compte dans le détail de ces mul­tiples études n'est guère possible dans le cadre de cette recension, mais une vision d'ensemble ainsi que quelques remarques mettront en lu­mière plusieurs aspects majeurs de ces polémiques religieuses tardo-an­tiques. Les premières pages permettent de suivre certains développe­ments de la communauté chrétienne primitive. Simon Claude Mimouni, « Le "conflit" entre Jean le Baptiste et Jésus de Nazareth et le "conflit" entre les johannites et les chrétiens » (p. 41-69), tente d'éclaircir les rap­ports entre Jésus et Jean-Baptiste, puis entre leurs disciples respectifs, entreprise délicate s'il en est du fait « des sources tout aussi partielles que partiales » (p. 41). Ces relations, iréniques au début, se durcissent probablement par la suite, car chaque groupe regarde son fondateur comme le Messie, et le message chrétien connaît une diffusion bien plus rapide que le mouvement baptiste. On reste toutefois quelque peu sur­pris, à la lecture de ces pages pourtant si érudites, de ne voir jamais mentionnée comme facteur décisif du développement du christia­nisme ... la résurrection du Christ, l'A. mettant plutôt en parallèle les communautés chrétiennes et johannites « après la mort de leurs maîtres respectifs » (p. 53), ce qui constitue une approche pour le moins réduc­trice. Madeleine Scopello, « La sagesse frelatée. Autour de καπηλευω (Kephalaia manichéens coptes de Berlin, p. 8, 14) » (p. 83-99), se penche sur un passage particulier des Kephalaia manichéens, où ressort la spécificité du message de Mani par rapport aux trois révélateurs qui l'ont précédé (Bouddha, Zoroastre et Jésus). Respectueux à leur égard, Mani se considère toutefois comme le révélateur ultime, dont l'enseignement a une portée plus universelle et, surtout, plus fiable, car il l'a consigné par écrit; ce n'est pas le cas de ses prédécesseurs, qui non seulement n'ont rien écrit, mais dont les disciples ont corrompu, frelaté (καπηλευειν), la doctrine, Mani reprenant manifestement ici le vocabulaire paulinien (cf. 2 Co 2, 17). On voit donc se dessiner la question cruciale de la légitimité, fondée selon Mani, sur ce que l'on pourrait appeler une fiabilité de tradition, mais qui peut prendre d'autres visages, comme il ressort de l'étude de Régis Burnet, « Pris en otages ! Les apôtres au milieu des controverses religieuses » (p. 101-111). L'A. examine cette difficile question de la légitimité dans les communautés chrétiennes et le rôle que jouèrent alors les figures apostoliques. Le témoignage apocryphe de l'Évangile de Marie retient ici particulièrement l'attention (p. 107-109) dans la mesure où l'on perçoit dans ce récit, à côté de la « Grande Église », un groupe cherchant à fonder son autorité plus sur une initiation particulière que sur le fait d'avoir été disciple du Christ; cela aurait été le cas de la femme de Magdala, qui aurait joui d'une vision du Christ. Un autre critère de légitimité, et donc de litige, est le texte de la Sainte Écriture, c'est-à-dire de la Septante (excepté la Peshitta pour l'Orient syriaque et avant la Vulgate de Jérôme pour l'Occident). Les Pères reprochent aux juifs d'en avoir modifié plusieurs passages dans un dessein antichrétien, mais la question inverse mérite d'être posée, ce que fait Gilles Dorival, « Christianiser le texte de la Septante. Un aspect peu connu de la polémique antijuive ? » (p. 133-151). Les copistes pouvaient de fait christianiser le texte de la LXX de trois manières différentes: introduire des textes chrétiens, donner aux versets de la LXX la forme qu'ils avaient dans le Nouveau Testament, introduire des mots d'origine chrétienne dans la LXX. L'étude de ces différents types de christianisation conduit toutefois au constat que la place de la polémique antijuive était, en fait, très limitée, la présence de versets christianisés s'expliquant surtout par le travail des copistes, qui ont en mémoire les textes du Nouveau Testament, qu'ils « introduisent machinalement » (p. 150). On notera néanmoins le cas du Ps 95, 10a : « Dites parmi les nations : "Le Seigneur a régné par le bois" », où l'addition par le bois, attestée dans un assez grand nombre de manuscrits, témoigne d'une christianisation largement répandue et visant à souligner la présence de Jésus dans l'Ancien Testament, un des nombreux points de controverse avec les juifs, comme le rappelle, à propos de Cyprien, Laetitia Ciccolini, « La polémique contre le judaïsme dans les œuvres attribuées à Cyprien de Carthage» (p. 189-200). Le livre II de l’Ad Quirinum traite effectivement de l'accomplissement en Jésus des prophéties de l'Ancien Testament et l'ensemble de ce traité a été reçu très tôt comme un ouvrage adversus judeos, auquel furent ajoutés plusieurs écrits de polémique contre le judaïsme, transmis sous le nom de Cyprien, spécialement l'Ad Vigilium. L. Ciccolini attire avec raison l'attention sur les testimonia scripturaires qui caractérisent l’Ad Quirinum et qui nourriront toute une littérature de controverse, mais elle ne souscrit pas à l'hypothèse d'une source antérieure à ce traité (p. 192). Plus fondamentalement, Cyprien considère que les chrétiens ont remplacé les juifs, qui ont perdu la faveur divine et dont la seule issue est la conversion, une opinion partagée par Justin de Rome, comme l'explique Bernard Meunier, « La polémique de Justin contre les juifs. Poursuite d'un dialogue » (p. 177-187). La vision de Justin sur les juifs se révèle bien différente de celle qu'il porte sur les païens, puisqu'il considère ceux-ci comme chrétiens s'ils vivent avec le Logos (même après la venue du Christ), tandis que les premiers « n'ont visiblement d'autre issue que de se convertir » (p. 186). La polémique touchait tout autant le monde païen, à l'exemple du Contre Celse d'Origène. Michel Fédou, « Quelle place de l'homme dans le monde ? La réponse d'Origène à Celse » (p. 245-257), résume avec sa clarté habituelle les arguments avancés par Celse, qui s'oppose à l'affirmation chrétienne « Dieu a tout fait pour l'homme ». Par-delà le détail de la discussion, il importe de noter la précision de la réponse d'Origène, fondée sur une approche anthropologique (supériorité de l'homme sur les êtres sans raison), théologique (homme créé à l'image de Dieu) et économique (chaque être humain voulu pour lui-même et objet de la Providence divine). Enfin, la dernière partie de ce volume touche les querelles théologiques et les controverses au sein du christianisme. Celles-ci ne sont pas toujours aisées à bien cerner, telle la querelle quartodécimane rapportée par Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique V, 23-25, dont le compte rendu peut dérouter le lecteur. Éric Junod, « La prétendue controverse sur la date de la fête de Pâques (fin IIe) : un récit déconcertant d'Eusèbe (Histoire ecclé­siastique V, 23-25) » (p. 361-376), reprend à nouveaux frais ces pages d'Eusèbe en s'appuyant spécialement sur les intitulés des trois chapitres consacrés à cette affaire. Sans voiler les multiples difficultés qui ponctuent ces pages, É. Junod souligne cependant ce qui lui semble être la pointe du récit d'Eusèbe : un accord général suite à une question (la date de Pâques), et non une controverse, qui n'est qu'une étape du déroulement des faits. Plus loin dans le temps s'achève une autre polémique, véritablement acharnée celle-ci, entre Eunome de Cyzique et les Cappadociens : Matthieu Cassin, « La Réfutation de la Profession de foi d'Eunome, ou comment clore une controverse ? » (p. 421-434), précise le cadre général - datation, genre littéraire, structure - de ce petit traité de Grégoire de Nysse, composé peu après juin-juillet 383, pour répondre à la Profession de foi d'Eunome présentée à Constantinople au « synode de tous les partis » de 383. Le lecteur tire grand profit de ces pages, précises et bien documentées, qui complètent et corrigent parfois des publications récentes, même si l'on aurait souhaité plus de détails sur l'aspect doctrinal. Cette œuvre de Grégoire de Nysse, qui pourrait clore presque symboliquement plus d'un demi-siècle de débats trinitaires, fait un peu le pendant des réflexions de Basile de Césarée, timides celles-ci, à l’aube des controverses christologiques. Benoît Gain, « Les débuts des controverses christologiques : les réticences de Basile de Césarée » (p. 377-393), rassemble et commente quelques-uns de ses textes majeurs. Basile, qui ne pouvait rester sourd aux propos d'Apollinaire de Laodicée, insiste sur la difficulté de cette question qui dépasse l'intelligence, tire les leçons des controverses trinitaires et demande « silence aux curiosités superflues dans l'Église de Dieu ». On notera cependant les réflexions plus profondes de la Lettre 261, qui annoncent le principe fondamental que précisera Grégoire de Nazianze dans sa Lettre à Clédonios (Lettre 101, § 32) : « Ce qui n'a pas été assumé n'a pas été guéri », et abordent la question des passions humaines du Christ : Basile écarte les défauts qui n'appartiennent pas nécessairement à la nature humaine, ceux incompatibles avec la sainteté parfaite (ceux d'origine vicieuse) et ne retient que ce qui se rapporte à la possibilité de souffrir et mourir (faim, soif, sommeil, tristesse, angoisse, etc.).
Au final, ce volume dédié à Bernard Pouderon offre une vision à la fois précise et variée de la situation ecclésiale du Ier au IVe siècle sous l'angle particulier de certaines polémiques religieuses On regrette que quelques études supplémentaires n'aient pas poussé la recherche au Ve siècle, ce qui aurait permis d'embrasser les grandes controverses christologiques. Par ailleurs, le monde syriaque reste malheureusement ignoré, alors que de belles figures auraient trouvé sans difficulté leur place dans ce recueil. Mais le lecteur retient surtout la richesse de l'ensemble, dont on souhaiterait mettre ici en évidence une sorte de fil conducteur implicite; car une polémique entraîne généralement le souci de se justifier et donc la recherche d'une légitimité, qui peut prendre différents visages : l'appel à l'autorité d'un maître fondateur (le Christ ou, pour certains, Jean-Baptiste), de ses successeurs (les figures apostoliques, avec toutes les manipulations qui peuvent en découler), de textes fondateurs (fiables ou non, comme le soulignait Mani ou la polémique sur le texte de la LXX) ou de la communauté ecclésiale représentée par les assemblées synodales (ce qui fut le cadre de la dernière controverse entre Eunome et Grégoire de Nysse), sans oublier bien sûr les prodromes d'une revendication à la primauté (ainsi Victor lors de la question quartodécimane). Cela n'est certes qu'un angle de lecture, mais qui manifeste déjà une posture vis-à-vis d'un autre de la société antique, auquel on s'oppose et qui peut être juif, païen ou chrétien, comme le suggère le plan de l'ouvrage.


1 R. Burnet estime que l'Évangile de Marie n'est pas un évangile gnostique (p. 107-108), mais il aborde le passage étudié ici dans son étude sur les douze apôtres et en souligne cette fois le caractère gnostique, puisque l'interlocuteur - 1.évi - est dit se poser en « gnostique véritable; cf. Régis BURNET, Les Douze apôtres, Histoire de la réception des figures apostoliques dans le christianisme ancien. « Judaïsme ancien et origines du christianisme. I » Turnhout, Brepols, 2014. p. 580.
2 Ce traité a été édité récemment par L. Ciccolini; cf. SANCTI CYPRIANI EPISCOPI, De habitu uirginum. Cura et studio Laetitia Ciccolini, suivi de Opera Pseudo-Cyprianea : De laude martyrii. Ad Vigilium episcopum de iudaica incredulitate. De rebaptismate, Cura et studio Laetitia Ciccolini et Paul Mattei, « Corpus Christianorum. Series Latina, III F », Turnhout, Brepols, 1016. On pourra consulter la recension positive du travail de L. Ciccolini paf Matthieu CASSIN. « Bulletin de patrologie », Revue des sciences philosophiques et théologiques 101 (2018), p. 299-375 [p. 302-305].
3 BASILE DE CÉSARÉE, Homilia in sanclam Christi generationem 6 (PC 31. col. 1473C).
4 Plusieurs controverses importantes ne sont pas abordées, comme celles autour du montanisme ou du donatisme.


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