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DESTINS DE FEMMES, DÉSIR D'ABSOLU. Essai sur Madame Bovary et Thérèse de Lisieux

DESTINS DE FEMMES, DÉSIR D\'ABSOLU. Essai sur Madame Bovary et Thérèse de Lisieux

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Date d'ajout : dimanche 21 février 2016

par Sr VALLEIX

REVUE : ESPRIT & VIE, 2, 1999

Deux femmes, contemporaines à une génération près ; l'une bien réelle, dotée d'un état-civil assignable ; l'autre fictive, mais à laquelle la force du désir donne chair et consistance. L'une comme l'autre marquées par leur commune appartenance à une vie provinciale terne et convenue, dans une Normandie rurale, où même bourgades et gros bourgs vivent d'une manière atténuée, comme recouverts en permanence de cette « brume » omniprésente, qui enveloppe d'ennui les êtres et les choses : Madame Bovary, l'héroïne du roman de Flaubert, et Thérèse de Lisieux. Deux « destins de femmes » qui, selon Micheline Hermine, se croisent et se rejoignent quand tout semblerait les opposer. Mais les schémas de l' « adultère » et de la « sainte » s'avèrent très vite réducteurs et, au cœur d'un siècle qui n'accorde guère à la femme la possibilité de déterminer librement son existence on la marie sans la consulter, elle est vouée aux travaux du ménage et à la maternité, ou bien elle abrite dans les cloîtres son dégoût du monde - ; au cœur d'un siècle qui tient les femmes hors de la vie publique et de tout rôle de décision dans la cité, ces deux femmes se lèvent qui, chacune à sa manière, contestent cette condamnation à une existence déterminée et étriquée. Et cette contestation vient de la force de leur désir, invincible en lui-même, qui ne sera terrassé que par le suicide ou la maladie.
De ce désir, M. H. décline tous les aspects : les déterminations de l'enfance, celles de l'éducation - généralement religieuse, rigide et étroite; celle des livres, associés à l'éducation, qui conditionnent l'imaginaire et lui fournissent une provision de rêves et d'illusions qu'il ne cessera de reprendre, de recréer, de réactiver; le monde auquel le désir se heurte, dans lequel il est voué à la frustration ; l'amour inlassablement recherché par ces deux « sœurs d'infortune » que rien ne parvient jamais À combler. Certes, Emma et Thérèse orientent différemment leur quête ; une sorte de frénésie quantitative s'empare d'une Emma qui s'étiole dans la médiocrité des mœurs de province ; elle multipliera les parures et les amants ; à l'opposé, Thérèse choisit le Carmel afin de ne pas y distraire son désir et de le polariser tout entier vers Dieu ; mais rune comme l'autre connaîtront la souffrance, la déréliction, l'angoisse jusqu'au désespoir. Ces deux femmes, marquées chacune par d'infranchissables déterminismes, secouent en quelque façon leur joug : celui de la respectabilité, celui de la tradition, celui même d'une image de Dieu austère voire terrifiante. Et bien des points communs les réunissent, qu'attestent leur langage comme leur imagerie familière.
M. H. donne, sur ces destins croisés, un essai particulièrement attachant. Les deux visages, jamais hâtivement assimilés, se font valoir mutuellement, chacune bénéficiant de la lumière parfois enténébrée, l'une et l'autre exprimant par l'oxymore l'extrême tension qui habite leur désir - de l'autre. Mais en s'appuyant toujours sur des textes qu'elle excelle à faire parler sans jamais les forcer ni les détourner, en usant d'une expression à la fois précise et suggestive, qui rend la lecture très agréable, M. H. donne à percevoir comme une fraternité profonde entre les deux figures. L'ouvrage n'est pas didactique ; M. H. ne s'attache pas à démontrer une thèse, et le parallèle qu'elle conduit n'est jamais détourné ni faussé par quelque présupposé auquel le lecteur devrait adhérer. Elle cherche plutôt à favoriser une rencontre, et elle y parvient en convoquant une vaste culture - qui a le mérite de ne jamais peser -, y compris par la référence à d'autres contemporains d'Emma et de Thérèse. Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, mais aussi Mallarmé et Proust, par leurs connivences avec elles, donnent de percevoir d'une façon affinée les multiples harmoniques du « désir d'absolu » qui les hante et les consume. Informée des approches psychologique et psychanalytique d'Emma et de Thérèse, M. H. les invoque avec une pertinence fine et circonspecte.
Du « Dieu » auquel s'attache parfois le désir d'Emma, du Dieu auquel se polarise tout entier celui de Thérèse, M. H. ne dit pas davantage que ce que les textes suggèrent, et n'a nulle définition à proposer - on lui en saura gré. Sans doute parce qu'elle aborde les deux figures qu'elle étudie avec cette lucidité bienveillante qui est incontestablement l'approche la plus féconde - quand « il s'agit d'examiner des semblables, des égaux, des frères, la sympathie est le fond de la méthode », affirmait Bachelard dans La psychanalyse du feu. « Sympathie » est bien le mot : on sent chez M. H. cette capacité, qu'elle partage à son lecteur, de « souffrir avec », d'éprouver de l'intérieur ce que Flaubert dépose en Emma, ce que Thérèse livre dans ses écrits. On irait volontiers jusqu'à lire sous sa plume une certaine tendresse à l'égard des deux femmes dont elle scrute le mystère tout en le protégeant. Documenté voire érudit, l'ouvrage est toujours accessible sans être réducteur, et sa lecture est un plaisir, parce que M. H. use constamment de finesse et de suggestion. On ne peut qu'être pris de respect - voire d'effroi - devant la puissance de ce « désir d'absolu » qui sans doute ne réforme pas spectaculairement le monde, qui apparemment le laisse à sa médiocrité. Féminin sans féminisme disgracieux, l'essai de M. H. peut aider à penser à frais nouveaux une sainteté liée davantage à la puissance de ce désir qu'à une impeccable - voire implacable - vertu, même si elle ne l'exclut pas. S'il y a de « la bêtise » à « vouloir conclure », comme l'affirmait Flaubert, le travail de M. H. en préservera ses lecteurs, en les incitant à poursuivre plus avant, en l'approfondissant, la rencontre qu'il inaugure.


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