REVUE : ARCHIVES DE PHILOSOPHIE, octobre 1997

Les philosophes ont coutume de pêcher avec filets à larges mailles ; ils ne goûtent guère le petit poisson, sauf rencontres électives rares. C'est au contraire, depuis le milieu de notre siècle, une occupation non négligeable des corporations historiennes que de se lancer dans des opérations visant, sinon à récolter tout, du moins à collecter des corpus étendus de biographies, jusqu'à des personnalités dont la trace documentaire est étroite, et la notoriété parfois en train de s'annuler. L'intérêt méthodologique de ces approches peut être perçu par la philosophie : à travers ces corpus, il s'agit en effet d'expérimenter comment on peut poser la question du rapport entre les individus, dans leur diversité, et les processus collectifs qui entrent dans la construction des personnalités, les apparentent entre elles par-delà leurs conflits, leurs ignorances réciproques. Une entreprise majeure est le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, conçu par Jean Maîtron en 1955, et dont 43 volumes sont parus depuis 1964 ; l'entreprise continue aujourd'hui, avec une équipe qui vient de proposer à ce sujet une réflexion qui mérite l'attention des philosophes, La part des militants…, sous la direction de Michel Dreyus (Éditions Ouvrières-Éditions de l'Atelier, 1996). Le Dictionnaire du monde religieux, dans un domaine plus classiquement étudié, présente un intérêt analogue. La série a commencé en 1985 par un volume sur les jésuites français. Parmi les autres volumes parus, certains sont centrés sur une région, Lyon et le Lyonnais par exemple. D'autres visent un groupe, ainsi le volume Les protestants.
Le volume qu'a préparé François Laplanche présente un corpus de notices sur des auteurs qui ont concouru au développement des sciences religieuses depuis la fin de la Révolution jusqu'aux lendemains de la Grande Guerre. Je note que cette date finale correspond à la naissance des Archives de Philosophie (1923-1924 ; l'un des auteurs au moins dont des travaux ont été publiés par la revue est présenté ici, Gaston Sortais, un jésuite historien du cartésianisme), et aussi à l'extension des éditions Beauchesne dans le domaine des sciences religieuses.
Le corpus retenu présente une large série de figures appartenant de façon en quelque sorte professionnelle à l'histoire de la philosophie; les notices permettront d'aller rapidement aux travaux à jour concernant ces auteurs. Plus importante sans doute est la mise en valeur de l'apport des sciences religieuses à une culture dont les philosophes ont pu profiter, sans en être, du moins en France et pour la période indiquée, des producteurs originaux, marchant dans la trace ouverte par Spinoza ou Leibniz. Féconds davantage sont les historiens des Églises, et aussi, plus originaux, les historiens d’autres traditions religieuses, qu'il s'agisse des grandes civilisations dont on découvre les langues et les littératures, ou qu'il s'agisse des coutumes traditionnelles de peuples moins prestigieux. À cela correspond évidemment une élaboration des interprétations philosophiques et théologiques du phénomène religieux, avec des tensions et conflits qui culminent, vers la fin de la période étudiée, avec la crise du modernisme catholique.
Un intérêt continu, assez étendu du point de vue des personnes faisant l’objet de notices, est porté au monde de la médecine (monde qui s'élargit alors vers l'anthropologie et la psychologie), la plupart des chercheurs. ici retenus ayant développé une position critique par rapport aux croyances religieuses. L'apport de ce milieu médical à la vie philosophique pourra donc être situé avec l'aide du présent instrument de travail.