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TH n°127 LE DERNIER THÉOLOGIEN ? Théophile Raynaud : Histoire d’une obsolescence

TH n°127 LE DERNIER THÉOLOGIEN ? Théophile Raynaud : Histoire d’une obsolescence

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Date d'ajout : jeudi 13 février 2020

par Patrick Goujon SJ

Archivum Historicum Societatis Iesu vol. lxxxviii, fasc. 176 (2019-II)

L’auteur, professeur d’histoire du christianisme à l’Université Catholique de Louvain, offre ici une histoire du catholicisme de l’époque moderne, mais aussi une histoire sociale et culturelle des savoirs1.Théologien prolixe, le jésuite Théophile Raynaud est traité ici comme une figure de la recomposition de la place et des évolutions du savoir théologique et de la fonction de la théologie universitaire au sein du catholicisme moderne. Le titre de l’ouvrage affiche la thèse : « histoire d’une obsolescence ». La théologie universitaire ne peut plus prétendre, malgré les tentatives de Raynaud, à se définir comme l’arbitre universel des savoirs. D’autres discours religieux publics sont apparus qui tentèrent à leur tour, au sein même de l’Église catholique, de construire un « appareil de certitude ».
En sept chapitres denses, nourris d’une grande érudition et d’une réflexion historiographique critique, l’auteur construit patiemment l’itinéraire de Raynaud sous différents aspects : dans la mémoire bibliographique, puis dans son parcours intellectuel et institutionnel. La trajectoire permet alors de s’arrêter sur les mutations des conceptions de l’obéissance en relation avec l’identité religieuse jésuite, chapitre qui conduit nécessairement à l’examen de la culture théologico-politique de la Compagnie de Jésus. Ce quatrième chapitre nous a paru essentiel. Il contribue à historiciser la notion d’obéissance si centrale dans l’identité jésuite sans se soumettre à une quelconque vision préétablie d’une continuité historique ou d’une commune inspiration qui ferait des heurts de personnes et des conflits institutionnels. En dialogue avec d’autres travaux récents, l’auteur ne se contente pas d’étudier les textes normatifs qui organisent la Compagnie mais relie aux inflexions que l’itinéraire de Raynaud, comparé à d’autres théologiens jésuites en bien des pages toujours précises, permet d’éclairer. Raynaud avait lui-même cherché, en théologien, à penser l’obéissance, et s’était opposé à l’apparition de conceptions politiques nouvelles, propres à l’avènement de la pensée politique moderne, dont l’invention de l’infaillibilité pontificale et sa transposition sur le rôle du supérieur religieux ne sont pas les moindres. C’est certainement ici que le point de vue d’un historien de la théologie, qui choisit non pas une histoire des doctrines, qu’il maîtrise à merveille cependant, mais qui inscrit délibérément sa réflexion dans une histoire sociale et culturelle des savoirs, est le plus convaincant. Le travail du théologien Raynaud ne peut se comprendre sans ses stratégies de publication, de défense institutionnelle, de réponse aux censures romaines, par où se dessine une véritable réflexion historique sur les conditions d’efficacité du travail théologique, que revendique Raynaud. On pressent d’ailleurs ici l’attachement de Jean-Pascal Gay à l’agency des savants, à une défense d’un magistère de la pensée critique. Les deux chapitres suivants (5-6), en élargissant le point de vue, montrent les situations auxquelles le théologien se confronte, les questions qu’il en tire pour exercer sa tâche de théologien. L’analyse des différentes conceptions des censures est décisive car elle est le symptôme des mutations de ce qui fait autorité au plan théologique à l’époque moderne. Le dernier chapitre dresse le bilan d’une obsolescence – celle de l’autorité de la théologie comme savoir universitaire qui ne suffit plus à fonder la certitude religieuse – qui révèle les « failles systémiques » du catholicisme moderne confronté, dans son intérieur même, aux formes nouvelles de l’autorité, à la politisation des relations ecclésiales, aux nouveaux rapports de genres, à la fragilisation des pratiques religieuses, et à l’affirmation du laïcat.
Le mérite de ce grand livre, qui exige une certaine familiarité avec l’historiographie contemporaine et ses débats, parfois abordés frontalement, est de fournir un cadre d’interrogations et de méthodes pour des travaux à venir et d’énoncer fortement des thèses qui débordent le seul cas de Raynaud. C’est sur ce point que d’autres études sont attendues : Raynaud est clairement une figure singulière, « non seulement valorisé par son ordre et un défenseur des traditions et des spécificités de ce dernier et, d’autre part, un jésuite perçu comme désobéissant ou malobéissant et pour partie critique d’un certain nombre de fonctionnements internes » (p. 147). Cela en fait-il un cas « d’autant plus signifiant » ? Quelques hypothèses théoriques mériteraient d’être discutées. On se contentera ici de les évoquer : d’une part, en particulier dans les deux premiers chapitres, l’hypothèse sociologique d’une construction des carrières, selon le cursus honorum, rend-elle définitivement raison des choix d’orientation de tels membres de la Compagnie dans l’enseignement (p. 98-100) ? L’orientation apostolique de la Compagnie mériterait de ne pas être ramenée à une pure idéologie, sans plus d’explication. On attendrait plutôt de ce type d’études qu’elle déconstruise effectivement ce qui s’appelle à l’intérieur de la Compagnie « apostolat » sans la réduire d’emblée à des « raisons sociales ». Les études en cours sur les Indipetae et les récits de vocation dans la Compagnie offrent un matériel critique et théorique qui, sans se résoudre à la reprise incantatoire des motifs apostoliques, ne résorbe pas ce qui ne cesse de s’exprimer en termes de désir, dont l’adjectif « spirituel » a été, comme l’avait montré Certeau, l’indice et que les théories de l’agency permettraient effectivement de comprendre. D’autre part, si les conclusions apportées par Jean-Pascal Gay emportent largement l’adhésion, on ne peut qu’espérer que l’histoire, les histoires, de la Compagnie de Jésus puisse aussi s’intéresser, avec la même acribie, à des figures qui ne fassent pas de la « désobéissance » le critère de ce qui est le plus significatif. On ne se réjouira jamais assez que le travail historien des dernières décennies ait fait surgir une histoire de l’obéissance négociée (avec les travaux de Alfieri et Ferlan, ou Catto, Pavone, Mostaccio), mais ne serait-il pas tout aussi nécessaire d’étudier, avec la même distance critique, les acteurs et les positions de ceux qui opérèrent ces mutations institutionnelles et intellectuelles, sans se tenir à ceux qui y résistèrent. Coton et Binet, en France, attendent encore leur historien. Ces travaux ne montreraient sans doute pas moins l’obsolescence, et les failles, du catholicisme de l’époque moderne, prélude à son exculturation contemporaine, dont les causes sont loin d’être exogènes. Ce ne sont là que des remarques pour poursuivre un fil d’interrogations dans le labeur universitaire, si nécessaire aussi à la pensée et à l’action d’un ordre apostolique.

1 Nous développons ici une recension plus brève qui nous a été confiée par The Journal of Ecclesiastical History.


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