ENSEMBLE, 4, 1980

Jusqu'à ces dernières années le catharisme n'était guère connu que d'une manière négative, comme hérésie médiévale inspiratrice de la réforme protestante ou expression de la civilisation occitane, victime de la barbarie des Français du nord - cf. Cahiers de Fanjeaux 14 Historiographie du catharisme, Toulouse Privat 1979. On le connaissait peu en lui-même. Mais la publication des documents cathares le Liber de duobus principiis, édité par le P. Dondaine en 1939 et le Rituel Cathare, édité par Ch. Touzelli 1977, permet de le mieux comprendre. L'lnterrogatio Iohannis vient heureusement compléter nos informations. On la connaît actuellement par trois trois manuscrits de Vienne (Autriche) XIIe s., de Dôle XVe s., de Paris XVIIe s. (ces derniers copiés vraisemblablement sur l'original des archives - perdues - de l'Inquisition de Carcassonne), et par le texte imprimé de J. Benoist dans son Histoire des Ait et des Vaudois ou Barbets, Paris 1691.
Comme son nom l'indique, l'Interrogatio se présente sous forme de questions posées par Jean à Jésus pendant la Cène et de réponses du Seigneur. Elle fut rédigée sans doute au XIIe s. en terre byzantine: ou dans la mouvance de Constantinople, peut-être en Bulgarie. Elle fut apportée en Italie vers 1190 par Nazaire, évêque cathare de Concorezzo dans le Milanais, pour affermir la foi de ses fidèles. D'Italie elle passa en France sous le nom de Secret des Cathares.
La doctrine bogomile qu'il expose succinctement consiste en un dualisme mitigé d'après lequel Dieu seul, Père invisible est créateur du Chaos. C'est le démiurge Sathanael, le premier et le plus beau des anges, qui l'organise comme intendant Père, mais intendant infidèle, comme celui de la parabole. Pour égaler le Père, il séduit le tiers des anges, enferme deux anges dans les corps d'Adam et Ève, il leur fait commettre le péché de la chair et règne sur la création. Il est bien le Prince de ce monde. Par pitié pour les hommes, le Père envoie sur terre un ange pur, Marie, qui porte: par conception auriculaire le Fils du Père ou le Christ, lequel sauve les hommes en leur apprenant la prière des anges fidèles, qu’il appelle sa chair et son sang : c'est le Pater, et en les baptisant dans le Saint-Esprit. Quand le nombre des justes sera égal au nombre des démons, le Christ reviendra pour le Grand Jugement qui séparera les réprouvés des élus.
Ces données fondamentales donnent du bogomilisme, et du catharisme qu'il inspire, une image composite. On y retrouve, en effet, des éléments gnostiques. (Notons à ce sujet que Satan ou Lucifer, abstraction faite de sa fonction de démiurge, apparaît dans la tradition patristique – et même dans la constitution dogmatique de Latran IV concernant les cathares précisément, - comme originellement bel et bon avant de devenir le diable, en punition de son orgueil). On y rencontre aussi des légendes, issues sans doute de milieux docètes, sur la conception auriculaire et l'irréalisme de l'Incarnation. Quant aux moyens de salut, ils se réduisent à deux: le Pater et le Baptême selon l'Esprit.
L'édition critique de l'Interrogatio, les savants commentaires qui l'accompagnent, l'abondance et la précision des références témoignent du sérieux de ce travail. Aussi convient-il de féliciter hautement Ed. Bozoky de l'avoir entrepris mené à bien.