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12. LOUIS VEUILLOT suivi de Témoignage d'Emile Poulat

12. LOUIS VEUILLOT suivi de Témoignage d\'Emile Poulat

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Date d'ajout : mercredi 23 décembre 2015

par B. LE ROUX

REVUE : UNA VOCE, juillet 1998

Pierre Pierrard, professeur honoraire d'histoire contemporaine à l'Institut catholique de Paris, n'est guère suspect de sympathie pour les catholiques conservateurs. Son tout récent Louis Veuillot, dans la collection Politiques et Chrétiens des éditions Beauchesne (276 p., 180 F), est pourtant écrit d'un ton serein, avec quelque admiration pour l'homme, sinon pour ses idées, et même pour le pèlerin de Solesmes, "à qui l'ample liturgie bénédictine faisait oublier les indigents cantiques du Père Lambillone".
Je ne crois pas que Veuillot soit "affublé de l'étiquette intransigeant par les tenants de l'intégrisme", comme il est dit dans sa préface. C'est plutôt le terme adopté par des universitaires, comme Philippe Boutry, qui veulent éviter l'étiquette ultramontain, jadis polémique, aujourd'hui mal comprise et source de confusion puisque les catholiques libéraux, comme l'orléaniste Montalembert ou le légitimiste Falloux, furent eux aussi ultramontains, c'est-à-dire partisans de Rome contre les velléités d'indépendance gallicane.
Né à Boynes-en-Gâtinais en 1813, mais Bourguignon par son père, fils du peuple (il rappelle à sa fille en 1876 : « N'oubliez pas, Madame la presque colonelle, qu'un de vos grands-pères était cabaretier et l'autre pâtissier… Quant à votre père, il a été petit clerc d'avoué : il n'y a rien de plus petite chose »), devenu journaliste, puis directeur du quotidien L'Univers religieux, il fut dans chaque bataille comme le héraut ou le porte-enseigne auprès du chef, a écrit Émile Olivier dès 1879 : « Auprès de M. de Montalembert et du P. Lacordaire pour la liberté de l'enseignement, auprès de Dom Guéranger pour la liturgie romaine et l'Immaculée Conception, auprès des jésuites et de Mgr Pie pour l'infaillibilité, auprès de Mgr Dupanloup pour le pouvoir temporel, auprès de Pie IX toujours, partout et pour tout. »
Belle récapitulation, qui mériterait d'être nuancée car Veuillot fut-il jamais « auprès de Mgr Dupanloup » ? Et ne se démarqua-t-il pas de Pie IX par sa pugnacité implacable au début et à la fin du pontificat ?… Même si ces « deux trapus joviaux », selon une jolie formule de Pierrard, restent à jamais associés.
Bon journaliste et mauvais romancier
Une promenade dans l'œuvre de Veuillot, c'est avant tout le plaisir d'un style superbe. Nous ne sommes pas déçus ici. Outre les morceaux d'anthologie déjà connus, le Pr Pierrard a péché de belles perles. Citons après lui, notamment sur le métier d'écrivain et celui de journaliste. Pour ce dernier « le talent, c’est la promptitude, le trait, avant tout la clarté […] Il s'occupe du fait chaud et vivant, il commente le document de la veille et du jour, il dit le mot de la charade politique avant qu’elle soit jouée, il allume le gaz où la nuit artificielle porte ses ombres. Le journal est immédiatement lu par des milliers d'amis et d'adversaires, il fortifie les uns, il embarrasse les autres et les contraint à se démasquer.
Et d' opposer « ces escadrons légers, ces soldats exercés aux combats de « broussaille» (la métaphore est souvent guerrière chez Veuillot), aux théologiens qui veulent parler de ce qui se passe dans la rue sans sortir de leurs bibliothèques : ils ouvrent leurs livres, il faudrait ouvrir la fenêtre » ; ou aux élus de l'Académie des Sciences morales et politiques : « Savants qui savent peu, écrivains qu'on ne lit pas, économistes, statisticiens et essayistes en tous genres, couvant l'esprit voltairien sous des chiffres et sous des fautes de français… »
Reste un genre dans lequel Veuillot s'est essayé et reconnaît avoir échoué, celui des romans pour bibliothèque paroissiale (« romans à lire… » comme disait l'abbé Bethléem) : « Le bon livre manque de morale. Certainement il combat le vice et il honore la vertu ; mais cette pauvre vertu se ravale dans des conditions si vulgaires, elle est si bête, elle fait tant de phrases, que tous ses malheurs sont justifiés » Et d'avouer à un correspondant : « Le véritable antidote des mauvais romans, ce ne sont pas les bons romans. Ceux qu'on appelle ainsi ne valent rien. Je le sais puisque j'en ai fait. Ils servent à donner le goût d’en lire de pires. »
L'homme qui crachait sur les tombes ?
Pierrard cite aussi les épitaphes vachardes. Berryer en 1859 : « Il était éloquent de voix, de geste, de figure, de passion. La doctrine, la conviction et l'amour lui manquaient. Il ne restera rien de M. Berryer. Ou plutôt rien ne reste, c'est déjà fini ». Le Père Gratry en 1872 (dans une lettre privée) : « C'était un bon homme au fond, mais surtout un benêt très vaniteux et très amoureux de sa mauvaise popularité. J'espère que Dieu a fait miséricorde à sa petite tête, où il y avait plus de fausse littérature que de théologie ». Thiers en 1877 : « M. Thiers est mort sans façon, avec une grande simplicité, en mangeant des haricots, comme il eût écrit un chapitre de son Histoire de la Révolution… Occupé, il l'a été plus que personne, mais de rien, rapetissant tout à sa taille. C'est de quoi remplir médiocrement un cercueil ». Dupanloup en 1878 : « Il ne fut qu'un de ces passants remarquables qui n'arrivent pas ».
Encore Pierrard laisse-t-il de côté les épitaphes littéraires. Nerval ? « On a dit qu'il avait abusé du spirituel. Hélas ! c'est de spiritueux qu'il fallait dire ». Béranger ? « Le crin-crin de l'aveugle de Bagnolet s'est tu, mais cette illustre baudruche plane encore sur la patrie de Corneille, de Racine et de Bossuet ».
Mais pour Baudelaire : « Il avait du talent ; ses pensées du fond de l'âme valaient mieux que celles qu'il a montrées ». Veuillot en effet savait flairer ce talent même chez ses adversaires , et il ne le dénie pas autant que dit Pierrard. Voltaire (car ce n'est pas rien qu'un "stylet luisant, aigu et trempé", même si ce n'est pas l'"arme des preux" et il prie ses contemporains de ne pas confondre avec About et Havin), ni à Renan, dont il a tout de suite détecté « le joli style, plein de couleurs à la mode, dont la plupart passeront, mais certaines sont solides ».
Tout cela. ne l'oublions pas, alors que Scribe et Béranger faisaient l'unanimité, que Renan (en 1859) et Baudelaire (en 1867) se vendaient à quelques centaines d’exemplaires.
Un siècle de rudes polémiques
Je pensais que le Pr Pierrard, qui préside l'Amitié judéo-chrétienne de France, creuserait davantage la question des rapports de Veuillot avec les juifs. Car ils furent autrement plus complexes que ceux de Drumont ou de Maurras, évoqués par lui à propos d'articles des années 1870-1875. Veuillot n'a pas donné dans l'antisémitisme de gauche de son ami de jeunesse Alphonse Toussenel; jamais non plus il n'aurait représenté l'archange saint Michel terrassant Moïse, comme Drumont le fit au grand scandale de Léon Bloy. Au contraire, lors de l'affaire Mortara (1858), dans une position difficile à soutenir, il en appelle des juifs talmudistes, qu'il prétend avoir comme adversaires, aux juifs mosaïstes.
Veuillot avait dialogué vive voce avec beaucoup de juifs, dès son séjour en Algérie en 1841, puis avec les convertis Ratisbonne, Drach, Lémann, avec le banquier Mirès dans les années cinquante, avec Albert Wolff en 1866. Ses propos pourraient évoquer, autant que ceux de Drumont, ceux de Bloy, - ou de Claudel, qui, comme lui, en voulait beaucoup à l'éditeur Michel Lévy d'avoir organisé une diffusion militante de la Vie de Jésus de Renan, avec édition simplifiée pour les classes populaires. Certes le directeur de L' Univers religieux menaçait volontiers de châtiments divins ses contradicteurs israélites, mais ceux-ci n'étaient pas en reste : « Le tsar Nicolas 1er a été terriblement frappé de la main de Dieu, comme tous les persécuteurs d'Israël », lui répondait (24 décembre 1858) le rédacteur en chef de L'Univers israélite.
En revanche, le Pr Pierrard a cherché du nouveau dans les archives de la famille de Louis Veuillot, notamment dans les lettres reçues de son vivant et après sa mort. Ce qui jette ici et là un éclairage sur l'influence étonnante exercée par les premiers livres de Veuillot, sous la monarchie de Juillet : trois clercs célèbres avouent devoir leur vocation à la lecture des Pélerinages de Suisse (Mgr Mermillod et Hyacinthe Loyson, futur schismatique) - ou de Pierre Saintive, un roman (Mgr de Cabrières) ! Il me revient que le cardinal Suenens, plus récemment, avouait avoir lu jeune homme les Œuvres complètes de Veuillot dans l'édition Lethielleux.
Les archives permettent aussi au Pr Pierrard d'esquisser un portrait d'Élise Veuillot (1825- 1911), la sœur-gouvernante-secrétaire. Elle était assurément d'un caractère et d'une intelligence remarquables, se liant à la comtesse de Ségur, lançant en France le denier de Saint-Pierre. A sa table, à Rome, en 1870, des Pères conciliaires un peu éméchés voulaient lui donner l'infaillibilité. Mais elle présente aussi une face sombre : il y avait de la cousine Bette chez cette célibataire.
Dans un long appendice Émile Poulat analyse les hommages posthumes à Veuillot et divers jugements plus récents avec, en prime, quelques découvertes : en 188l, un roman de Fogazzaro montre un saint prêtre libéral qui baptise Veuillot son moineau en cage, « parce que c'est un cicerone impertinent » ; en 1883, à la mort de Veuillot, son gendre, qui commande le régiment de ligne d'Autun, demande à l'évêque de sa garnison de venir présider les obsèques à Paris. Or c'est Mgr Perraud, oratorien libéral, disciple du Père Gratry, entré à l’Académie sur les traces de son maître, et que Veuillot a pas mal houspillé dix ans plus tôt ; il présidera les obsèques, mais le taira dans son Livre des 25 ans d'épiscopat qui mentionne, dit Poulat, « bien des faits du même ordre et de moindre importance ». Sic transit…

P.S. L'ouvrage comporte, outre une chronologie, une revue des sources et une bibliographie, un index très utile des noms propres. On y trouve Henri Wallon, l'ancêtre de notre chère Simone Wallon. Veuillot en effet le traita d'« écrivain propre » (c'est toujours ça), mais « ennuyeux et d'imagination sèche » ! Il ne lui pardonnait pas d'avoir fondé la IIIe République. Une seule erreur à signaler : le comte de La Tour est constamment prénommé Gaston, au lieu de Gustave (ce légitimiste, quelque temps maire de Tréguier, poussa Veuillot à approuver le coup d'État de 1851 et à soutenir Napoléon III).


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