REVUE : ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS, octobre 1999

Ce n'est qu'avec beaucoup de respect que l'on peut lire et travailler ce livre posthume de P.N. Ses amis se sont efforcés au mieux de publier l'œuvre inachevée et sa recherche en cours.
L'auteur confie que, la retraite venue, il a pu se « donner tout entier à celui de ses dossiers qui était à ses yeux le plus important » pour répondre à ce problème : « Que peut-on savoir d'historiquement vrai sur Jésus ? Rien ou quoi ? ». Cela donne ce beau livre, véritable épure de la méthode historique que P.N. mettait en œuvre pour l'analyse des documents anciens. Après avoir consacré sa vie à la littérature patristique et vécu dans la familiarité des copistes avec une attention constante à leurs méthodes pour traquer et déchiffrer compilations et interpolations, il a pu, mieux que d'autres sans doute, « quand il a pu revenir à ses amours premières, (mieux) comprendre le travail d'un Mc, d'un Mt, d'un Lc et, corrélativement, (mieux) discerner le contenu de cet Évangile primitif qui fut leur source commune » p. 243.
Sur la mise en œuvre de cette méthode historique, laissons-lui la parole ; il rappelle d'entrée, qu'elle « ne se contente pas de vraisemblance, mais cherche le vrai, dans toute la mesure où il peut être connu. Elle consiste à poser devant chaque document et chaque épisode ces deux questions préalables : 1° - L'auteur est-il bien informé ? C'est-à-dire quelles sont ses sources de renseignement et que valent-elles ? 2° - Est-il fidèle ? Reproduit-il exactement le contenu de son information, ou le déforme-t-il en fonction d'autres préoccupations ? » (p. X).
C'est à l'initiation et à la mise en œuvre de cette méthode sur les trois évangiles synoptiques en vue d'atteindre le fonds le plus ancien des évangiles que l'auteur convie des lecteurs non spécialistes pour leur apprendre et leur permettre de juger par eux-mêmes, « La droiture intellectuelle est une vertu difficile. Elle exige une constante vigilance sur soi et parfois beaucoup de courage » (préface p. XI).
Dans les quatre premières parties de l'ouvrage consacrées à la recherche, puis à l'examen de l'Évangile primitif, que P.N. a eu le temps de rédiger lui-même, le pas à pas pédagogique et patient de la méthode manifeste sa rigueur, sa simplicité et son efficacité.
Cela permet à l'A, de dégager le contenu d'un Évangile primitif et de mettre en évidence une collection de quinze Dits de Jésus qui donne accès à son enseignement. L'absence d'apparat critique concentre l'attention du lecteur sur la démarche, ses étapes et ses résultats. Cela donne une leçon magistrale de rigueur intellectuelle. Il suffit de lire les pages sobres consacrées aux béatitudes pour comprendre comment l'épuration du texte donne force et sens aux mots tels qu'ils sont écrits.
La cinquième partie « Jésus », qui n'existait qu'à l'état de fragments manuscrits, s'efforce de dégager ce que nous pouvons savoir d'historiquement vrai sur Jésus et sur sa doctrine. Dans ce texte fragmentaire et inachevé l'A. s'engage, prend position, dit ce qui le travaille au cœur dans celte recherche et l'affirmation et les sentiments prennent le pas sur la méthode, cela donne de beaux passages, au-delà des polémiques et des controverses, sur « le Règne de Dieu est à l'intérieur de vous », l'amour des autres et le pardon. Enfin vient ce qui est peut-être une confidence : « Cette défiance qui se transforme en rupture de fait avec l'institution religieuse, Jésus ne l'a pas cherchée lui-même, (…). Ces ruptures, on ne les cherche pas, elles se font toutes seules. Combien d'autres dans les temps chrétiens en feront l'expérience ! » (p. 239).
Un livre qui dit toute la valeur, la rigueur et l'honnêteté d'une méthode qui ne transige pas et la fidélité d'un homme à la recherche du vrai.