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L'ÉVANGILE RETROUVÉ. JÉSUS ET L'ÉVANGILE PRIMITIF

L\'ÉVANGILE RETROUVÉ. JÉSUS ET L\'ÉVANGILE PRIMITIF

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Date d'ajout : vendredi 22 janvier 2016

par Paul-Hubert POIRIER

REVUE : LAVAL THÉOLOGIQUE ET PHILOSOPHIQUE, 1, 2000

Pierre Nautin a consacré l'essentiel de sa carrière scientifique à l'étude de la littérature chrétienne ancienne et à l'histoire des dogmes. Titulaire d'une direction d'études à la section des sciences religieuses de l'École pratique des hautes études (Paris), on lui doit de remarquables travaux et éditions de textes, ainsi qu'une importante monographie sur Origène (paris, 1977), Ce livre sur 1' « Évangile primitif » est le dernier travail dans lequel se sera investi Pierre Nautin, quand, revenu à « ses premières amours », il entreprit « de mieux comprendre le travail d'un Mc, d'un Mt., d'un Lc et, corrélativement, de mieux discerner le contenu de cet Évangile primitif qui fut leur source commune » (p, 243). Ce travail a malheureusement été interrompu par le décès de son auteur, survenu le 16 février 1997. La dévotion et le labeur de son épouse, d'un ami et d'anciens auditeurs de P. Nautin ont permis que cette ultime recherche ne reste pas enfouie dans des cartons. L'ouvrage envisagé devait comporter six parties et de nombreuses annexes. Comme le rapporte Gilles Dorival dans son avant-propos, P. Nautin avait rédigé les quatre premières parties ainsi que quelques annexes, La cinquième partie et d'autres annexes n'existaient qu'à l'état de fragments. Quant à la sixième partie, seul le plan en avait été esquissé. Même sous cette forme, il en résulte un livre dont les habitués de l'écriture et de la méthode de P. Nautin reconnaîtront la densité et la vivacité, et qui méritait d'être publié.
L'objectif que s'était fixé P. Nautin au soir de sa vie n'était ni plus ni moins que de reconstituer d'une manière indépendante le noyau primitif des évangiles synoptiques, en d'autres termes la source commune à ces trois livrets évangéliques. Mais cette reconstitution n'était elle-même qu'une étape pour aborder une question plus fondamentale que Nautin formule ainsi : « Que peut-on savoir d'historiquement vrai sur Jésus ? Rien ou quoi ? » (p. x).
Quand on considère tout ce qui a été publié depuis le milieu du 19e siècle sur le problème synoptique et le renouveau d'intérêt que connait ces jours-ci la source Q, dont une édition critique est d'ailleurs sur le point de paraître, c'est avec des sentiments mélangés qu'on aborde un livre qui entend proposer une solution nouvelle. Mais pour un livre dû à quelqu'un qui avait le métier de P. Nautin, la curiosité l'emporte sur l'agacement. Quel est donc la solution de P. Nautin ? Son point de départ est l'Évangile de Luc, plus précisément ce qu'on appelle la « grande interpolation » (9,51- 18,14), à laquelle on ajoute une « première interpolation » (p. 31), couvrant 6,20-49, c'est-à-dire le sermon dans la plaine. Ces deux ensembles sont considérés comme des ajouts de Luc par rapport à Marc (cf. p. 4 et le tableau des p. 7-10), dont il faut déterminer la source, La reconstitution de celle-ci s'appuiera d'abord sur la grande interpolation, dont P. Nautin note la modération dans le recours au merveilleux pour tirer la conclusion suivante : « [Cette modération] prouve que Lc, dans son interpolation, s'est appuyé sur une source autre que Mc et certainement plus ancienne que ce dernier, car on sait que le merveilleux augmente avec le temps ; on peut même en inférer qu'elle remontait à une époque assez proche de la mort de Jésus, quand l'intrusion du merveilleux n'en était encore qu'à son début » (p, 7), Cette « source x » était connue aussi de Matthieu et de Marc. Dès lors, « étant donné son âge et le rôle de source commune » qu'elle a joué pour les évangiles les plus anciens, cette « source x » peut être qualifiée d'« Évangile primitif », « puisqu'[elle] le fut réellement pour les évangiles que nous avons en main » (p. 16).
Quelle allure avait cet Évangile primitif ? D'après la partie connue par la grande interpolation lucanienne, il consistait en une collection de Dits de Jésus, groupés approximativement selon un ordre logique. Avant même de procéder à l'analyse approfondie de l'Évangile primitif, Nautin le situe chronologiquement par rapport à ses épigones : 1) l'Évangile primitif (datant de 30-35), « une collection de Dits de Jésus » ; 2) Marc (70-80), « une histoire merveilleuse de Jésus » ; 3) Matthieu (80-90), « veut compléter Mc » ; 4) Luc (95-100), « sa préface, ses trois sources, sa préférence pour l'É[vangile] p[rimitif » (p. 27). Après avoir, dans une première partie, établi l'existence de l'Évangile primitif et en avoir délimité les deux blocs principaux, Nautin consacre la seconde partie du livre à la reconstitution du début de l'Évangile primitif, dont le prologue peut être restitué à partir de Mc 1,9 + Lc 3,1 + Mt 4,23-25 + Mt S,la + 5,2 + Lc 6,20b-23 (texte et traduction, p. 53). L'épilogue de l'Évangile primitif fait l'objet de la troisième partie du livre. Il racontait la fin de Jésus et regroupait les épisodes suivants : l'entrée et le séjour de Jésus à Jérusalem ; le complot des grands prêtres et la trahison de Judas ; le dernier repas ; la prière de Jésus ; son arrestation et la nuit dans la salle des gardes ; la séance du sanhédrin ; Jésus devant Pilate ; la crucifixion ; la mort de Jésus; la sépulture et le tombeau vide; l'apparition de Jésus à ses disciples. Pour plusieurs de ces épisodes, l'auteur de l'Évangile primitif ne disposait d'aucune information, « parce qu'il n'a pas pu y assister et qu'il lui était même impossible d'avoir des renseignements sur eux, autrement que par des propos transmis au cours du temps » (p, 148) ; ailleurs, « l'auteur présente une version des faits qui s'avère inexacte parce qu'elle contredit les historiens de l'époque et qu'elle défie toute vraisemblance » (ibid,). Dès lors, l'épilogue « obéit en réalité à des motivations plus pressantes que d'écrire une page d'histoire » (p. 149). De fait, il s'agissait, non « de raconter comment Jésus était mort », mais « de répondre à la question plus grave, que sa mort posait à l'auteur de l'É[vangile] p[rimitif] et à son entourage chrétien : "Si Jésus était le Messie, pourquoi donc est-il mort ?" » (p. 151).
Dans la quatrième partie de l'ouvrage, Nautin se livre à un minutieux examen de la partie centrale de l'Évangile primitif, donc de la collection des Dits de Jésus, La liste des Dits « sûrement contenus » dans la partie centrale de l'Évangile primitif est dressée aux p. 157-158, et elle correspond à Lc 6,20-49 + 9, 51-17, 37, ce qui équivaut aux deux blocs qui constituent l'essentiel de la double tradition Mt /1 Lc, en d'autres mots, la source Q14. Constatant qu'« il arrive plusieurs fois qu'un Dit de Jésus soit accompagné d'un autre Dit qui le corrige, l'atténue, le complète ou exprime sur le même sujet un autre point de vue inspiré par des préoccupations différentes », P. Nautin conclut « que l'auteur de l'É[vangile] p[rimitifl avait lui-même pour les Dits de Jésus une source écrite ou orale à laquelle il a puisé en lui apportant des compléments » (p, 159). Cette source représenterait les « Dits authentiques de Jésus » (p. 169). Au nombre de quinze (regroupés aux p. 188-189) et mettant en scène « un Jésus qui prêche et vit le Règne de Dieu sans rien revendiquer pour lui-même, il n'est pas celui qu'auraient inventé des disciples : il ne peut être que le vrai Jésus » (ibid,).
P. Nautin termine la quatrième partie du livre en dressant le bilan de ce qui a été établi et en présentant « l'Évangile primitif dans son ensemble » (p. 213-218). Le but de l'auteur de cet Évangile n'était pas d'écrire une Vie de Jésus, ni de faire œuvre d'historien, mais d'être un disciple et un propagandiste efficace. Rédigé en grec, son ouvrage devait porter comme titre le seul mot « Évangile » et avoir été composé en Galilée. Quant à l'auteur, il ne paraît pas avoir appartenu lui-même au groupe qui s'était mis à suivre Jésus partout où il allait, « car il aurait eu certainement en mémoire beaucoup plus de paroles du Maître » (p. 218), mais il a tout de même connu des personnes qui en avaient fait partie,
Pour pouvoir évaluer l'entreprise de Pierre Nautin et ses résultats, il faudrait refaire pour soi-même le parcours qui fut le sien. À défaut, nous nous contenterons de formuler trois observations, et tout d'abord, sur la méthode mise en œuvre. L'étude comparative des trois synoptiques repose bien sûr sur la méthode historico-critique. Cependant, la nature particulière des Évangiles, qui reprennent des matériaux véhiculés par la tradition orale ou par des sources écrites perdues, interdit de les traiter comme s'il s'agissait de trois manuscrits témoins d'une même œuvre. Or, P. Nautin procède, dans la reconstruction de son Évangile primitif, comme s'il s'agissait d'établir un texte critique à partir des témoins accessibles, comme si les rédacteurs des synoptiques avaient eu devant les yeux des modèles qu'ils avaient plus ou moins fidèlement recopiés. C'est ainsi qu'il parle de l'Évangile de Luc comme d'un « manuscrit » qui aurait été composé à partir de trois « modèles » (p. 24), qu'il se représente l'auteur de Matthieu copiant le prologue de l'Évangile primitif « directement sur son exemplaire de [celui-ci], tandis que Mc le donne par bribes à sa convenance » (p, 41), qu'il affirme qu'ailleurs la « fidélité [de Mt] au texte de l'É[vangile] p[rimitifl est plus douteuse que celle de Lc » parce que « le manuscrit qu'il regarde en priorité est celui de Mc » (p, 156), qu'il explique la « grande omission » de Luc (correspondant à Mc 6,45-8,26) par un simple saut du même au même (p. 255-257), dont il impute d'ailleurs la faute non à Luc lui-même mais au « modèle » de Marc qu'il utilisait. Une application aussi mécanique de principes autrement valables, combinée à un recours trop fréquent à la bonne vieille critique de vraisemblance, littéraire, psychologique ou historique, n'apparait guère appropriée à des productions à l'histoire littéraire aussi complexe que le sont les synoptiques,
La deuxième observation touche l'information de l'auteur. Dans la préface (p. XI), il prévient ses lecteurs que « l'appareil scientifique conventionnel a été laissé de côté » et qu'il ne sert à rien de donner une bibliographie, « puisqu'on peut la trouver ailleurs ». En outre, sa démarche serait « assez autonome pour n'avoir pas de dette réelle à l'égard de tel ou tel ». Il faut dire que, si l'ouvrage avait pu être achevé, il aurait comporté une « brève rétrospective sur l'histoire des recherches concernant les évangiles » pour rendre justice aux « pionniers ». Mais force est bien de juger le livre tel qu'il est livré au public et de constater qu'il a été rédigé dans un désert historiographique. Ce qui est particulièrement frustrant - pour ne pas dire inacceptable - quand on a à faire à un domaine aussi travaillé que les synoptiques, sur lesquels la recherche antérieure a tout de même abouti à quelques consensus. Dès lors, on ne sait plus si l'absence totale de référence à celle-ci doit être mise au compte d'une louable indépendance d'esprit ou d'une certaine naïveté.
L'isolement bibliographique dans lequel a travaillé P. Nautin - et c'est là ma troisième observation - est particulièrement frappant en ce qui concerne l'image de Jésus qu'il croit pouvoir dégager de l'Évangile primitif et dont il présente les linéaments dans la cinquième partie de l'ouvrage. Il met de l'avant un Jésus qui ne partage pas l'idée que « la Bible, c'était l'Alliance de Dieu avec son peuple », qui répudie « les règles de pureté nées d'un esprit pharisaïque, fort d'une bonne conscience de gens purs qui laissent croire qu'un rite, une formule, un geste peuvent purifier l'homme et pardonner les péchés », qui pense que « la Loi de Moïse a été utile, mais [qu']elle est dépassée », qui « dénonce aussi le fait que la fonction du Temple ait été dévoyée par les clercs et docteurs de la Loi (purification des prêtres pour "purifier" le Temple) et condamne le commerce des offrandes » (p. 239). Pour le moins, Nautin livre là un portrait qui prend à rebours tous les acquis de la recherche récente sur la judaïté de Jésus et qui n'est pas sans évoquer les poncifs de l'homilétique chrétienne traditionnelle,
Dans ce livre-testament, Pierre Nautin s'est attaqué à une question centrale de la recherche néotestamentaire et, sur plus d'un point, son apport est neuf. Mais dans l'ensemble, les conclusions paraissent souvent dépasser la valeur des prémisses. De ce point de vue, l'Évangile retrouvé de 1998 rappellera peut-être à certains lecteurs l'Hippolyte et Josippe de 1947, dans lequel le jeune Nautin avait mis le doigt sur une aporie qui n'a toujours pas trouvé de véritable solution. La boucle est pour ainsi dire bouclée.


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