Editions BEAUCHESNE

45.00 €

TH n°109 MONACHISME ET ÉGLISE. LE MONACHISME SYRIEN DU IVè AU VIIè SIÈCLE : UN MONACHISME CHARISMATIQUE

TH n°109 MONACHISME ET ÉGLISE. LE MONACHISME SYRIEN DU IVè AU VIIè SIÈCLE : UN MONACHISME CHARISMATIQUE

Ajouter au panier

Date d'ajout : lundi 09 novembre 2015

par P. Elie KHALIF�-HACHEM

REVUE : PAROLES DE L'ORIENT, 26, 2001

INTRODUCTION
Le monachisme syriaque, comme un mouvement autochtone né dans un contexte humain et culturel spécifique, ne cesse d'attirer l'attention des spécialistes du monde syriaque. Il existe, en effet, un lien original, organique entre ce monde et le monachisme qui, sous ses différentes formes et tendances, en est issu. Le monachisme syriaque a toujours été le principal moteur qui transmet sa force et son énergie au christianisme syriaque dans sa pluralité.
Le monde syriaque, en effet, a été toujours pluriel malgré son unité de base. Cette pluralité était due, d'une part, aux différentes invasions qui déferlaient continuellement sur lui soit de l'est soit de l'ouest et au caractère profondément itinérant de l'homme syriaque d'autre part. La dernière invasion, avant notre ère chrétienne, qui a conquis ce monde, était celle gréco-romaine qui a procédé, grâce à une implantation coloniale disséminée à travers une grande partie du territoire, d'y consolider son emprise militaire, économique et culturelle. Une partie cependant est restée dans l'empire perse située à l'est de l'Euphrate. Tout cela a laissé des empreintes ethniques et culturelles sur ce monde humain qu'on a convenu d'appeler « monde syriaque » à cause de la langue qui a charrié une littérature propre à ce monde depuis l'ère chrétienne. Mais l'insécurité sociale et l'incertitude du lendemain a profondément marqué ce monde qui ne croyait plus à une cité permanente sur cette terre.
Lorsque l'Évangile de Jésus-Christ a pénétré dans ce monde, il ne l'a pas uniformisé, mais il l'a informé dans sa pluralité en le marquant profondément par ses enseignements théoriques et pratiques. Il faut signaler cependant que l'Évangile est né dans la partie sud de ce monde, en Palestine, et qu'il y a été annoncé par des messagers appartenant à ce monde. Il est donc naturel que le christianisme de ce même monde soit distinct de celui né dans le monde gréco-romain, comme il est inexact méthodologiquement de le comprendre et de le juger à partir d'aprioris puisés, consciemment ou inconsciemment, dans le christianisme hellénistique ou ce qui est encore pire, de le comprendre et de le juger à partir des aprioris rationalistes des temps modernes. C'est là le défaut principal de l'orientalisme syriacisant qui, malgré les services inestimables qu'il a rendus au christianisme syriaque par la redécouverte de ses sources fondatrices, a cependant méconnu son véritable génie en lui appliquant une herméneutique inadéquate parce que basée sur des précompréhensions étrangères à sa nature. Aujourd'hui, heureusement, beaucoup d'orientalistes syriacisants se rendent compte de ce danger herméneutique et évitent de s'y exposer. Mais d'autres persistent à le faire et avec beaucoup de désinvolture au détriment du christianisme syriaque. C'est le cas d'un nouvel ouvrage publié en 1999 par Philippe Escolan sous le titre anodin de : « Monachisme et Église, le monachisme syrien du IVe au VIIe siècle : un monachisme charismatique », Beauchesne, Paris, 1999.
Je disais tout à l'heure qu'il y a un lien organique entre le christianisme syriaque et le monachisme qui en est issu. Ce lien est constitué par l'ascèse congénitale au christianisme syriaque. Malgré certaines généralisations trop exagérées en ce domaine comme l'affirmation du caractère ancratique de ce christianisme fondé sur certains documents issus de milieux périphériques et parvenus jusqu'à nous à l'exclusion d'autres et dont l'interprétation reste toujours douteuse, il ne reste pas moins clair que le christianisme syriaque primitif était profondément ascétique. Mais cette ascèse ne consistait pas principalement dans le renoncement au mariage ou dans certaines autres pratiques excessives, propres à certains groupes marginaux.
L'ascèse syriaque est tout simplement un radicalisme évangélique. Le christianisme syriaque était en mesure de comprendre la prédication évangélique mieux que tout autre milieu humain pour la simple raison que cette prédication a été faite dans un langage proche du sien et dans des concepts issus de son milieu culturel. C'est pourquoi il a pris au sérieux les exigences de la suite du Christ telles qu'elles étaient formulées par des prédicateurs de son milieu. Abandonner possession, patrie et famille pour suivre le Christ et construire le Royaume de Dieu à la place des royaumes terrestres, voilà ce à quoi pouvait facilement répondre un homme syriaque. Il n'est pas absolument nécessaire d'aller jusqu'en Perse, en Inde et en Chine pour trouver des courants ascétiques qui auraient pu être à l'origine de l'ascèse syriaque quoique des recherches de ce genre peuvent éclairer certains de ses aspects et approfondir notre connaissance à son égard. Mais partir d'un a priori selon lequel l'ascèse syriaque n'est pas évangélique, conduit forcément à s'engager dans une herméneutique qui pourrait amener sur des terrains très hypothétiques où il faudrait s'attarder sur des traits extravagants et excentriques de certains ascètes et les généraliser sur l'ensemble de l'ascèse syriaque.
La lecture des sources n'impose pas une telle herméneutique ; c'est le contraire qui apparaît chez les grands auteurs syriaques du IVe siècle comme Aphraat (+ 345), Éphrem (+ 373), le Livre des Degrés (fin IVe siècle), Jean d'Apamée (1e moitié du Ve siècle) etc… selon lesquels l'ascèse, sous toutes ses formes, est dans la logique de l'Évangile ; c'est pourquoi, selon ces auteurs, être chrétien c'est pratiquer une certaine ascèse pour pouvoir suivre le Christ. Pour s'en convaincre on n'a qu'à lire ces auteurs à la lumière des textes très abondants des liturgies syriaques. À ma connaissance, aucun historien de l'ascèse syriaque n'a abordé ce domaine si important de la littérature liturgique syriaque dans toutes ses ramifications et à travers toutes ses couches rédactionnelles depuis la haute antiquité jusqu'à des époques plus récentes. Cette littérature constitue une interprétation vivante de la foi des communautés syriaques dont l'objet est l'événement de Jésus-Christ et ses exigences ascétiques.
On lui préfère souvent la littérature hagiographique qui déborde de traits merveilleux et imaginaires et révèle souvent une piété populaire de bas niveau. Je ne nie pas l'importance de cette littérature qui peut nous renseigner sur certains aspects de l'ascèse et du monachisme syriaques, mais la lire pour elle-même, indépendamment des deux autres littératures, patristique et liturgique, risque de déformer l'ascèse et le monachisme syriaques et de n'en retenir que les petites histoires merveilleuses fruits de l'imagination des hagiographes qui sont souvent des auteurs, vu leurs qualités littéraires, théologiques et spirituels, non représentatifs de la tradition monastique syriaque, surtout lorsqu'ils ont écrit longtemps après la disparition de leurs héros.
Les mêmes réserves s'appliquent à la littérature canonique ecclésiastique et monastique qui ne peut, à elle seule, révéler le véritable monachisme syriaque. Celui-ci, en effet, étant un radicalisme évangélique, reste réfractaire à tout cadre canonique rigide. Mais les règles deviennent nécessaires pour ramener à l'ordre certains extrémismes aussi bien rigoristes que laxistes qui ne représentent pas l'âme de l'immense majorité des moines syriaques. C'est pourquoi il faut manier avec beaucoup de réserves ces textes canoniques, sauf si on ne veut voir le monachisme syriaque qu'à travers ses extrémismes…
Pour conclure ces remarques méthodologiques on peut dire que pour essayer de comprendre l'ascèse syriaque et le monachisme qui en est issu, il faut, tout d'abord, aborder cet ensemble de textes patristiques, liturgiques, hagiographiques et canoniques à partir de leurs a prioris évangéliques propres, et essayer, ensuite, de les confronter les uns aux autres pour en tirer des conclusions plus ou moins sûres qu'on peut, alors seulement, essayer de comprendre à la lumière des influences extérieures non chrétiennes ou hérétiques. Il faut dire, enfin, que le manque de sympathie pour ce monachisme empêche d'en comprendre la logique intérieure et amène à toutes sortes d'interprétations hasardeuses et étrangères à sa propre nature et à ses idéaux humains et évangéliques, comme c'est le cas de l'auteur dont nous allons parler.
L'OUVRAGE DE MONSIEUR PHILIPPE ESCOLAN
Après une lecture rapide de cet ouvrage on a l'impression de vivre dans une société monastique qui obéit à toutes sortes de lois sociales, économiques et politiques, à l'exception seulement de la loi évangélique sauf si, selon l'auteur, l'évangile de Jésus-Christ lui-même, annoncé et vécu dans les communautés chrétiennes syriaques, se réduisait tout simplement à cet ensemble de lois et à la série de conflits qu'elles engendrent. Cette première impression devient vérité évidente lorsqu'on relit l'introduction de l'ouvrage, qui n'est en fait qu'une conclusion, où l'on retrouve toutes les thèses soutenues à travers les différentes parties de l'ouvrage. Ces thèses se réduisent à trois principales :
1. Première thèse : Le monachisme syriaque, depuis ses origines, est un monachisme extrêmement violent, concurrentiel et dominateur. Je cite : « Les moines syriens se caractérisent tant par leur violence envers eux-mêmes que par la violence envers les autres… Il est donc pertinent de se demander si l'intervention des moines dans les affaires de la société chrétienne n'a pas un lien avec l'aspect extrêmement violent de l'ascèse elle-même… Le point de départ de ce travail provient d'une volonté de prendre en considération - sans la surestimer cependant - la réalité de l'excès ascétique » (p. 1). L'ouvrage démontre en long et en large cette thèse spécialement au chapitre IX sous le titre de : « Les moines dans les conflits ecclésiastiques » où l'auteur se plaît à relever le caractère belliqueux des moines en racontant certaines batailles intermonastiques et avec les autorités et en généralisant tout cela à l'ensemble du monachisme syriaque (pp. 347-387).
Nous avons là l'écho de la thèse soutenue par l'éminent orientaliste syriacisant Arthur Vööbus selon lequel les premiers ascètes et moines syriaques étaient des excentriques vivant comme des bêtes sauvages, haïssant toutes sortes de civilisation et avides d'auto-annihilation. C'est une ascèse contraire à tout esprit évangélique. C'est pourquoi il faut en trouver les origines en dehors de l'évangile (History of ascetism in the syrian orient, vol. I, pp. 150 ss et vol. II, pp. 22-40).
2. Deuxième thèse dérivée de la première : Le christianisme syriaque a été dominé, dès ses origines jusqu'à l'avènement de l'empereur Julien dit « l'apostat », par ces ascètes excentriques et violents qui prétendaient former la véritable Église tandis que les autres chrétiens n'étaient que leurs dépendants. Avec le changement du régime ecclésiastique vers la fin du IVe siècle, les moines se trouvant rejetés à la marge de la société chrétienne, cherchaient par tous les moyens violents et malhonnêtes de s'assurer de nouveau la domination de l'Église en prétendant être les seuls héritiers légitimes de l'Église syriaque primitive que le nouveau régime a dénaturée. Je cite : « Les structures ecclésiales qui apparaissent en la Syrie-Mésopotamie araméophone sont tout à fait caractéristiques. La hiérarchie cléricale est composée d'ascètes… À cette époque il n 'y a donc pas d'opposition entre moines et clercs, mais la ligne de partage se situe entre ce groupe « ecclésial » et ascétique et le reste des fidèles. L'Église présente ainsi une structure duale très marquée… Mais il faut le reconnaître, cette structure ecclésiale originale que formait la première Église syriaque disparut largement au profit du modèle épiscopal classique, celui de la chrétienté de l'empire romain tardif. La société cléricale fut donc dissociée du monde des ascètes… L'héritage du premier christianisme ascétique paraît donc fragmenté entre des héritiers aux intérêts divergents… La grande tentation pour les moines est d'usurper les fonctions dévolues aux clercs ou de les nier » (pp. 4-7). Cette thèse est aussi sous-jacente à l'ouvrage dans tous ses chapitres et constitue ainsi l'objectif principal que l'auteur cherche à démontrer.
Caractère violent des moines ascètes et lutte permanente de ces derniers pour conquérir le pouvoir dans l'Église, voilà les deux thèses principales de cet ouvrage fatiguant à lire à cause des parcours rapides et désinvoltes de certains documents choisis arbitrairement et dont il ne donne que des références allusives tirées hors de leurs contextes. On se sent souvent désarmé de le poursuivre et de le contrôler tellement il saute d'un document à l'autre sans tenir compte de l'espace temporelle et géographique qui les sépare. Il vole dans un avion supersonique dont vous ne percevez le bruit assourdissant qu'une fois déjà hors du champ de votre vision.
3. Troisième thèse : L'esprit mercantile du monachisme syriaque : La littérature hagiographique occupe une place privilégiée parmi ses sources parce que, selon lui, on y trouve « une prise au sérieux du discours que les moines tiennent sur eux-mêmes » et « elle est productrice de pouvoir et permet avant tout aux moines d'assurer leur autorité. En comprendre les mécanismes, c'est donc comprendre les fondements de l'autorité de la société monastique, car le monde monastique constitue, face au clergé et aux autorités civiles, une contre-société » (p. 2). Cette littérature hagiographique, dont les pièces choisies soigneusement par l'auteur ne sont soumises à aucune critique sérieuse, a le mérite de démontrer clairement un ascétisme ostentatoire et mercantile qui attire de la clientèle à laquelle des services sont proposés en échange de l'argent investi dans la consolidation du prestige des moines et de leur autorité : « les moines ont besoin des laïcs pour survivre et ils récompensent leurs fidèles dans l'au-delà en leur permettant d'espérer un éventuel salut dans l'au-delà mais surtout en leur faisant bénéficier ici-bas de leur protection spirituelle. Le miracle (dont regorgent certaines vies de saints) n'est que la conséquence de la relation d'échange entre moines et fidèles… La pratique de la thaumaturgie est donc indispensable pour que les moines puissent trouver les fidèles nécessaires à leur survie et ce d'autant plus qu'aucune structure fédératrice ne vient limiter la rude concurrence entre ascètes » (pp. 6-7). Tout cela est largement traité au chapitre V, pp. 183.225.
C'est la raison pour laquelle la préférence de l'auteur va à l'hagiographie parmi les autres sources littéraires concernant le monachisme syriaque et il l'avoue clairement : « Les vies des saints sont bien entendu un matériel à utiliser avec circonspection (c'est la seule réserve qu'il formule à propos de cette littérature !…), mais une fois cette remarque faite, elles fournissent un accès irremplaçable à la mentalité des moines syriens : elles expriment pleinement les valeurs monastiques ». Avec cette affirmation en bloc, nous atteignons le sommet de l'esprit critique avec lequel l'auteur mène ses recherches dans cet ouvrage.
Cet ouvrage, qui présente du monachisme syriaque une image systématiquement défigurée, en le rendant ridicule aux yeux du lecteur, manque de tout esprit critique et représente un orientalisme de mauvais goût que nous avons cru, nous orientaux, définitivement révolu.


Donnez votre avis Retour
RECHERCHER DANS LE CATALOGUE BEAUCHESNE

aide


DICTIONNAIRE DE SPIRITUALITÉ
ÉDITION RELIÉE
DS

LE COMPLÉMENT PAPIER INDISPENSABLE DE :

DS
ÉDITION EN LIGNE




EN PRÉPARATION
LA RÉVOLUTION DE L’ÉCRIT. EFFETS ESTHÉTIQUES ET CULTURELS

FOLIES ET RIEN QUE FOLIES

Fascicule I
dans la même collection
Fascicule II Fascicule III Fascicule IVa Fascicule IVb

PENSÉE SYMPHONIQUE

LE POUVOIR AU FÉMININ

JEAN BAUDOIN (CA. 1584-1650) Le moraliste et l’expression emblématique

Écrits sur la religion


L'Education Musicale


SYNTHÈSE DOGMATIQUE

Partager et Faire savoir
Partager sur Facebook Partager sur Twitter Partager sur Google Buzz Partager sur Digg