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TH n°109 MONACHISME ET ÉGLISE. LE MONACHISME SYRIEN DU IVè AU VIIè SIÈCLE : UN MONACHISME CHARISMATIQUE

TH n°109 MONACHISME ET ÉGLISE. LE MONACHISME SYRIEN DU IVè AU VIIè SIÈCLE : UN MONACHISME CHARISMATIQUE

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Date d'ajout : lundi 09 novembre 2015

par Pierre JAY

REVUE : ESPRIT ET VIE février, 2000

L'auteur, professeur à l'Université de Marne-la-Vallée, consacre un livre de spécialiste à l'Église syrienne. Cet intérêt pour un secteur peu connu en Occident est déjà en soi une nouveauté. Autre nouveauté : ce travail aborde les relations entre le monachisme et l'Église. Le tout, bien entendu, appartient au passé mais on le pressent : ce passé présente, comme il arrive, des ressemblances avec le présent. Étude particulière, ce livre n'en projette donc pas moins des lumières universelles.
Un matériel considérable est offert aux lecteurs.
De nombreuses questions surgissent. Les spécialistes ne manqueront pas de les poser à l'auteur. Contentons-nous ici de montrer quelques points qui peuvent éclairer des situations actuelles.
Il s'agit donc du rôle du monachisme dans l'Église de Syrie du IVe au VIIe siècle donc pendant la période ouvetre par le concile de Nicée en 325.
Dans cette peinture est soulignée la place de la violence. Les moines, tant envers eux-mêmes qu'envers les autres, sont des violents au sens le plus banal du terme. Pour l'auteur, et il le redit à plusieurs reprises, ce sont les moines qui sont à l'origine des troubles, des conflits ecclésiastiques. Il n'est pas question de gommer ces excès (p. 1). Une ascèse ostentatoire, la prétention des moines à exercer un magistère, perturbe donc le bon fonctionnement de la société post-nicéenne (p. 2).
L'existence monastique est comprise par les moines comme une protestation contre l'Église qui existe dans le monde gui les entoure. Cela vaut sans doute pour plusieurs Églises. Pour l'auteur, l'Église officielle en Syrie s'est effondrée au Ve siècle laissant aux moines la liberté d'action la plus large.
Au IVe siècle la hiérarchie cléricale était bien composée d'ascètes mais le terme monachisme est inadapté pour parler de cette hiérarchie car à cette époque il n'y a pas d'opposition ! La ligne de partage existe, non entre la hiérarchie et le monachisme, mais entre ce clergé et le peuple. Dans la suite, la société cléricale a été dissociée du monde de l'ascétisme. L'auteur revient sur celte idée à plusieurs reprises.
Ce monachisme que l'auteur appelle « charismatique » est donc considéré comme une occasion de ruine pour l'Église.
Pour P. E., l'hérésie est entièrement « ascétique ». Au reste, pour lui, l'hérésie par excellence c'est le Messalianisme qui rejette toute Église établie [Pour l'auteur donc, le Messalianisme, hérésie novatrice conteste l'Église établie au nom de valeurs nouvelles du monachisme, et tend à se libérer de toute tutelle ecclésiale.]. On ne saurait trop recommander de lire attentivement le chapitre III consacré au Messalianisme. On sait peut-être que ces temps derniers tel auteur a entrepris de justifier les Messaliens. Il est évident que telle n'est pas la position de P. E.
Selon les Messaliens le salut ne vient que de l' expérience mystique immédiate qui s'obtient par la pratique de l'ascèse monastique. Ce genre de mouvement spirituel tend finalement à établir deux classes de chrétiens : les moines et les simples fidèles. Ces derniers ne sauraient espérer obtenir le salut auquel les seuls moines peuvent prétendre (p. 6).
L'apostolat des moines aurait donc consisté essentiellement non à christianiser le peuple mais finalement à recruter pour le monachisme. Il y a là quelque chose de très important : une Église, un groupe qui ne vise qu'à se recruter, ne sont-ils pas menacés de devenir des sectes ?
Oui, mais cela ne fait pas oublier l'immense œuvre d'évangélisation réalisée par les moines. Un chapitre du livre en fait foi qui est consacré à la mission et à la prédication (ch.VI), Ne pourrait-on alors, dans cette perspective, parler de tentations pour certains groupes et distinguer ces groupes du monachisme en général ? Cette lecture serait d'un grand intérêt. Peut-être aiderait-elle à discerner une manière chrétienne d'être moine : manière qui est au confluent de sources et de tendances diverses, dont quelques-unes païennes contre lesquelles il y a toujours eu lieu de réagir ? L'auteur signale quelque part qu'il y a dans tel ou tel groupe une vénération de Mani, prophète d'un dualisme qui n'a que peu à voir avec la foi chrétienne. Il faut toujours tenir compte de ce paganisme sous-jacent.
On se doit donc qu'être très attentif aux caractéristiques relevées par l'auteur. Il y a d'abord l'importance accordée au résultat : la pratique de la thaumaturgie (p. 7). Le goût du miracle (notamment de guérison) est en effet un des signes caractéristiques de groupes qui pensent que la foi chrétienne ne peut se vivre dans l'ordinaire d'une vie humaine. On comprend leur souci de fidélité au Christ et leur désir de rupture. Il faut seulement se demander en quoi consiste « l'extraordinaire chrétien »… Cette accentuation s'accompagne bien sûr d'un littéralisme biblique qui finalement risque d'être une lecture non-chrétienne des textes. Saint Jean Chrysostome mentionne qu'on ne cesse de lui demander d'expliquer la disparition des charismes spectaculaires des origines du christianisme (p. 62).
Autre signe : un pessimisme sur le monde et sur l'Église : on damne beaucoup dans ces groupes et on annonce la fin des temps comme prochaine. Ceux qui ne seront pas trouvés appartenant à la vie religieuse sont en grand danger d'être perdus (pp. 23, 28).
Ce travail, on s'en doute, pose de multiples questions. On doit remercier P. E. d'aider le lecteur à se les poser. Sa visée scientifique n'est pas directement d'apporter des réponses à ces questions. Parlant du passé, il éclaire le présent.
Car les Églises ou groupements religieux d'aujourd'hui se posent des questions qui ne sont pas si éloignées de celles de la Syrie du IVe siècle.
Il y a d'abord des questions à propos des conceptions de l'Église. On les résume assez généralement par deux expressions : Églises multitudinistes, Églises confessantes.
Opter pour une Église « confessante » c'est affirmer que l'engagement et la vie des membres de cette Église repose sur un choix personnel, conscient, toujours maintenu au niveau du commencement. Les vrais chrétiens sont les seuls convertis actuellement engagés. C'est dire qu'il s'agit d'un groupe restreint, fidèle, opposé à la masse dont il se sent séparé. Dans certaines Églises de ce type, un des principes de base est que tous les non-membres ne peuvent être que des païens, voire promis à la damnation. Certains membres ont même l'air péniblement surpris de voir que la réalité ne correspond pas à ce jugement sommaire. Une Église multitudiniste admet que le nombre de ses membres n'est pas le même que celui des pratiquants réguliers. Sans se résigner à la médiocrité, une telle Église se sait mêlée et s'en remet à Dieu pour le discernement entre l'ivraie et le bon grain.
Dans le concret on peut dire, par exemple, que les Églises protestantes historiques (Réformée, Luthérienne, Catholique romaine, etc.) sont des Églises multitudinistes et que les Églises Évangéliques sont des Églises confessantes. La prise de position vis-à-vis du Baptême des enfants apparaît comme un assez bon repère de l’une et l'autre tendance, Les multitudinistes l'admettent, les confessants le repoussent. Remarquons en passant que le ferment qui anime les Églises confessantes les pousse toujours à la fondation de nouveaux groupes qui vont se scinder d'un groupe devenu trop grand, et donc menacé de multitudinisme.
Les dangers inhérents à chacune de ces tendances sont assez évidents.
L'Église confessante est-elle « évangélique » ? c'est-à-dire est-elle assez ouverte à la Bonne Nouvelle du salut de tout homme selon le désir du cœur de Dieu ? Ne risque-t-elle pas de prendre un conformisme de conversion pour un engagement profond ? Qui est assuré de perdurer dans la « conversion » ? Tout chrétien n' est-il pas un pécheur ? Est-elle une Église du pardon ? Pour reprendre les termes matthéens, fait-elle suffisamment attention aux « petits qui commencent à croire » ?
L'Église multitudiniste, de son côté, doit faire face à des questions redoutables. N'est-elle pas devenue, ou n'est-elle pas en grand danger de devenir un pur mouvement de conformisme social ? Elle veut être le lieu où l'Évangile de la miséricorde continue à être annoncé pour tous, mais cet Évangile n'est-il pas en grand danger non seulement de s'affadir mais de disparaître ? [On peut contester la position de J. S. Trimingham : face à l'étouffement de la « Jesus-way » par l'institution, le monachisme serait revenu au modèle primitif.
Le danger de l'étouffement par l'institution n'est certes pas illusoire ; mais il faut poser la question : la « Jesusway » est-elle tout à fait identique à l'Évangile destiné à tous ? (p. 20)].
C'est ici qu'intervient dans certaines Églises historiques d'Orient et d'Occident une forme de vie qui est le sujet du présent livre : la vie religieuse. On pourrait peut-être dire d'elle qu'elle est dans ces Églises multitudinistes une gardienne de l'Évangile qui non seulement est annoncé par ces Églises dans la prédication mais est signifié par ces formes de vie chrétienne. Ce serait grâce à ce ferment évangélique que ces Églises peuvent vivre la patience sans un trop gros risque de perdre la violence native de l'Évangile. On pourrait réfléchir sur le lien possible entre l'absence de vie religieuse et l'existence de groupes évangéliques.
Ainsi la vie religieuse chrétienne est au service de ce rappel de l’Évangile. Mais là encore rien n'est joué et ce travail le montre parfois cruellement. Ces groupes religieux peuvent se prendre pour la véritable Église, ils peuvent entretenir inconsciemment peut-être une sorte de christianisme à deux vitesses [A Edesse, nous dit-on, il y avait parmi les chrétiens, deux ordres : les ascètes et les catéchumènes que sont les simples laïcs.] alors qu'ils ne sont qu'une forme parmi d'autres de vie chrétienne au service de la communauté tout entière. C'est là, au surplus, le sens du mot « charisme » : un ministère, un service.
L'Évangile, est, c'est évident ou ce devrait toujours l'être, en opposition avec le monde au sens de l'évangile de Jean. Mais il ne peut conforter ni mépris ni orgueil. Le mépris des petits, des publicains est le péché par excellence. L'esprit sectaire est donc un danger toujours possible et la réaction de Jésus vis-à-vis des déformations pharisiennes est toujours d'actualité. Il est frappant de lire dans les Apophtegmes des Pères du désert, les protestations d'humilité des grands spirituels. Un quelconque marchand de la ville voisine pouvait être à leurs yeux plus « spirituel » que les plus grands des solitaires du désert.
Être au service de l'Évangile, ce n'est pas occuper une place de choix dans la communauté chrétienne. C'est être investi d'un service. L'idée de perfection, de vocation parfaite ou de fidélité parfaite n'entre pas dans les perspectives évangéliques. Il peut y avoir des rêves de perfection qui ne soient pas évangéliques.
Être au service de l'Évangile ce n'est pas être au service d'un littéralisme biblique. Ici une vérité profonde se cache dans cette attitude littéraliste : on veut être fidèle à Jésus et l'on pense que la fidélité à un texte est le « summum » de cette attitude. En fait il s'agit de fidélité à l'Esprit Saint et non sans avoir éprouvé les esprits. Être au service de l'Évangile, c'est être au service du Dieu, Père de Jésus-Christ, le vrai Dieu. C'est à partir de là que la nécessaire réforme perpétuelle de l'Église est mise en œuvre.
Un groupe particulier qui se prend pour l'unique Église au lieu de se mettre à son service a toutes les chances d'adopter des attitudes sectaires. Tout groupe spirituel est menacé par l'attitude sectaire ; alors il songe plus à se perpétuer, à se recruter (cf. p. 7) qu'au service auquel il est appelé. Le salut est assuré par l'ascèse; le ministère dans l'Église et de l'Église est refusé ou détourné [Il est intéressant de noter que le ministère sacerdotal est quelquefois désiré par des ascètes pour des fins personnelles et thaumaturgiques.].
Ajoutons enfin une dimension apocalyptique : pour condamner plus sûrement le présent on annonce sa prochaine destruction, mise en œuvre finale de cette condamnation. La fin du monde est à la porte. Il faut devenir membre du « Pacte » ou de l'Ordre pour échapper à la condamnation du dernier jour tout proche (pp. 23-28) qui verra le rassemblement des élus en un lieu précis.
Remarquons en passant que cet eschatologisme se nourrit souvent dans les milieux catholiques de révélations, apparitions qui échappent à l'autorité des responsables.
P. E. dit que la vie monastique a fait éclater, entre 431 et le VIIe siècle, l'Église en Syrie. Peut-être que des études à venir nuanceront ce verdict. Quoi qu'il en soit, la vie religieuse, la vie des groupes spirituels, la vie des Églises, ne peuvent qu'être éclairées par un tel travail dont il faut remercier l'auteur.


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