REVUE : IRÉNIKON, 74, 4, 2001

Guillaume de Saint-Thierry (1075-1148), ami de saint Bernard et de Rupert de Deutz (1075-1129), l'un des réformateurs monastiques du XIIe siècle, se situe à la charnière de la « théologie monastique » et de la « théologie scolastique ». Des auteurs tels que L. Bouyer et J.-M. Déchanet ont signalé l'enracinement oriental de la pensée de Guillaume, notamment en celle d'Origène et de Grégoire de Nysse, faisant briller en Occident une « lumière orientale ». Dans sa Lettre apostolique Orientale Lumen, Jean-Paul II cite d'ailleurs la Lettre aux Frères du Mont-Dieu, l'écrit le plus connu de Guillaume, la fameuse Lettre d'or aux chartreux, chez qui il avait fait un séjour en 1144, alors qu'il était devenu en 1135, d'abbé bénédictin, moine cistercien de Signy. Cependant Guillaume est tout autant redevable pour sa pensée aux auteurs occidentaux, tel Augustin dont il est proche pour sa théologie trinitaire, comme il l'est également de la méthode scolastique ambiante. M. R., en cette excellente étude, s'est efforcé d'établir chez Guillaume l'importance de l'eucharistie et l'intérêt de sa contribution à la théologie sacramentaire en pleine évolution au XIIe siècle. II y va de l'articulation entre vie sacramentelle et vie spirituelle, question toujours d'actualité. Pour ce, il propose « une triple lecture intégrale des œuvres de Guillaume ». Lecture patiente pour noter dans son contexte tout passage explicitement relatif à l'eucharistie, et c'est là qu'on trouvera également les indications biographiques utiles. Dans un second tour, l'A. relève les images, les symboles, les résonances, les mots (le terme transsubstantiation n'est pas encore employé) qui dévoilent l'expérience eucharistique de Guillaume. Ces thèmes sont rassemblés sous la symbolique de la nourriture (pain, festin, manne, vin, ivresse spirituelle, « goûtez et voyez »), du sacrifice (prière, action de grâce, culte spirituel, offrande de la vie, sacrifice véritable), mémoire (présence de Dieu, péché, bienfaits divins, mystère du Christ, mémorial spirituel et mémorial eucharistique). Enfin, l'A. « articule » la doctrine du sacrement de l'autel de Guillaume avec son expérience. Celle-ci « joue manifestement un rôle charnière dans la vie spirituelle. […] Le sacrement de l'autel est l'acte par excellence qui permet que toute chose devienne spirituelle » (pp. 317 ss). Si Guillaume utilise parfois des vocables philosophiques, tel le mot substantia, c'est, dit-il lui-même, pour « qu'ils servent là où il faut ; qu'ils ne s'immiscent pas plus qu'il ne faut », À ce propos, l'A. cite les critiques de S. Boulgakov contre la théorie de la transsubstantiation et il pense, à bon droit, que la lecture de Guillaume aurait pu désamorcer quelque peu ces critiques, tellement ce grand moine a le « respect du mystère » et que pour lui l'eucharistie n'est « qu'une porte ouverte, à franchir par la foi, vers la communion plénière avec Dieu » (p. 323).