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13. INTRODUCTION A LA LECTURE DE SAINTE THERESE D'AVILA

13. INTRODUCTION A LA LECTURE DE SAINTE THERESE D\'AVILA

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Date d'ajout : mardi 04 avril 2017

par Jean-Pierre BRANCOURT

Le XVIe siècle a bien souvent été caricaturé, et, parfois, avec les meilleures intentions. Les bouleversements religieux, intellectuels, politiques et sociaux qu'avait déterminés l'effondrement de l'empire byzantin entraînèrent indiscutablement, entre autres conséquences, la vénération de la nature, le retour à l'Antiquité païenne dont l'imprimerie facilita la diffusion des œuvres, et l'avènement de l'humanisme. Il est également certain que les découvertes de Christophe Colomb et de Magellan, les conquêtes de Cortés élargirent les horizons des hommes tandis que la révolution astronomique de Copernic préludait au développement prodigieux des sciences exactes. Enfin, la prédication luthérienne ébranla la Chrétienté et accentua le goût des princes à l'omnipotence. Le morcellement religieux qui résulta de l'extension du protestantisme souligna le morcellement politique : Charles Quint fut le dernier défenseur de la tradition unitaire du Moyen Âge, mais ses efforts pour restaurer la Chrétienté échouèrent. À partir du XVIe siècle, le but du prince n'est plus que de conserver et de renforcer son pouvoir : il cesse de se considérer comme le feudataire de Dieu. À première vue, le XVIe siècle accorde la priorité aux appétits de l'homme sur la volonté de Dieu : contre l'Église se dressent les deux mouvements antagonistes, la Renaissance et la Réforme, décidés tous deux à écarter sa suprématie.
Un survol rapide du XVIe siècle suggère l'idée d'une rupture, mais la réalité est plus complexe : il est profondément lié à la pensée chrétienne qui s'était épanouie au Moyen Âge ; la préoccupation religieuse y reste dominante, et la foi traditionnelle, toujours vivante, se cristallise autour du Christ de la Passion et de la Vierge du Rosaire. La volonté d'enseigner les nations est plus vive que jamais et elle suscite apôtres, Croisés et conquérants : en 1484, le pape Pie Il meurt à Ancône au moment de partir en Terre Sainte et de réaliser le grand projet de son pontificat : l'union des chrétiens contre le Turc. L'expédition de Charles VIII à Naples n'est rien d'autre que le point de départ d'une nouvelle Croisade pour délivrer le saint sépulcre. Si on explore le monde avec un enthousiasme inaltérable c'est parce qu'au premier chef, on entend le conquérir à Dieu : Cortés part sereinement s'emparer du Mexique avec un effectif dérisoire de trois cent cinquante hommes, parce qu'il a la certitude, dans ce combat pour Dieu, d'être assisté de la Providence.
Le livre de Mlle Poitrey, à sa manière, contribue à restituer au XVIe siècle son véritable visage. L'auteur a soutenu en Sorbonne une thèse brillante sur le vocabulaire de sainte Thérèse et ses travaux éminents la qualifiaient plus que tout autre pour élaborer cette initiation à la spiritualité de la sainte d'Avila. La connaissance profonde qu'a Mlle Poitrey du XVIe siècle espagnol était indispensable pour traiter d'un tel sujet, car la personnalité de sainte Thérèse a été modelée par cette Espagne combattante qui vivait, entre l'achèvement de la Reconquête par la prise de Grenade (1492) et la victoire de Don Juan d'Autriche à Lépante (1571), l'un des épisodes les plus glorieux de son histoire; ce fut aussi le christianisme espagnol qui, dans les mêmes années, allait opposer ses certitudes aux négations des modernes et reprendre les grandes affirmations de la tradition médiévale. Tout autant que Philippe Il, sainte Thérèse fut consciente de cette mission de l'Espagne : la réforme du Carmel devait avoir pour parallèle dans l'ordre temporel une politique qui a certainement ,sauvé le christianisme. Sainte Thérèse d'Avila, saint Jean de la Croix, saint Ignace de Loyola - et Philippe II d'Espagne sont les reflets les plus authentiques de ce catholicisme vivifié par l'épreuve et la volonté de se purifier : traiter de l'un en ignorant les autres eût été impossible.
L'ouvrage de Mlle Poitrey est, au premier chef, une introduction à l'œuvre de sainte Thérèse. Le but de l'auteur est de familiariser les lecteurs contemporains à l'esprit et au langage de la sainte avant qu'ils n'abordent ses grandes œuvres, mais en réalité, le livre de Jeannine Poitrey déborde largement ce projet. Il comprend d'abord une biographie, sommaire mais complète. En quelques pages, le talent de l'auteur ressuscite, à travers l'entourage de la sainte, l'Espagne chrétienne telle qu'elle surgissait au seuil d'une nouvelle étape véritablement épique de son histoire. L'enfance de sainte Thérèse a baigné dans une atmosphère familiale chevaleresque, dominée par l'esprit de détachement de la noblesse véritable : la famille célébrait à la fois les armes et les lettres et se conformait à un style de vie « vieux chrétien » contre lequel, un jour, s'acharnerait le monde. La psychologie de sainte Thérèse s'est façonnée à ce contact, mais son hérédité la disposait déjà au renoncement : elle tenait de son père, Alonzo Sanchez de Cepeda, une piété passionnée et le goût de l'héroïsme aventureux, et de sa mère une foi inébranlable. Dès ses premières années, sainte Thérèse fut fascinée par l'idée de l'éternité et elle se sentit une vocation irrésistible au martyre. Une inclination naturelle, encouragée par la formation morale que lui donnèrent ses parents, suscita en elle la volonté du sacrifice qu'elle devait ordonner à Dieu. Terre privilégiée de l'aristocratie catholique, l'Espagne marqua de son empreinte la jeunesse de sainte Thérèse : lorsqu'elle naquit, son père revenait de la guerre de Navarre; enfant, elle connut la révolte des Comuneros, puis l'enthousiasme des premières années du règne de Charles Quint, et, enfin, celui qu'engendrèrent les exploits espagnols en Amérique.
Une telle préparation permit à sainte Thérèse d'affronter dans les meilleures conditions les épreuves morales et physiques qui, très tôt, lui furent infligées. Elle dut vaincre d'abord l'opposition paternelle, puis, après qu'elle ait eu la joie de faire sa profession au Carmel de l'Incarnation, le 3 novembre 1537, elle subit une maladie qui l'obligea à quitter pendant un an la vie monastique. Elle supporta ces souffrances avec courage, et toute sa vie la fragilité de son corps devait contraster-avec sa force d'âme.
Mlle Poitrey montre opportunément comment une activité matérielle prodigieuse accompagna la vie spirituelle intense de sainte Thérèse. Visionnaire, mystique, sainte Thérèse fit preuve d'une faculté d'adaptation étonnante à la réalité la plus objective. En 1562 elle créa un premier Carmel réformé auquel elle donna le nom de saint Joseph, puis, de 1567 à 1582, elle ne créa personnellement pas moins de douze maisons distribuées sur toute la péninsule : elle dut alors parcourir l'Espagne de Burgos à Séville, de Salamanque à Grenade, de Valladolid à Caravaca. Elle franchit des montagnes, assura les, charges physiques inhérentes à de telles expéditions, dressa, avec les architectes, les plans des constructions, assura la nourriture des monastères etc… Dans ses Lettres et dans sa vie le bruit des charrettes coexiste avec des projets de réformation d'une spiritualité élevée. Elle fut une mystique et aussi une organisatrice lucide, volontaire et réfléchie. Mlle Poitrey souligne l'ampleur du sacrifice consenti par sainte Thérèse qui, contemplative par nature, s'obligea à accepter cette dualité. En fait, elle a transporté dans la vie religieuse la mentalité de ses frères, de ses oncles et de ses cousins qui s'engagèrent dans les armées des conquistadores afin d'agrandir le domaine de la Croix : fermement résolue à défendre l'orthodoxie catholique, sainte Thérèse s'est acharnée à appliquer sans retard les, premières décisions du concile de Trente (p. 22, sq ; p. 47, etc.). Cette juxtaposition de la contemplation et de l'action a profondément marqué le Carmel réformé par sainte Thérèse dans, l'esprit tridentin : le Carmel avait des origines orientales, érémitiques et contemplatives, mais en Occident, il était devenu un ordre mendiant voué à l'apostolat, sans perdre pour autant ses aspirations à l'adoration silencieuse. La réforme de sainte Thérèse rechercha cette synthèse pour le Carmel masculin. Quant aux religieuses, elle les destina à la vie purement contemplative, toute d'ascèse et de prière en faveur de l'Église que menaçaient les hérétiques au Nord, les infidèles dans le bassin méditerranéen, et l'irréligion partout.
Mlle Poitrey achève sa biographie de la sainte en révélant les conflits particulièrement douloureux qui l'opposèrent à ses supérieurs : dénonciations, calomnies, tracas administratifs, incarcération même de saint Jean de la Croix, son disciple et confesseur, aucune épreuve ne fut épargnée à Thérèse d'Avila de 1576 à 1581, date de la reconnaissance de sa réforme. Enfin, l'année suivante, le 4 octobre 1582, elle mourut à Alba de Tormes au terme d'un long et pénible voyage.
Après avoir ainsi brossé, dans une première partie, le portrait de sainte Thérèse, et décrit avec précision son caractère, l'auteur s'attache à sa formation, et cette partie de son ouvrage est d'une importance essentielle. Sainte Thérèse a répandu à profusion la doctrine du catholicisme le plus authentique, mais curieusement, chaque fois qu'elle en eut l'occasion, elle se qualifia elle-même, dans ses écrits, d'ignorante : mademoiselle Poitrey a relevé cette contradiction et s'est interrogée, en universitaire et en hispaniste, sur la formation intellectuelle de la réformatrice du Carmel.
Trois facteurs ont contribué à la formation de sainte 'Thérèse : au premier chef, les lectures ont joué un rôle déterminant dans sa connaissance du catholicisme. Dès son enfance, sainte Thérèse s'enthousiasma pour les livres. Elle lut la vie des saints et elle y trouva, entre autres exemples, celui des martyrs qui entraient après leur mort dans une gloire éternelle : « Pour toujours, toujours, toujours », répétait-elle avec fascination. À peine adolescente, elle passa des livres spirituels aux romans et, dans sa quinzième année, la future réformatrice du Carmel composa elle-même un livre de chevalerie à la suite duquel son père la fit entrer comme pensionnaire au couvent des Augustines de Notre-Dame-de-Grâce. Jeune religieuse, elle eut recours aux livres de prières : elle avait d'ailleurs à sa disposition une petite bibliothèque de livres spirituels [ Jeannine Poitrey indique opportunément la liste des ouvrages qui influencèrent sainte Thérèse : ceux des Pères de l'Église, saint Jérôme qui détermina ·sa vocation. saint Grégoire et saint Augustin ; ceux des auteurs spirituels contemporains, ceux du chartreux Ludolphe de Saxe, l'Imitation de Jésus-Christ et les !livres pseudo-augustiniens (p. 42-43).]. Au fil des années, elle se détacha de ces ouvrages : elle leur préféra « les paroles de l'Évangile car celles-ci » écrivait-elle, « m'ont toujours plus recueillie que les livres les mieux faits ». Finalement, la sainte déprécia les livres de spiritualité qui furent en somme peu de chose en face des deux sources du savoir de sainte Thérèse : les leçons des théologiens et l'expérience.
Les leçons orales des théologiens constituent, en effet, - d'après mademoiselle Poitrey, un élément capital de la formation intellectuelle de sainte Thérèse. Les théologiens prirent progressivement le pas sur les livres et leur prestige ne cessa de grandir aux yeux de la sainte. Ils l'éveillèrent aux préoccupations doctrinales du concile de Trente. Ils la mirent en contact avec les maîtres de l'Université mais aussi avec les grands courants de la spiritualité. Elle leur soumit scrupuleusement chacune de ses œuvres. Leur rôle a consisté surtout à confirmer les découvertes personnelles de sainte Thérèse, à garantir son expérience intérieure ainsi que la validité de ses 'interprétations.
L'expérience directe, en effet, est la source la plus riche des connaissances de sainte Thérèse. Il s'est produit dans son esprit un dépassement de l'enseignement classique au profit de l'expérience mystique. Ce phénomène est habituel chez les mystiques : sainte Thérèse, par la grâce de Dieu, a eu le privilège d'être la voyante d'un autre monde, celui par lequel le monde des hommes se soutient et s'explique, celui qu'affirme simplement la prière: « Notre Père qui êtes aux Cieux ».
Le livre se termine par un florilège dont la qualité est exceptionnelle car l'auteur, dans sa traduction, s'efforce, en parfaite hispaniste, de garder la phrase, le rythme de sainte Thérèse et ses modulations.
Cette Introduction à la lecture de Thérèse d'Avila qu'a bien voulu préfacer l'ambassadeur d'Espagne en France, Don Miguel Solano, est à la fois une initiation et une approche nouvelle, mais orthodoxe, de sainte Thérèse ; elle est aussi une ouverture sur l'Espagne de Philippe II, véritable place d'armes de l'Église contre l'Islam et contre cette autre invasion venue du Nord, celle du luthéranisme.


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