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12. HEIDEGGER, LE SOL, LA COMMUNAUTE, LA RACE

12. HEIDEGGER, LE SOL, LA COMMUNAUTE, LA RACE

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Date d'ajout : samedi 04 octobre 2014

par George-Arthur GOLDSCHMIDT

REVUE : Allemagne d’aujourd’hui n°209 juillet-septembre 2014

Ce que quelques-uns (rares) ne cessaient de rappeler, au grand dam de toute l’aristocratie de la « Pensée » française, est désormais acquis, une fois pour toutes : Martin Heidegger était un militant nazi de pointe, ce qui ne peut surprendre, pour peu qu’on ait lu les § 27 ou 37 parmi bien d’autres de Sein und Zeit (être et temps). Personne ne le conteste plus et vive le NSDAP ! Que les « Cahiers noirs » soient pour certains une surprise ou pour d’autres un sujet de consternation ne peut finalement qu’épater les heideggériens de Paris. Leur totale ignorance de l’allemand et des choses allemandes est, avec le regret des beaux temps de l’Occupation, le contenu profond de tout ce qu’ils peuvent bien écrire.
Le livre « Heidegger, le sol, la communauté, la race », sous la direction d’Emmanuel Faye, explore méthodiquement le fond nazi du « Penseur » de Fribourg. Il souligne la volonté exterminatrice d’une « pensée » qui prend prétexte de la métaphysique pour instaurer un état d’authenticité, d’enracinement dans une vérité liée au sol, à l’Allemagne telle qu’elle est préservée en tant que Volk de la corruption occidentale figurée par les juifs. On ne peut, à cet égard parler de nouveauté radicale de la Pensée de Heidegger que si on ignore cette constante de l’imaginaire allemand qui s’exprime dans les textes exaltés des penseurs de la germanité du début du XIXe siècle. La réalité allemande ne peut s’établir que contre l’Occident et contre Rome, « Los von Rom » disait-on.
C’est d’avoir situé la réflexion philosophique au cœur de la germanité comme seule source possible de pensée possible qui fait l’originalité de surface de la « pensée » de Heidegger. Dilthey et Max Scheler lui avaient déjà plus ou moins ménagé cette voie. Seuls les Allemands, Fichte nous l’avait déjà dit, sont capables d’une pensée authentique qui échapperait au paresseux renoncement de pensée cartésien. Enjuivé, romanisé jusque dans ses modalités de base, la « pensée, l’Occident est voué à la répétition, sans cesse amoindrie de ses propres fondements », c’est que fait dès le début sous-entendre Heidegger dans Kant et le problème de la métaphysique. Ce sera constamment redite la chute dans l’inauthentique : le système d’un côté et le fameux Geist (allemand) de l’autre.
C’est de façon magistrale et irréfutable que les travaux réunis par E. Faye et les chercheurs dont il a réuni les contributions en particulier établissent ce ressentiment comme donnée fondamentale de toute la pensée de Heidegger dont le nazisme farouche est comme une revendication villageoise contre la modernité urbaine. Il y a là une jalousie de base déguisée en volonté de retour aux origines (comme si celles-ci avaient jamais existé), retour à l’authentique, à la fameuse Eigentlichkeit, (mot inventé par Heidegger, certes, mais tout locuteur allemand en invente tous les jours) qui signifie que tout ce qui n’est pas de la partie de la Forêt-Noire située entre Muggenbrunn et Todtnauberg est « inauthentique ». Dès l’introduction, E. Faye souligne qu’il revient à l’Allemagne national-socialiste d’assurer « la configuration future des Temps modernes ».
Dès le début, « l’archéologie heideggérienne » vise la « déconstruction » de la philosophie moderne entière à travers Brentano ou Dilthey. « Tandis que Heidegger désigne avec Descartes le sol à ruiner et des individus à enterrer, il désigne avec Aristote le retour au sol originaire et le Dasein authentique » écrit Jaehoon Lee, l’un des contributeurs de l’ouvrage (Heidegger en 1924). Malgré son apparente originalité, cette démarche, en effet assez neuve en philosophie, ne fait que s’inscrire dans une très vieille tradition germanique où l’on retrouve, comme déjà dit, tout au long de l’histoire littéraire, comme thème de base, le Volksgeist par-dessous l’Aufklärung. C’est ce devenir caché qui éclate lors de la « Völkerschlacht », la Bataille des Nations de 1813, tarte à la crème des Jahn, Arndt et autres Fichte. Toute la « Pensée » du philosophe de Todtnauberg est orientée par un sentiment combatif qui depuis le début du XIXe siècle domine une frange de la réflexion philosophique allemande. Il n’y a de pensée que puisée aux sources gréco-germaniques telles qu’elles excluent le calcul juif et sa retombée christiano-occidentale. Seule la communauté, (la Gemeinschaft) permet d’accéder à l’Être, à l’encontre de ce que supposait Karl Löwith qui voyait dans « Être et Temps » (Sein und Zeit) l’individualisme radical (curieux contre-sens pour qui avait quelque peu fréquenté Heidegger) comme le montre Johannes Fritsche.
Emmanuel Faye reprend la parole dans un 3e chapitre qui, comme le fera le dernier aborde, à nouveau, le nœud de la question, à savoir que pour Heidegger toute subjectivité ne peut exister que désindividualisée au profit d’une sorte de Kampfgemeinschaft, d’unité de combat généralisée. La philosophie du « moi » de Descartes n’est que dégénérescence d’une sorte d’état originel à reconquérir, cela ne se différencie en rien de la mobilisation totale de cette autre coqueluche de la bonne société parisienne, ce brave Jünger, encore plus redoutablement nazi que Heidegger auquel manquaient les tactiques de mystification essentielles que Jünger possédait comme personne. Le thème de l’anéantissement est d’ailleurs impliqué par la Kehre, le retournement qui suppose la destruction, aimablement appelée « déconstruction » (Abbau) d’une métaphysique dont pourrait se dégager une morale, même un simple « savoir vivre ». Tout comme Jünger qui établit dans les années d’Après-Guerre les diverses rééditions du Travailleur, en éliminant (croit-il) toute trace de nazisme, Heidegger s’entend à falsifier ses textes. Ainsi, comme le montre Sidonie Kellerer, un texte tel que Die Zeit des Weltbildes « L’image moderne du monde » est modifié après guerre pour l’adapter, sans en avoir l’air, au post-nazisme, tandis que Wege zur Aussprache « Chemins d’explication », publié en 1937, est réédité en 1983 sans que soit mentionné le contexte évidemment nazi de sa publication ; supprimer par ci, ajouter par-là ne change rien à l’orientation au moins anti-occidentale et revendicative d’authenticité germanique de tous ces textes. Dans Die Zeit des Weltbildes, conférence prononcée en 1938, Heidegger oppose l’idéalisme allemand à Descartes et plus largement à la romanité, en vertu de cette propriété à la vérité réservée aux nouveaux grecs que sont les Allemands.
Julio Quesada Martin montre que la destruction de la philosophie par l’opération heideggérienne n’en conserve pas moins les formes de la philosophie qu’elle détruit, si bien que « la manière propre d’exister », l’Eigentlichkeit est excluante dans sa forme même. Au moyen d’un déroulé très précis il montre que le Dasein heideggérien conduit nécessairement (c’est bien l’intention proclamée) à la destruction de « l’impropre » das Uneigentliche. On veut bien à Paris concéder que Heidegger ait été nazi, mais il n’en reste pas moins un grand philosophe, et pour le moment, « cela dans un contexte où il est encore impossible d’avoir un Heidegger grand philosophe parce que national-socialiste » comme l’écrit Gaëtan Pégny dans sa contribution. Ce point est essentiel et telle est bien la fascination à laquelle succombent les heideggériens de Paris que les circonstances seules empêchaient d’avouer leur fascination intime pour le national-socialisme, parfois sans le savoir, en une sorte de retour à Pétain. Le faux élitisme et le désir d’élimination sont la structure même de leur « recherche ». Comme le montre Pégny, Heidegger ne fait que pousser Mein Kampf vers sa forme philosophique dont le contenu est la définition de l’ennemi et cet ennemi-là, tout le monde le connaît. G. Pégny fait voir les concordances entre Hitler et Heidegger, non par une simple comparaison mais par « l’essence » même de leur jonction. Le texte de G. Pégny comme tous ces textes mériterait des développements qui excèdent les dimensions de cet article.
Robert Norton montre toute l’influence de Stefan George sur un très grand nombre de philosophes et d’écrivains en particulier Hans-Georg Gadamer, le fidèle disciple de Heidegger. À travers Gadamer se révèle le « sélectionnisme » avancé, un racisme distingué, en somme, du cercle autour de George. François Rastier, quant à lui, fait voir l’implantation de Heidegger dans le paysage philosophique contemporain qui repose entièrement sur « l’art de ne pas lire » ce qui est écrit, de feindre séparer le philosophique du politique. M. Rastier montre l’implication de la langue de Heidegger dans celle du Troisième Reich la LTI et comment il s’agit pour lui de « remythisation de la philosophie ». Il montre à quel point le heideggérianisme correspond au réveil des extrêmes-droite et des divers populismes.
Les travaux ici rassemblés donnent un texte d’ensemble d’une grande cohérence et qui suffit à lui seul, ne fût-ce que par les documents produits, soit dans le corps du texte, soit en notes de bas de page, à montrer à quel point Heidegger pense au cœur de l’extermination hitlérienne, c’est lui qui en établit au plus haut point l’essence, il en est, « métaphysiquement » l’auteur, « seul le Volk allemand libre envers la mort est un peuple historique ». Les homosexuels, gitans et juifs ne font pas partie de l’Existenz, ils ne font pas partie du vivant authentique, ils sont « sans valeur pour la vie », ils sont lebensunwertes Leben (ce vivant inutile à la vie) comme le définit Eugen Fischer l’organisateur de l’euthanasie des enfants allemands en 1941 et qui fut le meilleur ami et le fidèle collègue de Heidegger.
Ni les juifs ni les tziganes ne meurent (sterben), ils ne crèvent pas non plus (verrecken) ils finissent (verenden), ils ne sont pas même dignes de la mort. Ils ne sont pas même weltarm, pauvres en monde comme les animaux, mais tout simplement weltlos, sans monde, de nulle part, ils n’existent pas et les éliminer ne porte pas à conséquence puisqu’ils ne sont pas dans l’existence. Il y a division fondamentale entre ce qui relève du « on » (man) quotidien, de la « métaphysique occidentale » de la promiscuité calculante juive et de la juvénile pureté si largement incarnée par la vraie pensée allemande de l’Être. On atteint là un niveau obsessionnel qui n’est pas forcément d’ordre psychiatrique mais de celui, très germanique, du refoulement sexuel le plus basique.
Si de braves philosophes français pouvaient en toute bonne foi (??) se donner l’illusion d’une lecture philosophique « innocente », comme si les textes eux-mêmes, pour peu qu’on sache un peu d’allemand, ne parlaient pas nazi. L’ignorance cynique de la philosophaille parisienne pétainiste n’est pas fortuite. Il y a chez ces philosophes un instinct de meurtre refoulé, une radicalité qui ne peut que jouir de la volonté exterminatrice de Heidegger. En effet, comme ne cessent de le souligner les auteurs de ce remarquable ensemble d’études de fond de la pensée heideggérienne, celle-ci est fondée sur le ressentiment et une revendication d’authenticité dont sont seuls capables grecs et allemands du fait de leur proximité à l’Être, chose dont selon Heidegger, les penseurs français sont incapables du fait de « leur langue » comme il nous le fait aimablement savoir dans Der Spiegel (27 mai 1976). Le « projet » heideggérien est malgré ses naïfs atours linguistiques entièrement construit sur le désir infantile de supériorité et d’exclusion des ennemis et des incapables qu’on reconnaît à leur méconnaissance naturelle de la « pensée » heideggérienne.


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